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UN LIBYEN A ROME

par K. Selim

Les visites officielles à l'étranger du Colonel Kadhafi sont toujours l'occasion d'un spectacle qui rompt, avec plus ou moins de bonheur, avec le ronronnement diplomatique d'usage. La dernière sortie italienne du Guide de la Jamahiriya a confirmé la tradition en suscitant des réactions diverses de la part des dirigeants politiques du pays hôte.

 Bien entendu, ce sont les considérations spirituelles de Mouammar Kadhafi devant un parterre de jeunes filles qui ont provoqué les réactions des journaux de la péninsule. Face à un auditoire de 500 jeunes femmes sélectionnées par une agence d'hôtesses et rémunérées à hauteur de 80 euros chacune, selon les médias italiens, le leader libyen a invité l'Europe à se convertir à l'Islam et a insisté sur le fait que la religion musulmane devait devenir celle de l'ensemble du Vieux Continent. La levée de boucliers a été immédiate et le Premier ministre Berlusconi a bien du mal à relativiser le propos de son invité en haussant les épaules et qualifiant la proposition de conversion à du «folklore».

 Des associations féministes se sont indignées de cette manifestation où les jeunes personnes invitées étaient tenues «d'être belles et de se taire», tandis qu'une influente association proche du président de l'Assemblée nationale, Gianfranco Fini, a déploré que l'Italie soit devenue le «Disneyland de Kadhafi».

 Rien de nouveau malgré tout dans la tradition peu protocolaire mais bien installée du leader de Tripoli. Ces déclarations, pour provocatrices qu'elles aient pu paraître, ont eu néanmoins pour effet d'occulter une autre proposition, bien plus prosaïque, de Mouammar Kadhafi. Lundi, lors d'une visite à Rome, Mouammar Kadhafi avait déclaré que pour «stopper» l'immigration clandestine et éviter une Europe «noire», «la Libye, soutenue par l'Italie, demande à l'Union européenne au moins 5 milliards d'euros par an». Cette proposition a été formulée en présence de Silvio Berlusconi.

 Une réponse favorable à la demande libyenne est dans l'intérêt de l'Europe, qui, sinon, «demain, avec l'avancée de millions d'immigrés, pourrait devenir l'Afrique», a insisté le colonel Kadhafi, lors de la commémoration du deuxième anniversaire du traité d'amitié bilatéral destiné à mettre fin au contentieux colonial.

 La Commission européenne a refusé hier mardi de commenter la demande libyenne, préférant insister sur le «dialogue» et la «coopération» avec Tripoli pour résoudre le problème de l'immigration clandestine africaine. La formulation libyenne, pour brutale qu'elle puisse paraître, traduit un point de vue de «bon commerçant». Pourquoi continuer à assurer un service de garde-frontières de la citadelle Europe sans être rémunéré et au nom de quoi les pays riverains de la Méditerranée devraient se charger du «containment» des candidats sans cesse plus nombreux au départ vers une Union dont la prospérité attire irrésistiblement ceux qui n'ont plus rien à perdre ?

 Le problème que met en exergue, à sa façon très particulière, le Guide libyen est une réalité appelée à prendre des proportions croissantes, compte tenu des conditions effroyables que vivent au sud du Sahara des populations à très forte dynamique démographique. Certes, le rapatriement des immigrés clandestins coûte cher aux pays de la rive Sud.

 La formulation, pour le moins abrupte de Kadhafi, a un seul mérite : rappeler que l'Europe doit non seulement partager ce fardeau mais également et surtout assumer ses responsabilités en participant efficacement au décollage économique des régions de départ des candidats à l'exil. Il n'est malheureusement pas sûr que ce message ait été reçu.