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Une suite au discours de Dakar: Sur l'incapacité de l'Occident à revenir dans l'Histoire

par Brahim Senouci

Pendant des siècles, l'Occident a pu prospérer et s'étendre au détriment de peuples qu'il avait réussi à asservir grâce à sa puissance de feu. Le contrôle qu'il exerçait sur ces populations a évolué, sans jamais disparaître, d'une forme militaire brutale à l'utilisation de relais locaux auxquels étaient confiées les basses tâches de police. C'est ainsi que l'Occident a pu se développer et assurer le bien-être et la sécurité des siens. Il y eut bien sûr quelques épisodes fâcheux. Des soulèvements venaient de temps à autre perturber ce bel ordonnancement. Il fallait alors faire tonner les canons et pleuvoir les bombes et tout rentrait dans l'ordre. Il y avait aussi des querelles internes au camp occidental à propos du partage du butin et de l'espace. Elles se réglaient par les armes et les pays impliqués ne se privaient pas de prélever la chair à canon de leurs colonies.

Assis sur cette confortable rente séculaire, l'Occident se persuada qu'il en disposait pour l'éternité. Le reste du monde était ad vitam aeternam voué à servir ses intérêts. Il était perçu comme ontologiquement inapte à la maîtrise de son destin. Il fallait juste sortir de temps à autre le gourdin pour calmer ses poussées de fièvre.

Le monde Arabe, notamment, représentait sans doute sa plus belle conquête. Comment ne pas le penser? Pourvoyeur d'énergie à très bon marché autant que producteur de satrapes sanglants trop heureux de jouer les supplétifs en massacrant eux-mêmes leurs peuples, il évite ainsi à leurs maîtres l'inconfort moral d'une intervention directe.

Et puis, les choses ont changé. Ce monde vacille. On aurait pu le prévoir. Qui pouvait croire que le monde Arabe, riche d'une civilisation qui a éclairé le Moyen-âge quand l'Europe vivait dans la saleté et la barbarie, pouvait se contenter du rôle de l'éternel lampiste? Il fallait un aveuglement singulier de la part de l'Occident pour qu'il ait pu imaginer la pérennité d'un monde voué à son service.

C'est de cet aveuglement que l'Occident refuse de sortir.

Au moment où le monde arabe enfonce les portes pour réintégrer l'Histoire, l'Occident en sort et montre une incapacité manifeste à y revenir. Il essaie en vain d'appliquer le vieil adage de Clémenceau: «Quand des événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs». Après avoir soutenu ses supplétifs jusqu'à l'extrême limite, il fait mine de soutenir les mouvements populaires avec l'arrière-pensée de rester maître du jeu. Il multiplie les injonctions contre les dirigeants alors même que leurs peuples les ont déjà déchus. Il s'essaie à l'humanitaire alors qu'il a laissé mourir dans une parfaite indifférence les Palestiniens, les Congolais, les Irakiens. Qu'il est pitoyable de faire mine de découvrir la corruption d'un Ben Ali ou d'un Moubarak après avoir accepté d'être comblé de leurs bienfaits!

Oui, l'Occident n'a pas compris. Des siècles de domination injuste l'ont rendu incapable de lire l'Histoire avec une autre grille que la sienne, vermoulue et obsolète. C'est lui qui est victime, presque de manière ontologique, de comprendre le monde et de revenir dans l'Histoire.

Peut-être, dans quelques décennies, verra-t-on un ministre africain en visite dans une capitale de l'Occident se lamenter sur cette incapacité qui empêche l'Occident de jouer un rôle dans la marche du monde. Des intellectuels africains se diront scandalisés par ce discours. Puis, ils se souviendront des siècles de colonisation et d'esclavage qui ont produit une Histoire, naguère, où ils n'avaient aucun part dans le devenir du monde. Peut-être alors aideront-ils un Occident vieillissant à reprendre pied et à participer à égalité avec le reste de l'Humanité à la marche du monde.