Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Test historique pour les Frères musulmans

par Oualid Ammar

Depuis quelques semaines, les états-majors politiques, militaires et médiatiques occidentaux pistent, de l'Atlantique à l'Euphrate, l'onde de choc de la « révolution du jasmin ». La plus grosse réplique qu'ils subissent, eux-mêmes, actuellement est celle de l'entrée en scène des Frères musulmans en Egypte. Ciel ! Encore, les islamistes, s'est-on exclamé à Washington, Paris ou Londres. Pendant plus de trente ans cet Occident, allié d'Israël, et chantre de la démocratie a applaudi ou fermé les yeux sur la répression par le régime Moubarak de ce courant politique ancré dans la société égyptienne depuis le début du 20ème siècle.

D'ailleurs, les Américains avaient fricoté avec ce courant pour essayer, alors, de freiner l'avancée du mouvement nationaliste nassérien. Cette collaboration n'a semble-t-il pas duré car les Frères musulmans ont ensuite recentré leur combat sur la cause palestinienne, devenant de fait l'ennemi de Tel-Aviv et de son allié stratégique, Washington.

 Ils se sont heurtés aux régimes de Sadate, puis de Moubarak lesquels ont finalement bien travaillé en servant de rempart avancé au bunker israélien. Les senteurs du jasmin tunisien ont à présent balayé la place Tharir ainsi que la représentation israélienne dans la capitale égyptienne. Elles ont mis les Frères musulmans, officiellement interdits, en position d'interlocuteur du régime. Ce n'était pas arrivé depuis un demi-siècle. Ils négocient pied à pied. Le projet de créer un comité comprenant le pouvoir en place et des opposants pour préparer des réformes constitutionnelles est insuffisant, a déclaré Mohamed Mursi, haut responsable des Frères musulmans, lors d'une conférence de presse dimanche au Caire.

 Pour le moment, les Américains ne sont pas frontalement hostiles à leur émergence sur le terrain officiel. Le président Barack Obama, tout en précisant que « certaines tendances de leur idéologie sont anti-américaines », a estimé que les Frères musulmans ne sont qu'une des factions égyptiennes, certes bien organisés, mais sans un soutien majoritaire dans le pays. Tout en essayant de minimiser le rôle et l'influence des partisans contemporains de Hassan El Banna, la Maison Blanche fait implicitement pression sur Tel-Aviv. Le régime sioniste fait la loi dans la région et tente, de plus en plus souvent, des échappées très mal perçues à Washington. Que ce soit vis-à-vis de la question palestinienne que du dossier iranien. L'Administration américaine ne semble pas admettre qu'un vieil allié lui force la main. D'où cette sortie de Hillary Clinton : « Les Etats-Unis refusent de préjuger de l'avenir des Frères musulmans ».

 Même si cette phrase est à double sens, c'est aux Frères musulmans de jouer. D'abord, en n'effrayant pas les Américains et par extension l'Occident. C'est-à-dire en évitant d'être cet éléphant qui foncerait sur un magasin de porcelaine. Sans abandonner le soutien à la cause palestinienne, dans le cadre de la transition démocratique, ils pourraient être cette locomotive qui œuvre à construire avec les autres forces politiques égyptiennes une société fondée sur le respect des règles de l'Etat de droit (justice, police, presse), de la représentation politique, y compris des minorités ethniques ou religieuses, et une libre participation à la décision politique. Ils feraient la démonstration que la démocratie s'adapte parfaitement à l'Islam. C'est peut-être le moment, après avoir renoncé à la voie armée pour accéder au pouvoir, pour la nouvelle génération des Frères musulmans de s'inspirer des trois fameux manifestes qu'ils ont adoptés dans les années 90 pendant que l'Algérie vivait sa « tragédie nationale ». L'un sur « l'indispensable démocratie » ; l'autre sur les droits des minorités, notamment de « nos frères et compatriotes coptes » ; et le troisième sur « le statut de la femme », ces textes réveillés par le jasmin tunisien peuvent être portés à présent par les clameurs déterminées des gens du Nil pour contribuer à donner naissance à une dynamique politique inédite dans ce pays pivot qu'est l'Egypte. Le test est historique.