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La lubie de Kadhafi

par El Yazid Dib

Kadhafi est une étrangéité qui vogue dans un  cosmos créé par ses propres fantasmes. Il n'est ni président, ni roi. Sinon il aurait jeté sa démission ou remis son trône, disait-il à son peuple. «Je suis un guide, je suis là pour l'éternité», il leur affirme qu'ils doivent le sacraliser en qualité de gloire arabe, musulmane, africaine et américano-latine. Enfin une espèce de messie tiers-mondialiste. Il n'arrive pas à comprendre ce qui se passe dans la cavité de son peuple. Il semble que la surdité l'a atteint à tel point qu'elle cause en son livre vert des blogs noirs indéchiffrables par les clefs dont il est le seul à en avoir possession. Le système de lecture lui refuse l'accès.

 Sa révolution, pour ce peuple, est une partie ternie de l'histoire post-69. Les raisons génésiaques à son soulèvement se sont toutes estompées. Le roi Idriss est parti. Il est vite remplacé par un autre s'appelant autrement. Son Etat n'est pas une constitution. Son parlement n'a pas de partis. L'expression populaire, à son sens, ne se débite qu'à travers la voix du maître. Du guide. Une tentative à la Ayatollah. Agissant sous la pression de livres jaunis d'histoires légendaires, le guide veut défier l' «ultériorité». Il veut forcer le sort à lui réserver contre vents et marées une issue des plus mythologiques.

 Khadafi compte devenir une marque de révolution. Il ne veut donc pas qu'elle soit déposée. L'exclusivité. Il a fait de cette pauvre contrée une hérésie, une blague à dimension étatique. Kadhafi ne rougit pas. Il a une tête osée. Un visage dur. Shih. Son bégaiement laisse transvaser un récit vers un délire personnel pris pour un régime politique. Il le fait croire, à coup de barils, à tous les courbeurs d'échine. Contre un baril de plus, il obtient une motion de soutien.

 La révolution version Facebook aura lieu également en Libye. Kadhafi est en phase de mener son dernier combat. L'ultime, qui lui reste de ce reliquat de 1969. Le monde a changé. Les révolutions aussi. Son discours menaçant et belliqueux laisse apparaître «la danse de l'égorgé». Il s'est dit «fusil à la main, je mourrai en héros». Même l'héroïsme d'antan n'est plus de mise. Le temps des Patrice Lumumba, Ernesto Che Guevara, Nelson Mandela, Fidel Castro et autres, est une page, certes merveilleusement héroïque, mais tournée.

 Comme dans chaque corps arabe repose l'âme d'un prince, le dirigeant arabe s'attelle toujours sans parvenir à vouloir par mystification, duperie ou parodie, à égaler qui le tonnage emphatique de Bourguiba, qui l'auréole historique de Gamal Abdenasser, qui l'apogée épique d'Omar El Mokhtar, qui le charisme nationaliste de Boumediene.