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Le grain de la beauté culturelle

par El Yazid Dib

La culture dans sa vaste dimension est un acte de tous les jours, de tout un chacun. Si tu ne crées pas ; admire au moins tous les grains de beauté.

Il y a Culture et culture. Celle qui se forme de tout cet ensemble d'art, de lettres, de beauté et d'émerveillement, et l'autre qui constitue une conduite, une manière de réfléchir et de se comporter. La Culture dans son premier sens est-elle uniquement une dépense publique, un besoin politico-organique ou une simple enseigne lumineuse accrochée au fronton d'un palais ou d'un ministère ? Les bancs, les loggias, les balcons de nos enceintes culturelles, cinémas ou autres sont condamnés à demeurer dans les ténèbres sauf si le temps d'une mise en scène, l'Etat vient leur injecter de l'éclairage et de la gratuité d'entrée. Cette façon d'agir a fait que personne ne tend à payer son ticket, laissant ce soin à la débrouillardise du comment recevoir ou s'octroyer des invitations. Si le cas échéant où s'acquitter de droits d'entrée se pratique, il ne se fait que par les passionnés. Personne parmi le secteur privé ne pense investir dans une salle de cinéma, un théâtre ou un stade, car sachant d'avance que les spectateurs ou les visiteurs n'ont pas la qualité de clients mais d'invités et de partisans du gratos. Malheur ne leur incombe pas. Ils ont perdu ou n'ont pas connu ces moments où l'on payait nos séances en matinée, en soirée dans des salles privées avant qu'elles ne soient nationalisées au titre d'une « propriété exploiteuse ».

Réapprendre ce geste culturel face à l'acte Culturel est difficile à réaliser. Depuis, l'on trouve dans ces « palais » ou « salles » toute une marmelade d'activités. Du politique, de l'économique à des séminaires, des fêtes de mariage, de circoncision. On ne peut mettre une conscience culturelle dans un crâne intégralement bourré de béton, d'appétit immobilier et de spéculation foncière. La crise qui transperce les finances du pays, à l'instar d'autres pays, ne s'exempte pas de faire des coupes budgétaires dans tous les secteurs. C'est une aubaine pour la sauvegarde de l'authenticité de dame Culture de la voir revenir au marché et de fuir ainsi la fatalité de sa dépréciation. La Culture, certes, n'a pas de prix mais doit avoir énormément de valeur. Elle doit recouvrer sa valorisation. Voir une pièce d'un drame, d'une tragédie ou d'une comédie gratuitement et se payer un kilo de bananes à 600 dinars devra faire réfléchir plus d'un. Alors, disons oui au marché populaire des arts et de la culture ! Cette Culture qui émane d'associations, de coopératives, de troupes que l'on veut installer dans ce monde culturel est bien prise en considération par la Ministre. Elle doit se faire , parfois sans compter sur le sou de l'Etat. Les vaches laitières ne sont plus de ce monde. La crise de la Culture est d'abord une crise de culture, soit ce refus génétique d'avoir tout sans le moindre sou. L'argent, cette implacable loi de l'offre et de la demande, vient ainsi à point nommé s'investir dans l'acte culturel. Laissons à l'Etat de fournir l'infrastructure, l'espace et les scènes, aux artistes de créer le talent et l'attractivité et aux fans et adeptes de venir consommer le produit. Nous saurons dire un jour que payer sa place est un signe de respect à l'art et aux artistes. C'est comme chez un féru d'art de débourser un propre fonds pour l'acquisition d'une œuvre ou d'une toile. Ce créneau n'est malheureusement pas encore en cours dans notre propre petite culture.

