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Plaidoyer pour «l'algérien, langue nationale»

par Kamel Daoud

Qu'est-ce que l'algérien ? C'est une carte d'identité, un homme qui passe dans un pays étranger, un plat, un fait divers, un genre de terrorisme, mais aussi une langue. L'algérien est une langue et elle est nationale, n'en déplaise aux puristes de l'ethnie, qu'ils soient fanatiques de l'amazighité, réduite à une bataille linguistique, ou aux fanatiques de l'arabité, développée comme une identité exclusive de tout le reste, racines et mères à la fois. Le chroniqueur, enfant des années 70, se rappelle de cette époque où «l'algérien» comme langue immédiate était traité comme un dialecte face à «la langue pure» avant qu'il ne découvre qu'une langue peut être morte même si elle est officielle et qu'une langue peut être immensément vivante même si elle n'a pas encore son académie mais seulement ses joueurs de flûtes et paroliers anonymes. L'algérien est une langue vivante car elle absorbe toutes les langues de son histoire et de sa géographie, le reste n'est que récitation et discours officiels.

 Le pire est que le débat de la langue nationale a été depuis toujours enfermé dans le duel amazigh/arabe classique, excluant l'évidence de l'existence de la vraie langue nationale, l'algérien parlé par tous. Au nom de quoi ? De la honte de soi. Ce vaste concept de la sociologie algérienne où l'identité se résume à étrangler la sienne propre et avoir honte de ses expressions, au nom d'identités importées, endossées comme des vêtements étroits et une démarche de corbeau face à l'élégance de la perdrix.

 Le plus ridicule dans cette maladie de la «honte de soi» sera la cécité face aux évidences: non seulement l'algérien est parlé par tous les algériens, sauf par l'ENTV, les présidents de la RADP (sauf Boudiaf), mais il se trouve que même les avocats de l'arabité supérieure comme les Egyptiens parlent leur langue. Les Marocains s'expriment en marocains, les chaînes TV égyptiennes s'expriment en égyptien, etc. Et là où, par exemple, leurs ministres parlent aux Egyptiens en égyptien, notre ministre des Sports s'est retrouvé coincé à répéter des phrases impossibles en langue «pure» lors de ses interviews pendant le dernier match et la dernier crise.

 La Raison ? La réponse, il faut être historien et sociologue pour en démêler les plus grosses racines. L'essentiel est pourtant sous les yeux: on a trop lié la question de la religion à celle de l'arabité, au point d'en faire un mythe et un acte de naissance, alors que l'Islam n'a rien à voir avec l'appartenance ethnique ou raciale. On n'est pas obligé d'être arabe ou, pire encore, de jouer à l'arabité, pour être musulman.

 La seconde raison est que rien n'est fait pour valoriser l'algérien comme langue mais tout est fait pour le mépriser et mépriser en soi une grosse partie de sa propre histoire et avenirs. L'algérien est encore une langue «faible», sans grammaire, sans civilisation ? Oui, le français et toutes les langues nationales de l'Europe de la fin du Moyen-Age, l'avaient été face au latin des clercs, de l'église et de la domination des monarchies. Il suffit d'accepter cette langue pour accepter en soi son identité et, du coup, renouer avec le réel, le changer, le chanter, l'écrire, le commémorer et inventer les objets et les fusées de notre décollage. Il y a quelques années, cette affirmation aurait été perçue comme une insulte, mais aujourd'hui, tout le monde a cette intuition que l'avenir est là, au bout de la langue. Parlez algérien car vous l'êtes déjà, en attendant que le pouvoir, son ENTV et ses clercs le deviennent autant que nous tous.