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CAUCHEMAR TUNISIEN

par K. Selim

Le sommet des chefs d'Etat arabes dans la station balnéaire de Charm El-Cheikh se tient dans une ambiance particulière. Des informations non confirmées laissent entendre que le ministre tunisien des Affaires étrangères aurait quitté précipitamment la station balnéaire égyptienne, car il était excédé par les remontrances de ses homologues. Le comble pour un ministre RCD dont la présence dans le gouvernement de transition est très contestée par les Tunisiens. Ce qui est sûr est qu'il serait parti sans aucun respect des formes protocolaires d'usage.

 Que ce psychodrame se confirme ou non, il est clair que la révolution tunisienne est devenue un cauchemar pour les dirigeants arabes. L'errance de Ben Ali avant son atterrissage en Arabie Saoudite montre que les autocrates peuvent être soutenus par leurs protecteurs occidentaux jusqu'à la dernière minute de leur pouvoir mais pas une seconde de plus. Le lâchage français de Ben Ali est d'une grande éloquence. Les dirigeants arabes ne se sont guère empressés de se prononcer sur la révolution tunisienne, quelques-uns se contentant d'un message minimaliste au président tunisien par intérim.

 La réunion balnéaire est censée, encore une fois, réfléchir à des réponses économiques pour préserver l'ordre politique actuel. Elle ne cherche pas réellement à saisir le message profond de la chute de Ben Ali. Celui de l'immense retard politique du monde arabe. Charm El-Cheikh est dominée par la révolution tunisienne et les questions qu'elle pose à des systèmes répressifs et globalement inefficaces. L'insurrection populaire tunisienne renvoie une image effrayante à un leadership arabe vieilli, et qui n'a d'autre recours pour bloquer les changements que d'acheter la paix sociale avec du blé subventionné ou de détourner l'attention des opinions sur des sujets aussi secondaires qu'un match de football.

 Les achats massifs de céréales sur les marchés internationaux en disent long sur les inquiétudes de leaders affolés par le précédent tunisien. Ils devraient pourtant cesser de ne voir dans leur population que des tubes digestifs qu'il convient d'alimenter pour continuer à gouverner en rond. Il est d'ailleurs remarquable d'observer que les médias occidentaux accréditent cette logique en attribuant aux dimensions économiques du mal-être arabe l'origine de tous les maux. C'est un peu, avec l'obsession anti-islamiste, le cliché occidental sur les Arabes.

 Le secrétaire général de la Ligue arabe, une structure sans poids ni influence, ne dit pas autre chose. Pour les directions arabes et leurs soutiens externes, les révoltes qui secouent la région ne sont que l'expression de bouches affamées ou, au pire, de clientèles déçues. Il s'agit donc de faire face à une « révolte du pain» qui s'exprimerait sous des formes plus ou moins intenses du Golfe à l'Atlantique. Au sommet égyptien, il est donc question d'argent à distribuer à des plèbes impatientes et de subventions pour éteindre une colère incendiaire. L'erreur de diagnostic est également dans l'ordre des choses. On voit mal les dirigeants arabes reconnaître que l'origine première de la crise du monde arabe est celle d'une gouvernance antidémocratique fondée essentiellement sur la répression et la négation des libertés. De manière aveugle, on continue de croire qu'une affectation optimale des ressources est possible sans gouvernance démocratique. Le réveil sera dur.