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Laka el khat

par El-Guellil

La décision a été concrétisée, chaque région, chaque ville, chaque village a sa radio locale. Ça permet de résorber le chômage. Très bonne initiative que de donner la parole à des régions qui subissaient le diktat de la seule chaîne «Une-deux, Une-deux nationale». Les papes offrent des soupapes.        C'est le boum. Des petites radios locales, à travers leurs animateurs ont damé le pion à d'autres plus nanties. On retrouve sur les ondes des différentes stations, les mêmes grilles à quelques différences près.

Mais chaque radio a une émission où est convié un expert de la parole. C'est drôle le nombre d'experts qui ont la parole. On les dirait faits pour ça, les khoubara. Ils s'expriment, ils ne bafouillent pas, tout est écrit. Et c'est l'animateur qui remet les horloges à leurre: «les citoyens ont leur mot à dire». Un numéro de téléphone est mis à leur disposition et... «Allô... laka el-khatte, ya oukhti». Souvent ça tombe à l'eau, la ligne est ce qu'elle est. La ligne éditoriale bien sûr.

J'adore. J'aime cette phrase. «Les citoyens ont leur mot à dire». Ça veut tout dire.

Ça veut dire d'abord qu'ils ne disent rien. Si l'on insiste tant sur ce mot à dire, c'est bien qu'ils ne le disent pas assez, les pauvres gens. Leur rôle, pourtant c'est de dire leur mot. Et ce n'est pas en lui proposant un numéro de téléphone qu'il va le dire. Enfin, rarement. Il le dit en ne respectant pas les passages cloutés de la houkouma. En balançant ses ordures là où il veut, quand il veut.

Car il ne croit plus en rien. Il le dit son mot de proche en proche, autour d'une marmita «... tous des escrocs, tous des voleurs, tous yaklou, mais rabbi kayène...».

Et quand les radios invitent les experts, et que ceux-ci parlent bisme les citoyens, c'est le plus souvent pour avoir leurs propres mots à dire, à la place des citoyens qui, eux, et ça se sait, n'ont pas grand-chose à dire, car ils savent qu'ils ne sont jamais écoutés. Alors, ça boude les émissions style «laka el-khatte». Ça chuchote au début et ça chahute ensuite.