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Tunis: les dictateurs «arabes» favorables à un chaos dissuasif

par Kamel Daoud

« J'ai peur», a expliqué,hier, une Algérienne, au chroniqueur. De quoi ? De l'échec possible de la révolution tunisienne. En clair, «si la transition échoue chez nos voisins, il faut dire adieu à tout espoir de démocratisation pour trente ou quarante ans chez nous». Et c'est vrai: les régimes, de l'Egypte au Maroc en passant par l'Algérie, vont peser de tout leur poids sur nos fragiles voisins pour faire échouer le Jasmin sous la menace. C'est une question de survie pour les «monarchies» et les officines. Il ne faut pas que les Tunisiens réussissent une démocratie si près, même s'il faut y employer «le subversif», l'illégal, la barbouzerie, les faux complots et les vrais attentats. Le clownesque Kadhafi, dont les TV diffusent en boucle les images du chaos tunisien pour créer la frayeur, l'a bien compris: il faut vite faire peur au peuple local avec la menace du désordre, peser sur les faits et les esprits et mettre ce pays fragilisé sous la botte.

 Les échanges de «Services», d'envoyés et de coups de téléphone sont aujourd'hui intenses au Maghreb et dans le monde arabe pour faire crever le Jasmin et limiter les dégâts. Il faut rétablir la règle de la dictature dans la région. Et c'est pour cette raison que les enjeux de la transition tunisienne sont énormes. Aussi énormes que l'ont été les conséquences de la révolution française sur les monarchies européennes à l'époque.

 Et pour parler de la France, il faut aussi rappeler qu'un pays arabe démocratique n'irrite pas seulement les pinocheddines locaux mais aussi les prédateurs occidentaux. La France de Sarkozy a exprimé clairement ce qu'elle pense du printemps des peuples quand il s'agit de garder le contrôle sur une ancienne colonie par le biais d'un tirailleur assassin. Une démocratie arabe ne «sied» pas à l'équilibre des régions et signifie une équation inconnue pour la sécurité des approvisionnements énergétiques ou la tradition de la tutelle. Si le monde «arabe» devient un monde de démocraties, cela signifie moins d'influence, moins de pouvoir, moins d'argent sous la table des continents, moins de parts de marchés pour raison de soutiens diplomatiques. C'est vous dire que ce jeune pays, qui n'a pas encore une semaine d'âge, a presque tout le monde contre lui. C'est vous dire que tous s'attendent, veulent, insistent pour que l'échec soit rapide et total avec «l'émergence» d'une menace islamiste concoctée, une caserne en secours de la république et un chaos dissuasif. C'est vous dire que cette Algérienne qui a peur a raison: ce n'est pas le destin des Tunisiens qui est en jeu, mais le nôtre, celui de nos enfants et de nos avenirs.

 Imaginez une wilaya où des émeutiers ont réussi à chasser le wali, reprendre les voitures de service que sa femme utilisait pour les siens et faire se «retourner» les «gardes communaux» et le délégué à la sécurité et investir le Palais du peuple pour y faire loger le peuple. Imaginez que cette wilaya ait la surface d'un pays et vous comprendrez comment le Pouvoir local et ses frères jumeaux voient la Tunisie aujourd'hui et ce qu'ils comptent faire pour y faire revenir l'ordre, c'est-à-dire le leur.