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Le nassérisme devenu avocat d'un bus

par Kamel Daoud

Pourquoi l'attaque du bus de l'EN au Caire a pris une telle ampleur ? Car il ne faut pas se tromper: il s'agit d'un vrai délire. Des équipes de foot peuvent se faire attaquer par des hystériques sous-développés à Aïn Jerrican comme en Bavière. Le bon sens voudrait qu'on ne donne pas à cet accident lamentable les allures d'une fatwa de guerre ouverte entre deux pays. Nous sommes déjà tellement misérables tous deux, Egyptiens et Algériens, appauvris, divisés, en résidences surveillées sur nos propres sols et traités comme du bétail applaudissant par nos régimes pour y ajouter de la haine horizontale. Donc retour à la question: pourquoi l'attaque du bus de l'EN au Caire a pris une telle ampleur ? Parce que ce fait divers a été tiré par les cheveux jusqu'à prendre la hauteur d'un symbole de plusieurs étages. Le fait divers s'indexe à des situations de misères locales réciproques, d'enfermement, de blocage de perspectives et de sens de l'histoire au point où il ne reste que le drapeau et l'équipe nationale comme seules expressions d'un nationalisme non encore parasité. C'est vrai ? Un peu, mais la réponse ne suffit pas.

 On peut en effet admettre qu'une équipe de foot se fasse agresser ailleurs, nous-mêmes nous servons la même amabilité pour les autres qu'on n'aime pas. Mais il se trouve que faute de couverture convaincante de notre ENTV, tellement lamentable avec son gros budget et tout juste capable d'obtenir des interviews par téléphone, on a presque tous été obligés de se replier vers les trois autres sources restantes: Internet, les chaînes françaises et les agitateurs égyptiens. Internet servira pour l'image, les chaînes françaises pour le vrai son et les chaînes égyptiennes pour allumer des feux. Il fallait regarder hier cet immense délire de la grosse majorité des TV égyptiennes pour avoir envie de vomir malgré les mises en garde du bon sens: la théorie du bus cassé de l'intérieur, par des joueurs qui se sont blessés volontairement, avec des pierres tombés dont on ne sait quel ciel, a été unanimisme. Les médiatiques égyptiens et leurs officiels n'ont pas démordu: ce sont les Algériens qui ont «fait ça». La thèse est maintenue contre l'image et le son et la raison au point de provoquer le rire si elle n'avait pas déjà provoqué la colère. L'affaire aurait pu être close si elle avait été réduite à ses proportions réelles: des délinquants ont lapidé des invités et ils ne représentent ni le foot, ni les deux pays, ni le peuple égyptien. Que non ! La propagande égyptienne est l'expression de si hautes pyramides qu'il leur a été impossible d'admettre une bévue de parcours.

 Pour nous Algériens, en attente d'une autre fête pour faire contrepoids à des décennies de condoléances nationales, la «preuve» de ce arabo-centrisme nous a été intolérable. Pourquoi cette vision qu'à l'Egypte d'elle-même au point de la rendre aveugle au ridicule de cette situation ? A quoi se greffe ce fait divers au point de fonctionner comme une révélation de culture collective ? Le nassérisme médiatique est tombé bien bas s'il se contente aujourd'hui de sauver un bus pour sauver son honneur.

 En attendant, il faut aussi conclure: 1°- Il faut réduire le budget de l'ENTV à du flexy car elle couvre les plus grands événements du pays par téléphone. 2°- Bouteflika continue de jouer contre le temps en tirant seul des ballons dans un pays parallèle (inauguration d'une université pendant que Moubarek assistait aux entraînements de son EN à lui). 2°- Il faut continuer à fabriquer des drapeaux sans soutien financer de l'Etat parce que c'est un bon début pour refaire l'indépendance. 4°- Il faut qu'on s'aime nous-mêmes parce que les autres ne nous aiment pas. 5°- Pas besoin d'être égyptien pour être arabe, ni d'être arabe pour être tous algériens.