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Réflexions sur la retraite à 70 ans pour les enseignants de l'université

par Mohamed Benkhalil*

Un malaise se ressent dans le milieu universitaire, depuis l'annonce, brutale, par le ministère du départ en retraite obligatoire des enseignants-chercheurs de 70 ans, quels que soient leur grade, leur rendement, le type d'établissement où ils travaillent, et surtout sans aucune évaluation. Le sujet est, certes, sur les tablettes du gouvernement depuis longtemps, mais aujourd'hui qu'une décision est prise, des réactions diverses sont enregistrées. Elles se rejoignent sur la manière dont la question est traitée, qu'elles trouvent administrative, « facile », sans se soucier de la spécificité de l'université et des conséquences sur son fonctionnement. L'enseignant-chercheur est, certes, un fonctionnaire, mais son départ en retraite, comme pour la gestion de sa carrière, doit être traité de manière spécifique. En fait, pour l'enseignant, comme pour tout autre métier, le départ en retraite comporte toujours une part d'émotionnel et de subjectif; même quand c'est le concerné, lui-même, qui le décide. Ici, l'émotion est plus grande quand on sait que ces enseignants-chercheurs de 70 ans, à qui on demande de partir, sont, pour la plupart, les premiers Algériens à avoir intégré le corps des enseignants à l'université. Ce sont, généralement, ceux qui ont été formés dans des universités étrangères. Et puis, ce sont ceux qui ont formé le gros des effectifs enseignants actuels. Mais au-delà de l'émotion et du subjectif, pour l'université, si cette situation ne prédit pas de perturbations ou de grèves, elle inquiète par la froideur d'un semblant d'acceptation de la mesure par une grande partie des concernés, comme on accepte un mauvais sort. Cela annonce une démobilisation (supplémentaire) du corps enseignant, dans une université déjà atteinte et affaiblie par de nombreux travers.

D'un autre côté, la raison avancée : libérer des postes de travail pour les nouveaux docteurs n'est pas acceptable. Car à l'évidence, ces jeunes et nouveaux hériteront de postes budgétaires, mais ne remplaceront pas, avant longtemps, les vieux retraitables dans l'encadrement des doctorats, dans la direction des recherches, dans l'animation scientifique, etc. L'université algérienne est encore en construction, tant que de nombreuses universités et centres universitaires comptent à peine deux enseignants de rang magistral sur dix et qui risquent d'être concernés par les nouvelles mesures. Alors dire « qu'il y a juste 1.200 cette année », si la majorité ce sont des professeurs encadreurs de doctorat, et animateurs de projets de recherche, ce n'est pas rien. D'ailleurs, à ce sujet, pourquoi l'université se sent responsable, toute seule, du chômage des titulaires de magistère et doctorat ? et pourquoi les hauts diplômés chômeurs manifestent devant le ministère de l'Enseignement supérieur pour réclamer des emplois ? Alors que c'est un problème de tout le gouvernement. Il est vrai que l'université doit s'interroger, en permanence, sur le devenir du produit de sa formation, pour ajuster au mieux ses offres de formation supérieure. Mais comme pour tous les diplômes qu'elle délivre, elle ne forme pas que pour elle-même; tous les secteurs d'activités peuvent recruter des magistères et des docteurs. Néanmoins, dans le cadre solidaire de lutte contre le chômage des hauts diplômés, des contributions plus justes pour l'université existent. Il s'agit de :

- mettre en place un système d'évaluation, avec des critères objectifs, qui accompagne l'enseignant-chercheur tout au long de sa carrière, et qui participe à l'organisation du départ en retraite;

- faire partir en retraite, même à moins de 70 ans, les enseignants stagnant aux grades de maîtres-assistants et maîtres de conférences (B) (MA et MC (B)) et non impliqués dans la vie universitaire; les MA et MC (B) représentent au moins 60% de l'effectif total des enseignants;

- appliquer les règles de la fonction publique régissant le non-cumul, à l'exception des professeurs (de grade), capables d'élargir leur intervention au delà des « murs » de l'université, pour participer à l'ouverture de cette dernière sur la société et sur l'économie du pays. De nombreux enseignants sont à l'université quelques heures par semaine, seulement, pour assurer des cours de graduation; leurs préoccupations sont ailleurs, dans d'autres activités (barreau, notariat, commerce, enseignement dans le privé, etc.).

