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Peaux blanches, masques noirs

par Kamel Daoud

Sommes-nous encore Africains ? Par le PANAF, oui. Par la géographie aussi. Par un peu d'histoire. Mais pour le reste ? De moins en moins. Le 2e Festival panafricain d'Alger se passe à Alger exclusivement, le reste du pays n'y est que spectateur indifférent et à peine intéressé par les retransmissions de l'ENTV.

La raison ? L'africanité de l'Algérie est un souvenir des beaux jours des engagements internationaux de l'Algérie. C'est le produit dérivé de nos gloires d'antan, à l'époque de la fameuse Mecque des révolutionnaires, du boumediénisme engagé et des décolonisations et non des recolonisations alimentaires. L'Afrique est encore un continent, mais l'africanité est une culture morte ou momifiée. Le PANAF d'aujourd'hui ressemble plus à une nostalgie de jeunesse bouteflikienne qu'à une perspective culturelle pour tous les pays participants. Il y a l'Afrique perdue, celle des coups d'Etat, celle des massacres, la Françafrique, l'Afrique du Nord, l'Afrique des flux migratoires, celle des racismes gradués en remontant vers le Nord.

D'où la nécessité d'un nouveau manuel à la Frantz Fanon sous le titre «Masques noirs, peaux blanches» pour qualifier cette culture nostalgique. Un manuel destiné à décrire ce malaise de l'aliénation de ceux qui se revendiquent folkloriquement de la négritude culturelle en cultivant la dépigmentation idéologique.

Explication : peut-on parler de l'africanité de l'Afrique du Nord par exemple ? Presque pas. L'Afrique du Nord est d'abord le Nord et presque pas l'Afrique. Peut-on parler de panarabisme africain ? Presque pas : le Maghreb a toujours été le Maghreb du Machrek. C'est-à-dire une géographie secondaire du panarabisme dont les capitales se trouvent au Moyen-Orient.

Peut-on parler de l'UMP, l'Union pour la Méditerranée ? Sûrement pas : l'Europe du Sud s'arrête à Marseille et s'achève à Barcelone. La rive Sud de la mer blanche n'est pas un continent qui commence mais un comptoir commercial qui promet. Pire encore : les Algériens sont moins arabes que les Arabes du Machrek, mois africains que les Africains à peau noire, pas du tout blancs pour être admis dans l'UE, tellement peu maghrébins pour fonder le Maghreb et si racistes que même les Timimounais subissent des contrôles de papier au faciès lorsqu'ils se promènent à Alger au-delà de 19 heures.

C'est dire que le Festival du Panaf, grand évènement de nos racines ignorées, se passe dans un univers parallèle qui le condamne à n'être qu'exotismes coûteux sous nos regards à l'identité volage. Nous avons un peu endossé les masques noirs, mais les peaux sont blanches par défaut, tournées vers le Nord occidental, tournant le dos à l'Afrique, tournant en rond dans l'espace indécis de nos appartenances.

D'ailleurs, entre kamis, barbes, haïk disparu, jupes hautes, pantacourt et nudités interdites, nous ne savons même plus si nous sommes déjà algériens, arabes non négociables, produits dérivés des colonisations abusives, maghrébins passifs, amazighs divisés par les deux langues, francophones décomplexés ou mondialistes à cause du pétrole. De là à se souvenir que nous sommes encore, toujours et surtout africains, il faut plus qu'une danse et qu'un festival !