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Messali refoulé de son propre aéroport

par Kamel Daoud

Selon des journaux, une conférence autour de Messali, mort il y a 36 ans un 03 juin, n'a pas été autorisée dernièrement à Tlemcen. Sans explication mais avec une explication que chacun peut se fabriquer dans sa tête : il y a trop de martyrs convoqués ces temps-ci et l'Algérie officielle a autant de problème avec sa mémoire que l'ancien colonisateur. Messali a bien servi durant une première campagne électorale et il « a eu un aéroport ». Donc on n'a plus besoin de lui aujourd'hui. Il a été appelé, embrassé, cité dans un discours présidentiel puis renvoyé vers l'au-delà. C'est l'usage habituel que l'on fait des martyrs ou pères fondateurs de la nation. Du coup, il y a quelque chose qui se révèle : les morts sont enfermés dans des kasmas cosmiques et peuvent être rappelés quand on a besoin d'eux. Pas pour faire l'histoire mais pour un usage limité et ciblé. Abbane a un club qui l'utilise comme un label d'eau minérale. Messali a servi dans une campagne électorale. Amirouche sert à un livre mais aussi à des rebondissements incestueux. Larbi Ben'Mhidi aurait pu servir s'il n'avait pas été tué deux fois par le général français Aussaresse. Donc, et pour revenir à Messali, celui-ci n'est pas autorisé à revenir quand il veut. Il est revenu, il a vu, il a voté, il doit s'envoler. C'est dire que la grâce et la disgrâce peuvent toucher même un mort qui peut décrocher ou perdre un badge comme n'importe quel militant. Un moment, c'est tel Chahid qui est à l'honneur, à tel autre, c'est un autre qui a droit à un court séjour sur terre au lieu de marmonner en dessous. C'est pourquoi l'histoire algérienne n'est pas un livre stable mais une sorte de pamphlet co-rédigé par les adversaires de la génération qui nous précède. Nous, enfants nés après la mort de Boumediene et mal convaincus par les manuels scolaires, ils nous est difficile de déchiffrer les sous-entendus dans les propos de nos aînés quand ils s'insultent et se disputent. Nous ne comprenons ni leurs régionalismes persistants, ni leurs craintes du complot, ni leurs phrases à tiroirs. Cela les concerne eux, vivants ou morts, au point où l'histoire de tout un pays est devenu le journal intime d'une seule génération. Dans cinq ans, Messali pourra être autorisé, expulsé ou même obtenir un port après l'aéroport. Amirouche pourra être enterré ou même élu sénateur. C'est dire que même mort, on n'est pas à l'abri de sa propre tombe dûment acquise.

 Comment convaincre les vivants de la valeur de la vie, si même les morts sont traités comme des urnes infidèles ? On ne sait pas. Quand le vivant doute, les morts persistent et reviennent. C'est ce que disent les spirites impossibles. Et, du coup, on cède à une rêverie dantesque, sur l'au-delà : une sorte de spectacle infernal de jugement dernier où les martyrs algériens, les survivants de la guerre, les traîtres et les héros de la guerre feront salle à part, dans une sorte de conférence de la Soummam sans fin, s'accusant jusqu'à épuiser des éternités, se lançant des insultes, exhibant des documents des archives françaises, s'empoignant par le col des âmes, fouillant les postes TSF et les télégrammes de Gardimaou. Un gigantesque règlement de compte dans une sorte de purgatoire tibétain des âmes qui se soldera par un décompte précis des martyrs, le rapport d'un CTRI post mortem et un solde de tout compte de cette guerre de Libération qui a eu un étrange résultat : des morts qui ne reposent pas en paix et une libération qui n'a pas apporté la liberté.