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Si seulement...

par Ahmed Saïfi Benziane

Si l’on pouvait se réveiller chaque matin dans une ville propre, sans ruisseaux chargés de saleté, dégoulinant le long des trottoirs et débordant sur la chaussée, sortant des commerces soucieux de la seule propreté de leurs locaux.

Si l’on pouvait éviter le squattage des trottoirs par des cageots nous obligeant à marcher hors normes, au risque de se faire renverser par un fou du volant ou un autobus privé de normes. Si l’on pouvait faire travailler des équipes de nettoyage habillées de gilets orange visibles de loin, les mains posées sur leurs instruments par manque de chefs ou assis tailleur le dos au moindre mur de passage sur leurs parcours, palabrant à longueur de journée. Si l’on pouvait faire cesser les odeurs nauséabondes de poissonniers qui passent leur journée à arroser d’eau leurs poissons en pleine chaleur d’été. Si l’on pouvait seulement placer des buses plus larges pour évacuer nos eaux usées à récupérer aux embouchures pour les recycler et les réutiliser. Si les poubelles vertes d’importation étaient régulièrement vidées par les services communaux. Si chaque quartier était doté d’une piscine municipale entre un stade de football grillagé et une mosquée. Si, si et encore si... on aurait des visages rayonnants qui n’auront pas peur de bien s’habiller par peur de se salir ou de plisser les sourcils à chaque image mal vue. On aurait des arbres et des fleurs partout et tout le temps sans avoir besoin de les faire pousser uniquement lorsqu’un dignitaire d’un régime bananier passe par la région. On aurait des enfants qui ne manifestent aucune violence dans leurs regards juvéniles faits pour la curiosité d’en savoir plus et plus encore. On aurait des visages d’hommes bien rasés et ceux de femmes superbement et discrètement maquillés, les cheveux aux quatre vents. On aurait des rues qui invitent le passant à s’y attarder parce que belles et alignant des immeubles maintes fois repeints pour le bonheur du regard et pour le malheur des cafards et autres insectes qui aspirent notre sang. On aurait des anges parmi nous sur une terre paradisiaque et des écoles moins bruyantes, sentant l’encre et la craie. Mais pour lever les réserves de tous les si et de l’espoir qui les accompagne, il faut aussi des responsables à la place des chefs qui arrêtent de jouer à la course au trésor, cachant mal leurs incompétences ou se souciant de leurs seuls quartiers résidentiels, des routes qu’ils empruntent pour rejoindre leurs bureaux inhumains. Il faut un peuple qui cesse de geindre et qui commence par dénoncer dans le cadre qui lui sied tous les abus et autres mépris affichés contre lui. Dire combien cette terre lui revient sans penser à la quitter un jour pour aller savourer le parfum des autres, faits pour les autres et seulement pour eux. Il faut des mers qui nourrissent suffisamment, que leur poisson ne meure pas de vieillesse et des pommes de terre qui sentent la sueur des braves faites de chants qui rappellent nos hymnes héroïques, mais qui s’en inspirent pour écrire les plus belles pages de notre passage ici-bas. Il faut une croyance en soi tellement forte que les génies qui y sommeillent se déchaînent et trouvent les chemins de la lumière, les défrichent un à un de sorte que chacun trouve sa voie, vers un bonheur commun. Il faut que l’ennemi soit connu pour éviter la confusion des sens et l’ami suffisamment préservé pour construire ensemble. Mais, contrairement à ce que dirait l’adage, nous pourrions bien énoncer de nos jours « mon Dieu préservez-moi de mes ennemis, mes amis sont incertains » dans un monde qui ne respecte plus que les choses du moment alors que le moment n’est plus qu’à autre chose. Pour lever les réserves de tous les si et de l’espoir qui les accompagne, il faut cesser de dire combien nous étions pauvres et heureux en se référant à une période où le pauvre ne parlait aucune langue ou alors celle des autres et démontrer qu’en étant riche on peut éviter d’être malheureux. Démontrer que la richesse des Hommes est précieuse car ils sont capables de faire de nos villes des havres de bonnes senteurs picorant les nez les plus exigeants, les mieux curés. Car ils peuvent faire d’une surface terrestre, grande comme un continent, un pays avec une vraie carte d’identité, un vrai drapeau, des champs de blé qui incitent à rouler du couscous à longueur d’année et manger un pain qui ne porte aucune graine de dette. Car ils peuvent ériger des montagnes pour apprendre aux enfants à les escalader et mesurer leur force face à la nature, à ce qui nous attend. Car l’Algérie ne peut plus appartenir aux mêmes plus longtemps, plus aux mêmes discours qui ont légitimé les maux auxquels elle s’est exposée. Plus à la même Histoire racontée par des meddahs sans bendirs. Plus aux mêmes pratiques sans Etat par cécité qui empêche de voir d’autres horizons devant et plus loin derrière. Beaucoup plus loin. Et c’est ce qui peut expliquer pourquoi nos villes sentent si mauvais, que nos façades sont si sales, que nos rues se tordent, puisque personne n’en veut.