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Zlabia

par Moncef Wafi

A moins de dix jours du Ramadhan, les Algériens s'apprêtent à subir un siège, à voir toutes les provisions qu'ils accumulent et les denrées alimentaires mises de côté en prévision de la guerre des prix. Comme chaque année, et à pareille occasion, le pays redécouvre sa face hideuse, son estomac pris en otage et ses plus bas instincts affutés. Ils fourbissent les armes dans une veillée de combat alors que ce mois est l'essence même d'un retour à une spiritualité perdue entre fausse dévotion, maquis résiduel et piété médiatique. Le Ramadhan en Algérie s'inscrit dans cette logique de bras de fer entre le bien, minoritaire, et le mal qui a gangréné toute une société. Vue simpliste, diront les uns, manichéenne pour d'autres, mais le constat s'impose de lui-même, implacable par les prix des produits de consommation, les statistiques sur la violence urbaine et les chiffres des accidents de la route. Aucun mois de l'année ne peut se targuer de collectionner autant de tares charriées par une logique d'autodestruction et d'une volonté de se faire hara-kiri que les Ramadhans en Algérie. L'Algérien se retrouve surpris de rencontrer son reflet triste et pataud dans les yeux de son frère, une image qui finit par l'excéder et libérer une violence somme toute ancestrale. A force de jeûner du ventre, l'Algérien finit également par commettre un déicide symbolique en sacrifiant sa foi pour son foie. Rendant responsable l'acte du jeûne de toutes ses dérives, l'Algérien s'invente donc un énième bouc émissaire pour les justifier et d'un mois de compassion, il en fait un mois de passion où, pour lui, tout est excusable, justifié de par son état physiologique. Le Ramadhan est devenu, au fil du temps et du dépérissement des mœurs, un mois à risques où les vols, les agressions, les meurtres émaillent ses chroniques. Où la violence, verbale et physique, atteint son paroxysme à tel point que ne pas jeûner serait presque halal pour les Algériens. Une fetwa loin d'être hérétique pour un peuple qui a enregistré les plus grands massacres de son histoire pendant justement ce mois. Par ailleurs, ce Ramadhan est placé sous le signe d'une bombe à retardement puisque malaise social, émeutes du toit, délestage et fournaise divine se conjuguent pour pourrir un été déjà tronqué pour des millions d'Algériens. De là à manger une zlabia en plein public, à midi, aura le même sens que se laver avec de l'essence et de griller une cigarette. Reste alors les autres, ceux qui mangent chez eux, à l'abri des regards de la police, de la bonne morale inquisitrice et des tribunaux. Il y a aussi ceux qui vont déjeuner en Europe, sur une terrasse parisienne.