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La guerre en Ukraine, un dernier accident de l'histoire? L'humanité et l'arme absolue, vers une ère nouvelle sans guerre

par Medjdoub Hamed*

Quel sens donner à la guerre en Ukraine pour l'avenir du monde ? Ne devons-nous pas décrypter la guerre en Ukraine non pas par la voie dite évènementielle mais de décrypter l'événement lui-même dans le sens de la marche de l'histoire. Or, l'histoire humaine a un sens, elle est créative et objective par de multiples aspects. L'histoire de l'humanité n'est pas livrée à elle-même, elle est par maints aspects comme « prédéterminée ».

Comment alors comprendre la guerre en Ukraine ? Que gagne réellement l'Occident à soutenir l'Ukraine ? Que gagne la Russie à mener une guerre et, à travers l'Ukraine, elle la mène en fait à l'Occident tout entier. Pourquoi ces événements et enjeux divisent les puissances et impactent en souffrances le peuple ukrainien et aussi une partie de ce peuple qui, par référendum, s'est séparée de la nation ukrainienne ? Cette guerre est-elle intelligible et compatible au déterminisme historique ? « Le déterminisme historique ne s'inscrit-il pas dans le déterminisme du progrès politique, économique et social de l'humanité » ?

C'est à toutes ces questions en interrogeant l'histoire dans son essence que l'on pourrait avoir une vision véritablement rationnelle de la guerre en Ukraine et son avènement dans la marche de l'humanité. Certes, nous n'entrons pas sur le véritable impact que cette guerre aura sur l'avenir de l'Europe, de l'Amérique et de la Russie, mais essentiellement sur ce qui s'est passé dans l'évolution des conflits et guerres, ces derniers siècles, et le sens de son avènement dans l'histoire. Un bref rappel pour comprendre les guerres dans la marche du monde.

Le Deuxième Conflit mondial s'est terminé par des millions de morts. Pour la seule Union soviétique, selon les données historiques, il y eut, durant la Grande Guerre patriotique, 26 millions de morts (entre civils et militaires) et 25 millions de (blessés, malades et sans-abri). Même si ces chiffres sont contestés, il demeure que l'Union soviétique a enregistré le plus de pertes humaines dans le monde ; ravagée par des destructions matérielles, celles-ci étaient estimées à six fois le revenu national de 1940. Pour l'Allemagne, il ne restait plus qu'un amas de ruines du grand Reich, les grandes villes sont en grandes parties détruites. En Europe, des millions d'habitants ont perdu leurs logis, devenus sans-abri ; la guerre a provoqué des dommages considérables ; partout, la guerre a apporté ruines et destructions ; toute l'Europe s'est vue ensuite occupée par des forces militaires de libération. La guerre semblait sonner le glas à l'Europe développée ; à la pointe d'une économie, d'une culture de portée mondiale et d'une hégémonie coloniale mondiale incontestée, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Deux superpuissances sortirent victorieuses de la guerre et surtout dotées d'une grande marge de manœuvre, tant sur le plan économique, sur le plan militaire et surtout sur leurs forces armées occupant chacune une moitié de l'Europe. L'Europe s'est divisée en deux Europe, l'Europe de l'Ouest dont la puissance garante de l'ordre occidental est les États-Unis, et l'Europe de l'Est, la puissance garante de sa sécurité est l'Union soviétique.

Les empires coloniaux de l'Europe de l'Ouest (France, Grande-Bretagne, Belgique Espagne, Hollande, Danemark...) affaiblis, se sont tous trouvés contraints, par les revendications des peuples colonisés, les guerres d'indépendance et les pressions internationales, à renoncer progressivement à leurs possessions coloniales. Leur suprématie disparaissant du milieu des années 1940 aux années 1960.

