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Nuitée

par El-Guellil

« Ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer mamanière de voir ni celle de me comporter. Jdoudna, nos ancêtres, étaient comme ça, nos pères et mères aussi. Le fait qu'on ait fréquenté l'école ne nous donne par le droit de faire fi de nos us et coutumes !».

Elle était vêtue d'un ensemble signé par les grands de la couture. Maquillée très discrètement, son parfum envahissant embaumait tout le couloir où elle se postait comme «un chambitte», au seuil de la chambre où s'enfermait le jeune couple pour consommer leur première nuit de noces.

«Quand je dis qu'ils montrent el-kmedja, ils la sortent et c'est tout !». Son interlocutrice, la mère de la mariée, femme d'un certain âge, tentait de la raisonner. Elle fit appel à une foule d'arguments pour la convaincre que la combinaison, qu'elle insistait à voir et à vouloir montrer à tous, ne pouvait pas influer sur le bonheur du couple, et qu'à la limite, elle violait son intimité et cautionnait un acte barbare.

«El-gachoura» ne voulait rien savoir. Elle fit appel à la plus aiguë de ses cordes vocales, celle qu'elle utilise quand elle veut prendre le dessus dans une rixe entre voisines.

«Ah bon ! Vouloir s'assurer que son frère a épousé une fille sérieuse devient un acte barbare ? C'est tout ce qu'on mérite ? Ammala, puisque c'est comme ça, je ne bougerai pas d'ici tant que... Ouelli kane ikoune !». Et elle se remet de plus belle à cogner sur la porte de la chambre de noces, criant sa complainte... «Ali khouya, kounek radjel... Réponds-moi... Tes copains attendent et ta famille aussi...».

La porte s'ouvre et sortent les deux mariés. Ils étaient en tenue de ville, tenant chacun un sac de voyage à la main. Ils embrassent «el-gachoura», lui disant : «On t'écrira. La voiture nous attend, on part en voyage de noces».

Blême, notre «gachoura » sort son mobile dernier cri. Elle compose un numéro : «Désolé, le numéro que vous demandez ne répond pas. L'appareil doit être éteint ou hors champ? ».