Quel est le montant de dépenses dans un ménage engagées pour la satisfaction des besoins culturels ? Comment pouvoir assurer le retour des familles aux cinémas et devant les scènes de théâtre ? Quel est l'ouvrage le plus lu dans le mois ou dans l'année et combien de livres nos citoyens dévorent-ils par an face au nombre à déterminer de baguettes mâchées puis avalées ? Je me rappelle feu Boumediene disait à l'occasion de l'ouverture de l'une des nombreuses foires du livres que « le livre doit égaler le pain ». Il soutenait le livre, sachant bien son importance. il n'y avait pas d'importation de bananes.

En ce temps là ; la révolution agraire se voulait une culture populaire au sein même de la révolution culturelle. La masse laborieuse en était l'étendard et l'élite formait déjà l'élite. Nonobstant les tares des uns et les angoisses des autres ce fut quand bien même un temps où il faisait beau de parler culture. Le théâtre, le ciné-club, la cinémathèque, les récitals poétiques eurent à galvaniser la conscience nationale où l'engagement ne fût qu'une volonté progressiste. De nos jours, l'on semble dire que l'art s'est dépolitisé, la culture s'est diversifiée. Néanmoins l'amour de la patrie, la sacralisation de l'unité nationale restent toujours le canevas de nos œuvres et la force matricielle de nos inspirations.

L'on ne meurt pas par absence d'un festival, l'on souffre néanmoins et à injuste douleur du manque de compréhension. Créer l'illusion d'une joie ou la faire vivre à autrui n'est forcément pas au bout d'une facture salée. La Culture en tant que patrimoine immatériel et celle en tant que mode de vie n'ont toujours pas eu les mêmes définitions. La richesse de la Culture ne peut donc bellement provenir que d'une culture sociétale bien ancrée et continuellement enrichie de valeur et de bon sens. Ainsi, le consensus aura à faire des miracles là où l'argent s'avère vain et sans importance. A-t-on besoin de l'Etat pour fêter Yennayer, le Mouloud, la victoire de l'équipe nationale ? C'est dire aussi que le bon spectacle ne peut émaner que du cœur de la société. Si tout spectacle etait censé être payant considérant son caractère de production en aval ; il ne pourrait s'agir que d'une opération nettement commerciale s'enrobant dans un conditionnement artistique, théâtral, musical ou autre. C'est s'interpeller sur cette relation habituelle non seulement d'appui et d'organisation mais de totale prise en charge de l'acte culturel par le seul Etat. Alors que sous d'autres cieux, cet Etat ne fait qu'édicter un cahier des charges, assurer l'ordre public et garantir la liberté de mouvement, d'expression et de création pour une quelconque manifestation du genre. Avez-vous vu ailleurs dans le monde un musée, une galerie, un cinéma, un théâtre s'ouvrir gratuitement à quelques exceptions près où des tarifs préférentiels sont mis en évidence. Le service public culturel sera cependant assuré dans les établissements scolaires de tout niveau participant de la sorte à l'éducation des apprenants à aimer l'art, la culture et aussi l'amour de participer à leur épanouissement. Rendre la culture comme un produit à consommer sans modération reste un acte citoyen et de civilité culturelle.

A vrai dire, tout dépend de la politique générale culturelle de l'Etat et le tout dépendra de la feuille d'exécution de par le principal responsable du secteur. Chez nous, le paradoxe qui existe, se confine dans cet écart entre l'esprit et la lettre de l'acte culturel. L'on a bien beau aménager dans la constitution une place royale à la culture, le président en a fait de même sur sa bonne intention, la Ministre s'en déploie à bras-le-corps ; reste l'étalement sur le terrain. Le fait culturel national ne doit pas être prisonnier d'une administration ou d'une humeur hiérarchique.