Les conférences de Yalta et de Potsdam -la France y était absente- qui décidèrent du partage du monde devaient dessiner la carte du monde en deux blocs Est et Ouest. Dans l'Europe des Balkans et la zone d'occupation soviétique de l'Allemagne, des régimes communistes ont été mis en place, sous la férule soviétique. En Extrême-Orient, le Japon, soumis à l'administration américaine, a perdu les territoires conquis. Sakhaline et les îles Kouriles sont devenues soviétiques. La Corée libérée est séparée en deux zones d'occupation américaine et soviétique. La Chine est reconstituée, mais perd le Formose (Taïwan). L'union entre communistes et nationalistes chinois contre le Japon a vécu. Soutenues par l'URSS, les troupes de Mao Tsé-toung reprennent la conquête du pouvoir. Mais le facteur qui va changer les rapports entre les blocs, c'est la « révolution dans la puissance de destruction » des armements.

Dans les siècles précédents, surtout la première moitié du XXe siècle, la puissance d'une nation se mesurait à la puissance de feu de ses armées. Pour peser sur l'échiquier mondial, toutes les nations européennes ont rivalisé d'ingéniosité en matière de pouvoir de destruction des armements, rendant ainsi les guerres inévitables. Grâce à la performance des armes, des guerres étaient extrêmement meurtrières, les pertes humaines en 1914-1918 et 1939-1945 en témoignent.

En outre, de concert avec les avancées dans les armements, les règles de la guerre ont aussi beaucoup évolué ; les haines entre puissances pour le partage du monde ont encore avivé les rivalités, les dissensions. Entretenues par les politiques, les revanches désirées par les nations qui ont perdu des guerres ont amené l'affrontement inévitable. Toutes les nations européennes se préparaient à la guerre ; de la guerre classique, les puissances passaient aux dites « totales », signifiant une mobilisation totale des moyens humains et matériels pour la guerre, dans le sens que tout est permis, l'objectif est la victoire, ce qui explique l'emploi du gaz de combat, à partir de la Première Guerre mondiale.

Augmenter le pouvoir de destruction dépend des progrès techniques, et ceux-ci relèvent des découvertes scientifiques. Ce à quoi s'efforçaient les scientifiques des grandes nations européennes. Paradoxalement, dans cet entêtement dans le développement des armements, des découvertes déconcertantes scientifiques, de plus en plus révolutionnaires, s'opéraient. Comme si elles étaient facilitées par la Providence divine, comme si la Nature apportait sa contribution aux humains pour leurs besoins de la guerre, leur divulguant des « secrets en fait qui existent dans la nature ».

Un phénomène de l'Histoire ? Une « ruse de l'histoire », comme énoncé dans la philosophie hégélienne de l'histoire, se jouait, se voulait dans cette acquisition de nouvelles connaissances sur le perfectionnement des armements jusqu'à la découverte des armes dévastatrices et à grande échelle, telles les armes nucléaires dont l'effet est immédiat et apocalyptique. Et, étrangement, ces armes apocalyptiques n'ont été découvertes qu'entre 1945 et 1952.

Pour cause, dans ces avancées dans les armements, le premier conflit mondial a coûté en vies humaines, plus de 9 millions de morts, on estime 10 millions de blessés et des destructions considérables en Europe. Le deuxième conflit mondial qui a fait sombrer l'Occident dans une folie meurtrière sans précédent, la guerre rien qu'en Europe a fait, selon les estimations occidentales, quarante millions de morts. Dans le monde, on fait état de chiffres effrayants, soixante-dix millions de morts et plus, le nombre de blessés se comptait par dizaines de millions, et ces guerres étaient presque apocalyptiques vu le nombre de tués et la faible durée, en six années et un jour.

Que peut-on dire de cette hémorragie de morts d'une humanité puisque ce ne sont plus deux nations qui se font la guerre, ou des nations dans un seul continent, mais sur la Terre entière ? L'humanité entière était en guerre puisque cette guerre va ensuite inférer sur les peuples colonisés et les pousser à se soulever à la fin de la guerre pour conquérir leurs indépendances. Ces peuples représentent les deux tiers de l'humanité.

