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«Leur» Copenhague et le gazon de «notre» paradis

par Kamel Daoud

Qu'est-ce l'environnement pour nous ? Un ministère, une direction quelque part dans une wilaya, un morceau de JT de temps à autre. Les Algériens, comme presque tous les «arabes» -les guillemets s'imposent - ont peu de souci de la Terre, du devoir filial, du bio et de la vie de la planète. Le sommet de Copenhague est une sorte de lointain événement pour nous, situé dans une planète qui ne concerne pas pour sauver une planète qui nous concerne moins. Où vivons-nous ? Ailleurs. Notre terre est plate, la leur est ronde depuis le 16ème siècle. L'Algérien ne voit pas le lien entre son usage effréné du sachet bleu, du détergent, de l'insecticide et de la voiture, et le réchauffement climatique, la couche d'ozone et la vie des phoques ou la fonte des glaces. La cause ? Certainement un manque de sensibilité et de sensibilisation, de culture «environnement», et un reste d'industrie industrialisante.

 Pour l'essentiel, nous venons à peine de découvrir la société de consommation et d'apprécier le départ précipité du «colon» pour se soucier de l'environnement. Ensuite, que pèsent nos sachets bleus face au rejet en CO2 de la Chine et des USA ? Ensuite, c'est le problème de l'Etat et pas le «nôtre». Ensuite? Il y a des causes plus profondes. Il faut les noter et ne pas en rire. Nous, «musulmans», nous aimons les arbres, mais au Paradis. Nous rêvons du gazon, mais après la mort. Nous pensons aux fleuves mais ceux promis par le Coran et pas ceux qui sont salis sous nos fenêtres. Ensuite, il y a dans la psychologie du musulman, son idée que «la terre est vaste» et que donc un sachet ou mille ne feront pas la différence. Mais cette archéologie ne suffit pas. Il y a plus.

 A bien réfléchir, nous ne sommes pas là pour sauver le monde pour attendre sa fin qui va prouver que nous avions raison. D'où ce rapport pathologique avec «l'Avenir» et la filiation. L'avenir de nos ancêtres est pour nous plus important que celui de nos arrière-petits-fils qui peuvent ne plus savoir ce qu'est un fennec sauf sur un CD. Ensuite, l'espace - et donc l'environnement - n'est pas un patrimoine de l'humain, pour nous, mais un bien public, un espace de confinement et d'interdits, de violence et de rapt: un Beyleck. Donc pour s'opposer au Pouvoir, on s'attaque parfois au banc public mais aussi à l'arbre, la feuille, l'herbe, la fleur et l'eau qui passe. Ensuite, nous vivons dans ce qu'on peut appeler les nations nucléaires, c'est-à-dire les nations fragmentées où le civisme est impossible car la société est «anonymisante». Explication: personne ne sait que je jette mes ordures par la fenêtre ou les déchets de mon usine dans les champs, parce que «nous sommes tous musulmans» et que «tout le monde fait ça». Mis à part Dieu, personne ne nous regarde et c'est pourquoi nous prions cachés les uns derrière le dos des autres.

 Avec quelques idées (la terre est promise à la destruction et pas au Salut, c'est le problème de l'Etat et pas de mon sachet, l'espace est un Beyleck et pas un environnement, nous irons tous au paradis où c'est propre donc c'est aux impies de penser à leur vie d'ici-bas, etc.), l'environnement a fini par ne plus rien signifier pour nous. Dans la liste très longue des activistes citoyens qui essayent de peser sur la Décision du siècle à Copenhague, vous chercherez vainement des noms d'Arabes ou d'Algériens en nombre. Chez nous, on proteste et on coupe la route pour une liste de logement, pour une prime de rendement, pour chasser un maire ou un gendarme, pour l'emploi, la semoule, une mosquée ou de l'électricité, mais jamais pour protester contre l'usage fou des sachets, contre la pollution, la disparition d'une espèce animale ou la fonte des glaces. «L'environnement est une affaire des Occidentaux» pas la nôtre. Pire encore, cette répartition des rôles est intériorisée: on trouve tous normal que c'est à l'Etat de ramasser les ordures et que c'est au citoyen d'en produire le maximum.