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Il fallait donner la RASD pour «acheter» le match

par Kamel Daoud

Nous n'avons pas réussi le 4 juin (quatre à zéro). Ni le 5 octobre (500 morts contre un seul Président dégommé). Ni le 12 février (des centaines de manifestants contre des milliers de policiers et des milliards de spectateurs). Ni le 05 juillet 62 pour toutes les raisons connues. Ni le 19 juin 65 (Benbella est chassé mais c'est Boumediène qui meurt, ensuite ; Benbella libéré, Boumediène est enfermé dans sa tombe)). Les dates collectives heureuses sont rares.

 Que s'est-il passé hier au Maroc pour les Algériens ? Rien : quand ce sont les vieux qui jouent avec le Maghreb, ce sont les jeunes qui perdent les matchs. L'ego révolutionnaire algérien a pris un coup avec la révolution tunisienne, il a été démodé par la révolution égyptienne, il vient d'être réduit en poudre par la suprématie marocaine. C'est d'ailleurs le seul pays que nous continuons à traiter de haut, avec ce narcissisme régional qui nous fait croire à un droit d'aînesse post-colonial. Le seul pays que nous pouvons faire «chanter» avec une fausse frontière et le seul voisin qui se préoccupe encore des conjugaisons d'Ouyahia ou des avis de décès de fabricants de l'armée des frontières.

 Aujourd'hui, ce voisin vient de nous donner la dernière raclée sportive majestueuse. Cela a du bon : cela permet de réveiller un peu le peuple et de le ramener à l'essentiel : on ne peut pas cacher un échec avec un ballon et faire oublier un Bouteflika avec un M'bolhi.

 Face à la menace de révolte, certains ont cru bon de jouer sur l'émotion des matchs de qualification au mondial contre l'Egypte et ont tenté de créer une sorte de parti Oum Dourmane. Ce parti vient d'être dissous à coups de pieds et ses membres présumés reviennent au sol, à pied, et n'ont rien à faire désormais. Un «rien» politiquement terrible, stratégiquement prompt à tous les coups d'Etat, lit vertical des révolutions et vide que ne peuvent combler que la décapitation et la destruction.

 Le système.dz a réussi à isoler le CNCD, à payer les chômeurs, à promettre des logements et à corrompre les espoirs, mais il ne peut pas acheter un match. Même Moubarak n'a pas pu offrir un tel cadeau à son fils. Cela se vend rarement et reste très aléatoire comme promesse. Du coup, on s'imagine notre triste sort : on ne sait plus rien faire, ni match, ni révolution, ni jeu, ni Etat, ni réformes, ni exode. C'est un pays qui ne prend plus son pied, mais celui des autres, au bas de la colonne vertébrale.

 Saadane a réussi un peu à faire oublier l'ennui national, mais cela n'a pas suffi. Aujourd'hui, on est en plein dedans du vide national, sans but, ni filets, ni gardien, ni rien et cela se comprend : les vieux DZ ont réussi à faire vieillir ce peuple de jeunes, à le vider de ses élans, à lui faire attendre l'au-delà avec plus de ferveur qu'il n'attend le sourire de la belle voisine, à le talibaniser, à le «doubler» au point où son équipe nationale semble jouer du cricket dans des stades de foot.

 Ce fut donc un beau match avec le Maroc : il montre de quel côté se trouve le zéro, qui en est l'auteur, qui y est enfermé, qui le trace au-dessus de nos têtes, qui le multiplie à l'infini et qui veut nous faire croire que c'est un huit qui a oublié de serrer sa ceinture.