Et puis il n'y a pas cette symbiose de l'unicité culturelle algérienne dans sa diversité. Chaque expression, arabophone, amazighe ou étrangère pour ne pas dire francophone ; a ses propres clubs, ses propres maisons de poésie, d'éditions, ses propres journées littéraires, ses propres prix. L'un ne connaît rien de l'autre. Chacun est emmagasiné dans ses référentiels orthographiques, parfois même idéologiques. Il manque ainsi cette prise en charge de l'unité culturelle dans sa totale algérianité peu importe le mode expressif. L'exemple le plus illustratif, de l'avis du simple observateur ; est cette Union des écrivains bien dits algériens et non arabes ou d'algériens s'exprimant ainsi. Un bunker qui n'a de lucarne visionnelle que moyen-orientale. Y a t-il dedans un écrivain sévissant dans des langues étrangères et qui bel et bien, avec carte biométrique à l'appui ; est totalement algérien ?

La Ministre de la culture, qui à l'apparence ; semble vouloir sincèrement s'investir dans le rehaussement des activités culturelles a du pain sur la planche. Seulement, ceux qui virevoltent autour manqueraient de brio à la faire sortir du réchauffé. Ce type tant rabâché d'organisation événementielle exhumé des années du dirigisme culturel. Les journées d'études, les salons, les festivals, les expositions ont tous une odeur du déjà vu. C'est dire que la culture, la vraie ne se pratique pas exclusivement dans une galerie au dessous d'un bureau ou sous le «haut patronage» de quelqu'un. C'est un acte inné qu'il faudrait juste aider à le faire éclore au grand jour. Elle est dans le manuscrit d'un livre d'un auteur méconnu qui peine à l'éditer, dans la toile encore vierge d'un artiste en herbe qui a besoin d'un jet de lumière, dans l'argile brute d'une poterie artisanale en mal d'exportation et pas seulement chez des noms consommés et toujours les mêmes à s'asseoir aux premières places. Formater le listing des « invitables », des gens eternels du « domaine » est déjà en soi une première moitié de l'Algérie nouvelle. L'autre formatage est à exécuter, afin d'avoir la seconde moitié ; dans ces tout préalablement indiqués, toujours les mêmes, qui jonchent dans les conseils, les centres, les agences, les fonds des arts, des lettres, du livre et du rayonnement des institutions culturelles.

Le Ministère est-il en somme, un organisateur ou un encadreur de spectacles ? Doit-il faire dans la création de l'acte culturel ou dans son accompagnement et sa promotion? Une habitude a cependant pris le pli, que tout doit émaner de l'Etat. Si comme cet Etat est devenu le principal, sinon le premier acteur culturel. La société culturelle dans tous ses fragments attend toujours la perche d'une subvention, elle ne peut se déterminer d'elle-même pour s'imposer comme un instrument dynamique et autonome. C'est dire, aussi que la culture n'est pas l'exclusivité du Ministère.

L'on a bien vu des comités locaux de fêtes puiser de la caisse municipale pour un concours de récitation du coran au même moment où la mosquée d'à-côté fait dans le même registre. Des offices communaux chargés de la culture et parfois du sport naissent sous forme d'entreprises et fonctionnant sur un budget dégagé des fonds de la mairie. Donc, si tout se prend pour culture ; il y a lieu de faire la différence entre la création spontanée et le bon de commande, entre le Ministère et les autres. Et c'est grâce à ce département ministériel qui a bien ouvert tous ses espaces de bibliothèques centrales ou de proximité que celles-ci se redynamisent sans toutefois arriver à créer de l'engouement chez le citoyen. Ou est la faille ?

L'on doit à ce Ministère, quoi qu'il se dise ; sa bonne veille sur la préservation du riche patrimoine matériel de la nation. En effet la Ministre, dans ce volet là ; en a fait un cheval de bataille. Elle galope, tel un chevalier émérite d'un site à un autre malgré l'insouciance de la masse environnante. Comme le pays est un grand musée naturel et un trésor archéologique à ciel ouvert ; l'action ministérielle appelle l'assistance d'autres opérateurs d'entre mairie, mécénat, bénévolat et solidarité nationale. Pour affirmer enfin, que la culture dans sa vaste dimension est un acte de tous les jours, de tout un chacun. Si tu ne crées pas de l'art, admire au moins la beauté qui le distingue.