Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Et si les Anglais nous avaient colonisés

par Moncef Wafi

L'histoire contemporaine de l'Algérie, dont l'extrait de naissance date de 1830, malgré quelques ancêtres non reconnus officiellement, puisque ethniquement incorrects, serait-elle différente, aujourd'hui, si le visage qui a reçu l'éventail n'était pas français ? Et si l'empire courroucé et la royauté froissée n'étaient pas bleu-blanc-rouge, qu'en serait-il de notre présent ? L'Algérie des deys se serait-elle alors trompée de colonisateur, même si, au fond, elle aurait voulu s'en passer ? Si le consul outré parlait anglais au lieu de la langue de Voltaire, si le drapeau de l'empire britannique avait flotté dans le ciel national et si les Algériens avaient été citoyens de Sa Majesté au lieu d'avoir une sous nationalité française, on serait aujourd'hui un tout autre pays affilié au Commonwealth, conduisant à gauche et votant à droite, en prenant du thé au petit déjeuner.

 On aurait un parlement fort, une monnaie forte et des petits enfants roux parlant parfaitement la langue de Shakespeare. Notre équipe nationale ne se ferait pas baladée sur les terrains d'Afrique parce que les joueurs, au lieu de végéter dans les petits championnats anonymes de la France et du reste de l'autre Europe, joueraient dans l'un des plus grands championnats au monde. Notre première langue serait l'anglais pour faire comme tout le monde ; au lieu du français littéraire et on se servirait du Sir au lieu du Si. La bureaucratie serait morte avec le dey d'Alger et la cinquième colonne dissoute dans l'encre de la signature de l'indépendance. Les Algériens seraient algériens de sang et de sol et n'auraient pas trois passeports dans leurs poches. La corruption serait un délit et non plus une fatalité nationale et les ministres des hommes avant d'être des ventres. On aurait officiellement une royauté à la place d'une république de cooptation, de derrière les rideaux, et des élus qui n'auraient pas peur de dire non pour ne pas perdre leur immunité.

 On aurait moins de ronds-points pour alléger les dépenses et le business ne serait pas chinois ou turc. Le président français ne nous dictera pas notre politique et son ministre des Affaires étrangères n'appellera pas le nôtre pour le cuisiner sur une action voyou, entendue chez le voisin d'à-côté. Nos bus seraient à étages et non en boîtes de sardines et on jouerait au cricket au lieu des boules, parce que les boules on en a tous les jours. On irait squatter Londres et Manchester serait le nouveau Marseille et on sifflerait «God Save the Queen», Allah ikhali el malika, à Wembley. On serait victimes de moins de racisme et d'intolérance et on ne se farcirait pas les élucubrations philosophiques de BHL. On regarderait une télé plus intelligente, si ça existe, et une presse plus professionnelle. Un peuple plus ouvert et une nation plus démocratique. Si le dey avait visé juste à côté, l'Algérie n'aurait été ni française, ni anglaise et on parlerait peut-être aujourd'hui, une toute autre langue nationale.