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Le vrai problème chinois en Algérie

par Kamel Daoud

Après les incidents de Bab Ezzouar, entre des commerçants chinois et d'autres algériens, trois conclusions: 1°, il est urgent de ramener les heurts à leur réalité de fait divers qui n'a rien à voir avec une guerre sino-algérienne supposée ou désirée par les analyses occidentales, ou pas. 2°, il est malsain de rebondir sur ce fait divers pour parler de xénophobie, de rejet ou de chasse au faciès. 3°, il ne sert à rien d'alimenter un accident pour provoquer des tensions ou les créer de toutes pièces en distillant des arguments irrationnels pour alimenter des réactions de violence.

 Ceci étant posé, il reste à revenir sur certaines réalités qu'on ne peut pas occulter ni par un discours d'humanisme en vrac, ni par celui de l'appel à la tolérance et à la communauté, ni par un discours de haines primaires. Ce qui s'est passé à Bab Ezzouar est un crime et une honte, mais cela ne doit pas empêcher la réflexion sereine et courageuse sur «la présence positive» chinoise en Algérie. Dans tous les cas de figure, il ne faut pas oublier, avec trop de facilité, que les Chinois ne sont pas en Algérie pour doper le commerce de bazar ou occuper les circuits de distribution, mais pour autre chose. Cela fait des années que des hommes d'affaires algériens, des promoteurs immobiliers surtout, crient au scandale d'une ségrégation nationale au bénéfice des Chinois. Outre les prix au mètre carré bâti, l'accès VIP aux matières premières et intrants, entre ciment, sable et carrières, l'immunité fiscale et de charges sociales, le présence chinoise, plus que celle des autres invités du miracle mou de la relance en Algérie et de son eldorado supposé pour investisseurs étrangers, ne s'est jamais traduite que par le contrat du «clefs en main». Le fameux transfert de savoir-faire et de technologie, imposé par les contrats initiaux et annoncé comme principal bénéfice de cette importation massive de main-d'oeuvre, a été réduit à quelques contrats de gardiennage et de sous-traitants étroitement surveillés. Les entreprises chinoises ne «transfèrent» pas du savoir-faire mais de l'argent vers leur pays. «Souvent, ils s'arrangent pour mettre leurs recrues algériennes dans des conditions extrêmes pour les pousser à la démission», raconte un homme d'affaires. Résultat: un mythe relayé par nos propres gouvernants, nationalistes en principe, sur l'Algérien fainéant et le Chinois travailleur infatigable. Un vrai mythe néo-colon de l'Arabe paresseux, qui, sous prétexte de livraisons rapides pour gonfler les bilans des inaugurations, oublie ce que cache le miracle chinois et ses corruptions connues de tous. «Aujourd'hui, on a besoin des Chinois pour construire un grand hôpital à Oran mais aussi pour construire un dispensaire à l'intérieur du pays, parce que les entreprises chinoises en Algérie réfléchissent en terme de monopole et pas en terme de partage», expliquera un économiste.

 Et si on en est arrivé à cette guerre de quartier malsaine entre deux communautés, c'est qu'il ne faut pas incriminer les Algériens ou les Chinois, ni parler de racisme ou de self-défense corporatiste, ni relayer des discours de rejet, mais pour une raison simple. Les Chinois en Algérie n'y sont pas pour vendre des nappes et des rideaux en principe, mais pour achever des projets et enseigner aux Algériens l'art du délai respecté. Pourtant, il suffit de montrer patte blanche dans certaines entreprises chinoises, officiellement là pour des projets, pour se voir offrir un catalogue impressionnant de tous les produits que ces sociétés vendent et importent sous couvert de leur statut de coopérants. «Nous avons tout: grues, dalles de sol, robinets, portes, fenêtres, etc.», expliquera au chroniqueur une secrétaire chinoise à Oran, où il s'est présenté comme acquéreur. Et si le heurt de Bab Ezzouar est un fait divers, il ne doit pas masquer les vraies réalités: les segments de la petite distribution sont aujourd'hui la cible des premières communautés chinoises. La concurrence est «descendue» de la haute sphère des entreprises vers celle du trottoir. Et là, on risque des heurts encore plus spectaculaires. Les Chinois sont les bienvenus en coopérants, mais l'Etat, qui leur sert sur un plateau les autorisations de commerce, ne doit s'en prendre qu'à lui-même aujourd'hui. Il s'agissait de livrer des chantiers et de relancer l'économie en Algérie, pas de vendre des chaussures ou d'importer des grues sous couvert de sociétés de réalisation. Ebahis par le miracle chinois, nos gouvernants en oublient aujourd'hui de refermer la bouche et d'ouvrir les yeux. «Les Chinois n'achètent rien en Algérie sauf les légumes: tout le reste, du camion au stylo, est importé directement de chez eux», nous raconte un homme d'affaires algérien. De quoi donc imposer une grosse mise au point: nous sommes hospitaliers et accueillants mais tout aussi nationalistes et prudents. Le nationalisme est aujourd'hui celui du pain, pas celui du drapeau uniquement. On a besoin tout autant de l'autoroute est-ouest que de savoir la reconstruire sans les Chinois. Et là, il faut constater les vérités: les Chinois ne sont pas là pour nous, mais pour leur pays et leur «made in».