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Comment tuer son peuple quand il ne veut pas mourir

par Moncef Wafi

La révolte d'octobre, les printemps berbères, les émeutes sporadiques et dix ans de maquis résiduel n'ont pas réussi à ébranler un édifice solidement campé sur des acquis spoliés à un peuple qui n'a d'yeux que pour son estomac et celui du voisin. Logique tactique cher à nos entraîneurs, quand une équipe attaque sans marquer de but, elle peut à la fin perdre sur un contre meurtrier. Alors, peut-on se débarrasser de son peuple lorsque celui-ci devient trop encombrant et ses demandes trop exigeantes, même légitimes ? Oui, et c'est de bonne guerre, ils n'avaient qu'à se débarrasser les premiers du Système en place. Laissant passer leur chance, ils se découvrent et s'exposent à une démonstration de force en guise d'ouverture démocratique. Si se débarrasser de son peuple est permis dans la guilde onusienne, il reste pourtant les formes à mettre en place pour ne pas choquer les bonnes consciences. Ne pas faire comme le colonel Kadhafi et bombarder une partie de son pays et s'exposer à des frappes aériennes françaises. Ne pas faire comme Bachar El Assad qui tire sur la foule dans un stand, un jour de foire pour recevoir, en réponse, une bordée de réprimandes internationales. Ne pas faire comme Salah, le Yéménite, qui, à force d'insister pour rester est parti sur une civière. Et enfin ne pas faire comme Moubarak ou Ben Ali, en s'entêtant à fermer ses persiennes et se boucher les oreilles devant la foule qui veut vous délivrer un billet aller sans retour en Arabie Saoudite. Alors comment faire pour donner le change et ne pas précipiter le pays dans les bras de l'OTAN ? Comment éviter les erreurs des répressions d'octobre 88 et des morts en Kabylie et se la jouer clean devant les yeux du monde qui nous scrutent à la jumelle pour déceler la moindre fumée d'un bûcher en préparation ? Alors comment tuer tout un peuple sans qu'on parle de génocide ? Voilà toute l'astuce que le Système a mise savamment et patiemment en place, depuis des années, pour en finir avec un peuple gênant qui demande constamment où passe l'argent des puits. Qui a toujours faim et perpétuellement endetté. Un peuple de pauvres qui s'agrippe de tout son poids aux étages supérieurs pour les précipiter dans leur chute. Parmi l'arsenal en présence, la méthode hivernale qui consiste à créer des pénuries de bouteilles de gaz butane pour faire mourir certains de froid. La vente d'appareils de chauffage défectueux pour asphyxier d'autres de monoxyde de carbone. La méthode estivale, elle, est propice aux noyades accidentelles et aux accidents de jet-skis. Il y a aussi ceux que la chaleur tue mais ils ne sont pas nombreux, et additionnés aux victimes de la mangeaille assassine, ce sont toujours des bouches de moins à râler. La route reste l'un des alliés les plus sûrs de ce plan anti-peuple. Et ce sont près de 4000 linceuls confectionnés annuellement pour la circonstance. Pour encourager cette courbe exponentielle, on encourage l'importation des pièces détachées contrefaites et du coup tuer le maximum et faire des bénéfices. Pas mal comme trouvaille ! Puis, les morts naturelles, là, il n'y a rien à dire, même le système ne peut y échapper, ce qui fait toujours une petite satisfaction du peuple. Les boat people sont également un bon moyen pour booster les statistiques macabres, et plus ils prennent la mer et moins ils polluent la terre de leur présence. Pour cela, il faut développer la politique de la hogra, capable à elle seule de précipiter des pans entiers d'un peuple déprimé du haut d'une falaise de Kharrata. Il y a la méthode dite «Crésus», en multipliant les prêts ANSEJ, CNAC et autres sigles pour prête-noms inconscients, qui le temps de rembourser venu n'a d'autre choix que de partir à Kherrata, embarquer dans un cercueil flottant ou acheter un litre d'essence au noir. Et pour finir, il n'y a pas mieux que de compter sur son propre peuple pour se tuer, mettre les ingrédients sur la table et laisser mijoter pour deux cent mille morts, enterrés avant de comprendre.