Et si les Deux Guerres mondiales devaient survenir ? Et qu'elles devaient survenir. Pour le Premier Conflit mondial, non pour les causes avancées qui étaient certes vraies puisqu'elles ont amené la guerre, tel le partage du monde voulu par les puissances européennes (Allemagne, Italie) venues en retard et celles qui y ont accédé et se sont déjà taillées des empires coloniaux tels qu'il ne restait plus de libre sur terre.

De même, pour le Deuxième Conflit mondial, l'idée de revanche menée par l'Allemagne hitlérienne qui entre certes en tant que cause réelle dans le déclenchement de la guerre, sur le plan de la phénoménologie de l'histoire, cette cause n'était en fait que « subsidiaire » dans le sens que la guerre était déjà inscrite dans la marche de l'histoire. Les puissances européennes, dans leurs rivalités pour le partage du monde, ne prenaient pas conscience que leurs guerres étaient nécessaires pour « avancer le monde ».

Ainsi se comprend pourquoi plus de deux tiers de l'humanité ont recouvré leurs indépendances. Sans les deux guerres mondiales, ces deux tiers de l'humanité n'auraient pu recouvrer leur indépendance. Il faut se rappeler qu'au XIXe siècle, une partie de cette humanité colonisée s'était déjà libérée de la tutelle coloniale européenne, en l'occurrence les pays d'Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Costa Rica...) et du Sud (Brésil, Chili, Argentine...), pour la plupart entre 1816 et 1822. Et les États-Unis eux-mêmes étaient au départ Treize colonies de l'empire britannique, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle ; la première colonie fondée en 1607, la treizième fondée en 1732 ; après des guerres d'indépendance contre la couronne britannique, les Treize colonies, triomphantes, signent la déclaration d'indépendance, le 4 juillet 1776, sous le nom d'États-Unis et se séparent de la Grande-Bretagne.

Que peut-on dire par ce processus de la marche de l'histoire ? Simplement que l'histoire est rationnelle, nécessaire, compréhensible et étalée dans le temps. Et ces guerres ont permis d'effacer quelques quatre à cinq siècles de domination du monde par l'Europe. Dès lors, la marche du monde est en fait toute tracée, nonobstant les velléités des puissances de retarder, par leurs ambitions de puissance, l'échéance des rendez-vous dans l'histoire.

Et ces ambitions des puissances toujours sous-tendues des mêmes motifs, une lutte pour l'hégémonie, pour la domination ; en particulier, l'Occident qui ne baisse jamais la garde, il veut toujours plus, plus de pouvoir au détriment des autres peuples qui eux aussi ont appris et cherchent à damer le pion à l'Occident.

Tout compte fait, ce sont tous des peuples, Occident ou Russie ou Chine ou Inde ou peuples d'Afrique et d'Amérique du Sud. Le malheur pour les humains est qu'ils cherchent toujours à se surpasser les uns les autres, ce qui provoque des conflits et des guerres, d'où leur destinée. Sauf que cette destinée humaine fait avancer l'histoire, et surtout fait « augmenter » le progrès. Aujourd'hui, l'arme nucléaire, la conquête spatiale, l'ordinateur et Internet qui a révolutionné leur quotidien, devenu une vraie drogue pour les êtres humains. C'est le tribut du progrès auquel les êtres humains n'y peuvent rien, sinon à s'adapter, à vivre avec ces révolutions qui, malgré tout, « les enrichissent ».

Et c'est là le « paradoxe », les guerres ou à défaut des guerres se transformant en « conflits non guerriers », et cette situation très probablement viendra un jour, où l'humanité sera pacifiée, et cette probabilité se vérifie de plus en plus aujourd'hui.

