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Avis aux peuples au bois dormant

par Kamel Daoud

Ruses, atermoiements, lenteurs, commissions, consultations, convocations, discours, etc. : vous pouvez épuiser le dictionnaire, cela n'épuisera pas l'évidence : les survivants provisoires au printemps arabe ne réformeront pas. Ils en sont incapables. Ce que la dictature a pris par la force, elle ne vous le rendra pas sur présentation d'une demande manuscrite ou d'une fleur ou autour d'un café. Cela se constate en Algérie, au Maroc ou en Arabie Saoudite. Le Pouvoir est acquis par l'argent et la ruse et on ne voit le monde que comme on est, selon Spinoza.

 Du coup, parce que riche et avare, le Roi d'Arabie Saoudite a interprété la demande de liberté des Saoudiens selon sa grille : il leur a donné un peu d'argent, le leur. Ici aussi, chez le voisin de même. Les réformes arabes sont trompeuses comme leurs décolonisations et leurs élections et leurs promesses. Il n'est pas besoin de métaphore quand on parle d'un hold-up : les systèmes politiques arabes, leurs personnels, leurs idéologies sont impossibles à réformer. D'ailleurs, le chroniqueur l'a dit : une dictature tombe, elle ne se réforme pas. Les ruses actuelles développées par certains systèmes et certains de leurs actionnaires sont d'une étonnante intelligence et d'une habilité de plus en plus grande. C'est la manière d'un virus qui s'adapte.

 On ne peut plus frapper dans le tas ? Pas de souci, un simple attentat «Al-Qaïda» peut immobiliser la rue et donner du souffle au verrouillage policier. On ne peut plus interdire des partis ? Créons des partis qui nous arrangent. On ne peut plus éviter de croiser le peuple dans la rue ? Pas de peine, il suffit de créer un gros brouhaha sur la Constitution à venir, alors que tous savent que le Pouvoir dépend d'un fusil, d'un téléphone et d'un avion qui amène ou qui ramène. Les Occidentaux n'ont plus peur d'Al-Qaïda locale et devinent que c'est une marionnette ? Des grèves autour des puits de pétrole ou des explications par le «c'est moi ou le chaos» leur feront assez peur pour quelques années.

 C'est une évidence qu'il s'agit de ne plus se cacher : les systèmes politiques actuels, basés sur la prédation, la corruption et le mensonge et les polices secrètes, ne s'en iront pas avec des brosses à dents. Ils ne se réformeront pas. Ils ne cèderont que face à la force ou la mobilisation absolue. Ils ne changeront jamais.

 Le cas de Kadhafi n'est pas unique : tous ont la même attitude : plutôt tout brûler que de céder le moindre arpent. Dans l'immédiat, cela veut dire que les partisans des réformes sont de la volaille et des oiseaux apprivoisés et que la peur du chaos pousse vers les plans de Constantine. Cela veut dire aussi que lorsque «cette histoire sera finie» comme le pensent les dictateurs, la répression sera féroce, encore plus sournoise et plus habile.

 D'ailleurs, quand il s'agit d'une révolution, il y a toujours l'une des deux parties qui s'en sort plus forte: le peuple ou ceux qui le possèdent. Conclusions majeures ? Les libérations n'ont pas apporté les libertés. Les révolutions ne sont pas la transition (douce). Les réformes sont un mensonge.

 D'ailleurs, quand on y réfléchit un peu à la manière de la jungle ou du commerce brut, la croyance aux réformes est d'un ridicule qui tue. Si ces gens-là avaient vraiment envie de réformer, ils ont eu déjà un demi-siècle pour le faire et ils ne l'ont pas fait. La conclusion ? Elle s'appelle l'évidence et est la fille aînée d'un œil ouvert marié à un pare-brise nettoyé.