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La Rissalat du Sahel ou le néo-terrorisme

par Kamel Daoud

Qu'est-ce qu'un terroriste aujourd'hui, pour nous, chez nous ? Il n'est déjà plus tout à fait islamiste, mais déjà mieux dealer ou vidéaste-internaute-guide au Sahara et échangeur de vies. Le «terroriste» aujourd'hui ne veut pas un Etat islamiste à Alger ou Nouakchott, il veut un peu moins (pour cause d'infaisabilité) un califat à Washington DC. Ne pouvant pas aller à Kaboul qui appartient à tout le monde aujourd'hui et surtout au plus armé, il ne peut pas aller en Palestine par peur d'être infiltré puis tué au Qatar. Il ne peut pas frapper en Libye où Kadhafi frappe plus vite et paye mieux. Ni aller à La Mecque qui est capitale de Dieu, pendant que Riyad est capitale des Américains sur place.

 Avec une vocation trouble et un échec évident au nord, le terroriste est donc obligé depuis des années de revenir vers le désert, là où les premiers prophètes cherchaient et entendaient Dieu, alors que lui y cherche des touristes blancs à prendre et à revendre.

 Un bon «irhabi» ne fait plus dans les massacres de masse car les massacrés savent aujourd'hui se défendre, ni dans les faux barrages organisés car les routes sont devenues dangereuses pour lui et pas pour ses victimes. Et dans l'équation alimentaire, vaut mieux capturer, pour lui, un Allemand vivant que tuer dans le dos un policer à Boumerdès, chose qui fera mal à la mère du policier et pas à l'Etat d'Alger ou de Bamako. Converti de l'alimentation générale à l'alimentation touristique, le irhabi est donc obligé de se créer un pays là où son pays d'origine est faible et de revoir ses fatwas pour les convertir en fatwas bio : la drogue est licite pour un terroriste au sud et est illégale au nord. Au nord, les populations sont pour lui impies, à l'extrême-sud, elles sont tribales. Au sud, Dieu est grand et l'Etat est petit, donc tout est possible.

 D'ailleurs, beaucoup de stratèges ne l'avaient pas compris alors que c'était évident : l'avenir de tout terroriste qui parle à la place de Dieu est dans le désert. Dans son imaginaire livresque, inspiré de l'Arabie Saoudite et du film d'Errissalat, le Sahara est le commencement de toute histoire de conquêtes islamistes. Les monothéismes sont nés dans le désert, le GSPC, le BAQMI et Mokhtar Benmokhtar en feront de même et y viendront renaître en révisant leur stratégie. Dans le désert, un policier peut manquer d'eau alors que le terroriste ne manquera pas d'infini.

 D'ailleurs, même du point de vue des relations internationales, on est mieux servi au sud qu'au nord : le GIA pouvait tout juste s'adresser à un ambassadeur français en détournant un avion au nord, alors que dans le Sahel il suffit de biper Kouchner pour libérer un ami ou se faire virer son salaire par-dessus la tête du Mali et le wali de Djanet.

 C'est vous dire que le monde a changé et ses terroristes aussi : le sable, c'est mieux que la barbe et un touriste kidnappé vaut mieux qu'une marche à Alger ou une APC à Aïn-jerrican. L'enjeu est donc là, entre le pétrole et la chamelle.