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Si vous n'avez rien à faire, allez discuter avec Bensalah

par Kamel Daoud

Association nationale pour le sauvetage des baleines d'El-Bayadh. Confédération des gens assis. Organisation des indicateurs de croissant de lune? La commission Bensalah a perdu, au fil des convocations, cette crédibilité que lui avaient donnée les temps graves et le poids de la crise ou les attentes des Algériens. Aujourd'hui, n'importe qui peut y aller et cela a créé un effet repoussoir sur les vrais acteurs de la vie nationale, ceux capables de proposer quelque chose de concret et d'utile pour la terre de tous.

 Dans une sorte de tourbillon psychotrope, le système se retrouve «piégé» par une armée d'effets spéciaux qu'il a lui-même créés pour se protéger contre la vie réelle. Il ne peut discuter qu'avec lui-même et cela ne s'appelle pas une conversation mais une gastrite ou un acte solitaire. A lire la presse, on peut même être tenté par l'amusement : tous ou presque des gens qui vont là-bas prendre le café sont des créations pures du système lui-même, sont nourris, tolérés ou fabriqués par lui. Tout le monde sait ce que valent les syndicats d'étudiants censés représenter les jeunes en leur volant la parole. Tout le monde sait qui est le père naturel de l'UGTA et c'est la semelle de qui. Tout le monde sait qui achète les pantalons de certains petits partis qui ont servi au dialogue national de 94 et à meubler les dernières élections.

 L'évidence est celle d'un mépris que cachent à peine les moustaches d'Ouyahia et d'une insolence qui ose remplacer la quête de l'espoir par un dessin animé pour vieux. La commission Bensalah incarne un peu cette fourberie des régimes arabes qui découvrent, après un moment de panique, qu'ils ont les armes, l'argent et les larbins et que la révolution n'est pas une menace mais une transaction. Au «que veut le peuple ?», on oppose «combien voulez-vous ?». Déjà dit mais il faut le répéter.

 Car au fond, et pour être sincère, il n'y a plus rien à dire sur cette mascarade. Il n'existe plus aujourd'hui ni droit, ni espoir, ni institutions, ni revendications, ni organisations, ni vie politique. Il y a le Pouvoir et ceux qui ne le peuvent pas. On règle les différends par les coups de pieds des polices ou le harcèlement judicaire. La dernière illusion, celle d'une possible transition dictée par l'urgence régionale et par le printemps arabe et l'épuisement physique des vieillards, vient de crever comme une bulle de savon dans la mâchoire d'un crocodile. Dans cette commission, on retrouve déjà un peu les traits grossiers des restes des dictatures arabes : la fourberie technique de Ali Salah le Yéménite, le comique désastreux de Kadhafi, le cérémonial pompeux de Moubarak, la schizophrénie des centres de décision de Bachar contre les Assad, le bavardage trompeur des trois derniers jours de Ben Ali.

 Sauf que dans le cas algérien, comme déjà écrit, on ne tue pas le poule mais on tue le temps. Donc, si vous n'avez rien à faire, si vous avez un moment creux dans la paume, une journée sans emploi ni caresses, des heures à perdre avant votre tour chez le coiffeur, allez parler dans cette commission : dites n'importe quoi car c'est le but, prenez le café car il est gratuit, évoquez des souvenirs car c'est le marathon préféré des vieillards. Puis proposez n'importe quoi, car le futur est en solde et ces gens-là calculent sur les dix ans qui leur restent, pas sur le temps qui reste à vivre pour ce pays millénaire.