Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'arme de destruction massive contre le terrorisme, la justice !

par Brahim SENOUCI

De multiples versions ont été données sur les circonstances de son exécution. On nous a ainsi expliqué que le corps avait été immergé en haute mer, dans le respect? de la tradition musulmane ! Un simple coup de fil à l'imam de Times Square aurait permis de faire l'économie de cette stupidité.

On nous a expliqué aussi que le choix de l'immersion a été dicté par le fait qu'aucun pays n'avait accepté de recevoir sa dépouille, prétexte aussitôt annulé par le suivant, qui mettait cette initiative sur le compte du souci de ne pas offrir à Ben Laden un lieu de pèlerinage pour ses millions de fidèles et lui donner ainsi les moyens de continuer de nuire post mortem. Il a été question d'une femme ayant servi de bouclier humain, puis la femme a disparu du paysage.

L'assaut s'est effectué sur une immense villa «ultra sécurisée» par des hauts murs et du fil de fer barbelé, techniques en vogue au quatorzième siècle? De plus, cette propriété avoisinait celles de multiples retraités de l'armée pakistanaise et de services de cette même armée. Voici des généraux ayant servi pour un pays gouverné de fait par ses services secrets, rompus aux guerres de l'ombre, ayant vécu dans le voisinage d'une maison hérissée de fils de fer barbelés, une maison ne connaissant ni entrée ni sortie, dépourvue de poubelle, de téléphone. Et ces généraux font preuve d'une discrétion digne d'épiciers anglais en ne se posant aucune question !

Pas de prisonniers, annonce la Maison Blanche. Personne ne se serait rendu ? Que sont devenus les enfants dont on peut supposer la présence dans l'édifice au vu des jouets qu'exhibe complaisamment la caméra de CNN ? Que sont devenues les femmes qui devaient s'en occuper ? Ou alors, y a-t-il eu un massacre délibéré de l'ensemble des occupants du lieu ?

Cerise sur le gâteau : La quasi-totalité de l'exécutif gouvernemental étatsunien, Obama en tête, a vécu en direct l'opération à la télévision ! Quelqu'un leur a-t-il demandé ce qu'ils ont vu ou entendu ? Les images étaient-elles floues au point de croire voir un dangereux gangster caché derrière une femme ? Leurs facultés visuelles étaient-elles altérées au point de les rendre incapables de nous dire comment s'est effectué l'assaut, combien de personnes comptait la demeure, ce qu'ils sont devenus? ?

Peut-être aurait-on dû confier la traque de Ben Laden à Dupont et Dupont. Ils n'auraient pu faire pire?

Tout cela laisse un sentiment de malaise. Bien entendu, il convient de se réjouir de tout ce qui peut être de nature à faire baisser la menace terroriste. Je connais trop les dégâts qu'elle a occasionnés, en Algérie notamment, pour ne pas saluer toute initiative allant dans ce sens ? Est-ce le cas de celle dont il est question ici ? La mort, dans des conditions opaques, de Ben Laden ne sert-elle pas plutôt la vengeance d'un peuple que la justice ? N'aurait-il pas été préférable de lui épargner la vie et de se servir de son procès pour établir aux yeux du monde la logique qui pousse au terrorisme ? Il se serait défendu face à l'assaut de sa villa, paraît-il, et il a fallu l'abattre, nous serine-t-on, juste après nous avoir affirmé que les soldats avaient ordre de le tuer? Vaste plaisanterie. Les Etats-Unis ont été au Panama, pays souverain, s'emparer sans coup férir de son président, Noriega, pour le mettre dans une prison étatsunienne !

Il est vrai que, si Ben Laden avait été pris vivant, il aurait pu parler, entre autres, de l'époque où il combattait sous la bannière étoilée dans les maquis afghans, contre le communisme athée. Il est vrai que, même si le monde le condamne, les raisons qu'il invoque pour avoir emprunté la voie de la violence aveugle restent valides.

Il aurait pu sans doute demander des comptes sur les mensonges qui ont fait de lui l'allié d'un Saddam qu'il haïssait pour justifier l'invasion de l'Irak, la mort de dizaines de milliers d'innocents et le démembrement d'un pays naguère prospère. Il aurait même pu, de manière ironique, reprocher aux Etats-Unis d'avoir mis dix ans à le débusquer et d'avoir mis l'Afghanistan à feu et à sang alors qu'il se prélassait dans une villa cossue au beau milieu d'un aréopage d'officiers pakistanais à la retraite.

Je retiens l'explosion de joie de New York. Dommage qu'elle n'ait pas été davantage contenue. S'il faut déplorer les victimes du 11 septembre, et se battre pour que justice leur soit rendue, il faut aussi se souvenir de toutes les autres victimes, non moins innocentes, tombées sous les coups des Etats-Unis et de leurs alliés.

Il faut se souvenir de ces peuples qui, à l'instar du peuple palestinien, souffrent depuis des décennies en réclamant en vain la justice, en vain parce que les Etats-Unis et leurs alliés s'opposent à cette demande.

Aux foules joyeuses de New York, je voudrais leur demander de surmonter leur douleur passée et s'engager dans un combat pour que plus jamais un 11 septembre soit de nouveau possible, pour que plus aucun jeune garçon ne soit travaillé par la tentation du désespoir et de la violence.

La recette ? Facile ! Un Seul Monde ! Une Seule Justice !