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Du barrage vert de Houari au déboisement de Abdelaziz

par Kamel Daoud

Un arbre, ce n'est pas de l'huile, du sucre ni un logement. Cela ne se mange pas, on ne peut pas y habiter, sauf comme singe ou oiseau. Qu'est-ce qui fait que des Algériens défendent des arbres comme s'ils défendaient leurs maisons ? Parce que tous les Algériens ne sont pas morts et tous les Algériens ne sont pas des intestins. Ce qui se passe au Bois des Pins, à Alger, depuis des semaines est devenu une affaire épique : un ogre gros, armé de policiers eux-mêmes armés de godasses qui cassent les portes, veut manger un quartier que des habitants défendent dans un élan quasiment novembriste. Comme des Syriens à Hama, les habitants sont seuls, personne ne s'en soucie, les partis politiques n'en parlent pas et les autres émeutiers les considèrent justement comme des Syriens qu'on ne peut voir que sur Internet. Etrange égoïsme du révolutionnaire algérien : je m'oppose au Pouvoir mais seul, dans mon quartier, dans mon métier, pour mon salaire. Les gens des Bois des Pins ? J'en ai entendu parler mais ce n'est pas mon arbre ou pas ma branche, ni même ma feuille.

 Passons donc sur la symbolique (une affaire qui se passe à Hydra, quartier chic) pour s'arrêter à l'os de cette affaire : on y voit un Etat qui y met une abnégation, une volonté, un désir d'appliquer la loi, qui font presque croire que c'est vrai, que la loi existe. La réalisation d'un parking sur la place d'une forêt passe avant donc l'enquête sur le cas du maire de Zéralda, à quelques kilomètres de là. On en reste admiratif : si seulement l'Etat mettait autant de zèle dans le reste du pays, le reste des affaires et des chantiers. D'ailleurs, pourquoi parler d'Etat dans ce cas-là ? En Algérie, l'Etat n'existe plus, il n'en reste que la police. On envoie la police contre tout ce qui bouge, frémit, casse, s'indigne, veut marcher, parler ou dire non ou manger le ramadan. La police remplace le reste, tout le reste, et la matraque est une langue nationale officielle.

 Dans le cas des habitants du Bois des Pins qui disent non, il n'y a qu'eux et la police en face. Tout le reste, qui va des élections au multipartisme, au dernier discours de Bouteflika, n'est que du bavardage.

 D'ailleurs, les vraies réformes sont sous les yeux : on renvoie tout le monde à Frenda, on garde deux ministres pour les affaires domestiques et un Président pour recevoir les étrangers VIP et on délègue à la police tout le reste, qui va de la voirie à la réalisation des parkings, la gestion des émeutes ou la prospection spatiale. D'ailleurs, c'est ce qui se fait depuis des années en Algérie et depuis des semaines au Bois des Pins à Alger. Là, c'est déjà la version pilote : on n'y voit que le peuple et la police qui frappe et personne d'autre des salariés de la RADP.

 Du chemin a été donc fait par la génération des séniles qui gouvernent : ils sont passés du barrage vert de Boumediène au déboisement par Bouteflika. Le désert avance par le nord.