A mon sens, cette décision sur la retraite ne devrait pas concerner tous les grades de la même manière (le vocable grade est utilisé, dans ce texte, pour différencier entre les fonctions de professeur, maître de conférences et maître-assistant). Néanmoins, si la décision sur la retraite est déjà validée pour tous, il y a lieu de l'accompagner par d'autres mesures, au vu de ce qu'attendent la société et le pays d'un enseignant de l'université. C'est-à-dire : enseigner, faire de la recherche, participer au développement technologique par des inventions brevetées, réfléchir sur le développement humain, à travers des écrits et des rencontres scientifiques, animer des revues spécialisées, assurer une veille technologique, etc. Pour ce faire, l'enseignant-chercheur a besoin de travailler dans un cadre adéquat, interdisciplinaire... que seule l'université peut offrir. Les enseignants-chercheurs doivent « vivre » (à) l'université, y compris quand ils sont en retraite. Il y a lieu, alors, de :

1- distinguer entre les hospitalo-universitaires et le reste des enseignants des autres disciplines, car des considérations importantes les diffèrent, en particulier par la gestion des questions de santé publique et des chefferies de service dans les CHU;

2- distinguer entre les professeurs et les maîtres de conférences A, d'un côté, et de l'autre, les maîtres-assistants et les maîtres de conférences B. Ces derniers (MA et MCB) devraient partir en retraite beaucoup plus tôt que 70 ans, car si à 65 ans on n'est pas professeur, soit on a choisi d'enseigner comme dans un collège, soit on ne peut plus avancer scientifiquement. Or, l'enseignant à l'université est chargé, non seulement, de transmettre les connaissances, mais également d'en produire, par la recherche;

3- fixer des critères pour différer l'application de la mesure, de façon transparente, pour certains établissements, selon la constitution du corps enseignant et pour assurer la présence d'un minimum d'enseignants « gradés »;

4- s'il est nécessaire de mettre en retraite tous les enseignants-chercheurs de 70 ans, il est essentiel d'accompagner cette décision par un nouveau statut, pour les retraitables de rang magistral, qui leur permet de « fréquenter » l'université et continuer leurs activités, à l'exception de l'enseignement en graduation. Les salaires (pensions) sont assurés par la caisse de retraite, et certaines des activités sont, comme habituellement, indemnisées de manière contractuelle par les secteurs bénéficiaires de ces activités (l'enseignement en troisième cycle, la recherche, les études, l'expertise...);

5- ce nouveau statut (de retraité) doit être possible pour tous les professeurs et MC (A), à leur demande, et non pas « selon les besoins de l'université », préoccupée par le seul enseignement de graduation. L'accès à ce statut se fera, naturellement, par les enseignants encore impliqués dans la vie universitaire. Cela évitera, aussi, des décisions subjectives de responsables, comme pour le statut actuel d'associé, qui est injuste, revient « cher » pour l'université, et ne contribue pas à l'organisation d'un départ en retraite, dans la sérénité. Il y a lieu, à mon avis, de changer ce texte sur l'enseignant associé, qui n'est plus adapté aux réalités de l'université algérienne.

Enfin, pour résumer cette modeste contribution, je dirais que le traitement de la question de la retraite des enseignants-chercheurs peut constituer une occasion pour mettre fin à l'approche égalitariste qui a fait beaucoup de mal à l'université algérienne, à qui on demande d'être au niveau des standards internationaux, tout en lui imposant des méthodes inappropriées. Les enseignants-chercheurs et parmi eux les dirigeants de l'enseignement supérieur et les syndicalistes, comprennent que « l'environnement » d'il y a trente ans n'est plus de mise, aujourd'hui. La gouvernance de l'université doit évoluer en particulier, l'évaluation de tous, et de tout, doit être permanente, pour faire du travail et du mérite, des valeurs centrales dans notre société.

*Enseignant en retraite