En effet, il n'y a pas eu de guerre sur le continent européen, de 1945 à 1990, sauf lorsque le bloc de l'Est s'est effondré, à la fin des années 1980, ou la guerre en Ukraine que l'on peut considérer aujourd'hui comme un accident de l'histoire. « Un dernier accident de l'histoire » ? Aussi, les guerres en Bosnie, au Kosovo..., les interventions de l'URSS dans le cadre du pacte de Varsovie, Budapest (Hongrie) en 1956 et Tchécoslovaquie à Prague (1956), ont été, il faut le souligner, très rares. Et, ne l'oublions pas, les populations hongroises et tchécoslovaques ne se sont soulevées qu'au nom de la démocratie ; une aspiration de masse légitime qui d'ailleurs a été une prémisse de l'effondrement de l'Union soviétique, en décembre 1991, et de la Yougoslavie qui a suivi en 1992. Aujourd'hui, la guerre en Ukraine, il faut le dire, entre comme un « reliquat issu de la guerre froide post-1945 » entre l'ex-URSS et les États-Unis.

De même, pratiquement pas de guerre en Amérique du Nord, (États-Unis, Mexique, Canada) et en Amérique centrale et du Sud. De même, en Asie depuis la fin de la guerre du Vietnam. Même en Afrique, les guerres entre nations africaines deviennent très rares. L'Union africaine (UA), une organisation continentale, à l'instar des autres organisations continentales (Union européenne, MERCOSUR, ALENA...), à laquelle ont adhéré les 55 États membres, tente de régler les conflits qui sont surtout d'ordre terroriste entre les nations africaines et auxquels les grandes puissances souvent n'y sont pas étrangères, et ce du fait qu'elles convoitent les richesses que recèle le sous-sol du continent africain.

Enfin, c'est le monde arabe et musulman qui fait exception, par les guerres qui le traversent, et ce par deux causes essentielles, les régimes politiques qui sont totalement opposés (monarchistes et progressistes) malgré le semblant d'union qu'est la Ligue arabe, ou l'Union maghrébine (UMA).

Quant à la guerre au cœur de l'Europe, aujourd'hui, en Ukraine, elle ne doit pas étonner. C'est une guerre entre l'Occident rassemblé sous le même drapeau et la Russie se rassemblant aussi avec le bloc adverse, essentiellement les pays du BRICS avec la Chine en tête, et enfin les autres pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique centrale et du Sud dont une grande partie n'est pas alignée à l'Occident.

Cette guerre qui tranche avec les autres guerres, est certes un « séisme » d'envergure mondiale, et qui est appelé à créer un nouvel état plus équilibré des plaques tectoniques de puissance, à l'image des plaques tectoniques terrestres. Et donc, à imposer plus de paix mondiale dans le futur. Aussi, pour rappeler, combien de guerres ont marqué le monde depuis la nuit des temps ? En Europe, Afrique, en Asie, en Amérique, bref partout dans le monde. Et la situation conflictuelle du monde ne s'est toujours pas assainie ; « viendra-t-il un jour un monde sans guerre entre les humains ? » Le monde humain n'y peut rien ; on peut même dire que ces conflits interhumains, inter-peuples, sont et seront nécessaires un temps pour l'histoire, pour avancer le monde. Sauf que, de plus en plus, il n'y aura pas de guerre, mais des guerres à l'avenir qui seront économiques, financières, monétaires.

On peut presque sans doute avancer qu'avec l'arme absolue, l'humanité ne peut que se diriger « vers une ère nouvelle sans guerre ». La guerre n'aura plus de sens ; les grandes puissances neutralisées par leurs arsenaux ne pourront plus provoquer des guerres qui ne feront pas de gagnants et surtout feront des millions de morts dans les cinquante minutes qui suivront les attaques des missiles nucléaires intercontinentaux. Aucune cause humaine ne justifierait une guerre apocalyptique. Sauf Dieu s'il le déciderait. Quant aux pays de moyenne et faible puissance, ils seront aussi empêchés ; les guerres seraient contreproductives ; l'intérêt va jouer surtout dans les unions économiques, et donc douanières, financières et monétaires.

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, relations internationales et Prospective