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Réveillez-vous !

par Kamel Daoud

Sommes-nous encore un pays laïc ? «Non» répondent les esprits les plus avertis. Ou ceux les plus honnêtes. La séparation de la mosquée et de l'Etat n'a jamais été un processus historique chez nous, tout juste une sorte de division des tâches. Tout les «Etats» du Moyen-Âge du Maghreb central ont été religieux et ont été vaincus parce qu'ils étaient religieux. On ne changera donc pas de méthode après l'indépendance et surtout après la fausse mort du FIS. Aujourd'hui, ce mariage, entre ce qui reste de l'Etat et ce qui se renforce comme courants politiques religieux, est presque consommé. L'Algérie n'est plus un état laïc depuis des années. Cette confusion des «rôles», entre la croyance et la loi, traverse aujourd'hui les corps constitués, les centres de décisions et les institutions et même les armées et les forces de sécurité, de plus en plus noyautées par ce populisme religieux. Un jour elles risquent d'être commandées plus par la fatwa que par le grade.

 Il ne faut pas donc en accuser seulement quelques juges auteurs de quelques verdicts sévères et invraisemblables pour punir des convertis ou des «mangeurs du Ramadan».

 En termes plus sophistiqués, c'est le syndrome de Stockholm, version pakistanisation : l'islamisation de l'Etat n'a pas été le fait d'un coup d'Etat politique mais d'un long glissement des opinions et de l'idéologie nationaliste vers le religieux. En combattant trop le terrorisme, on a fini par garder «la barbe» et se convertir à ses avis et pas à ses chefs. C'est le propre du coup d'Etat passif. Cela se passe dans quelques pays musulmans et encore plus chez nous. Pour les plus pessimistes, l'avenir n'est pas souriant : la tendance va s'accentuer, se nourrir d'elle-même et finir par obtenir par la gravité ce qu'elle n'a pas obtenu pas les armes ou les urnes.

 Nous sommes déjà dans un califat sans Calife en quelque sorte et il ne faut pas s'en étonner : si même le président de la République rêve de construire la plus grande mosquée d'Afrique et pas le plus grand pays, que dire du reste du peuple et de ses élites ? Cette perte de frontière entre la «mosquée» et l'Etat s'est paradoxalement accentuée après la décennie 90, durant laquelle on a presque cru, facture de cette guerre oblige, à une séparation dans le sang entre les deux idéologies. Il n'en fut rien. Nous sommes plus barbus mentalement et plus voilés qu'avant la naissance politique de Benhadj et Abassi. Le pire est que cette islamisation erronée de la société se fait au détriment du reste de ses urgences. Aujourd'hui, ni dans les espaces publics, ni ceux médiatiques ni dans les bancs des institutions de l'Etat, on n'ose élever la voix contre le remplacement du PIB et de la fameuse «productivité» de Boumediene, par les ablutions et les mosquées de quartier plus nombreuses que les PME/PMI. Les derniers laïcs se font discrets et n'osent plus répéter cette évidence : ce pays ne se relèvera jamais tant qu'il ne réforme pas sa pratique de la religion et fonde un contrat de respect des libertés et des séparations de la foi, de Bonatiro, de l'Etat, de la chaîne Iqraa et de l'avenir. Tout le monde se réfugie dans la bigoterie, y compris le Pouvoir et ses derniers actionnaires. C'est pire qu'un usage manipulé du religieux et des conservateurs : il y a, au sommet de ce pays, une réelle mode de mysticisme folklorique et de religiosité low-cost. Tout le monde s'y met, les «élus» et les galonnés.