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Les médias du «monde libre»: ces puissantes machines à manipuler les opinions et à diffuser les mensonges d'Etat

par Mourad Benachenhou

La «liberté d'expression» est-elle un vrai principe ou un simple slogan dans les «démocraties avancées» ? A observer l'état actuel des médias dont l'écrasante présence impose une vision unilatérale du conflit en cours en Europe centrale, on ne peut qu'exprimer des doutes légitimes sur l'existence même de cette liberté, pourtant inscrite dans les constitutions et les lois des pays «donneurs de leçons de démocratie», prêts à dénoncer toute atteinte à ce droit sacro-saint, qu'elles ne respectent pas elles-mêmes.

La censure, mais auto-imposée, est une violation de la liberté d'expression

Car, qu'on l'accepte ou non, lorsque la censure, qu'elle soit officielle ou auto-imposée par les médias eux-mêmes, porte atteinte au droit des citoyens à une information objective et équilibrée, la liberté d'expression est obérée. Le cynisme et l'hypocrisie, quand il s'agit de ce droit inaliénable et indispensable à l'exercice de la citoyenneté, est aussi condamnable que la suppression ou la limitation de ce droit dans les Etats non démocratiques.

C'est une hystérie guerrière qui s'est emparée, telle une maladie contagieuse, de tous ces médias, bien financés, et pouvant louer des milliers de bouches pour répéter les mêmes faussetés, et payer des centaines de porteurs d'appareils photo et de caméras pour couvrir par l'image et la parole les mêmes scènes.

Malgré le fait qu'il s'agit d'entités juridiquement indépendantes, leur ligne rédactionnelle directrice est la même: il s'agit tout simplement de déshumaniser et de diaboliser l'adversaire, et de le personnaliser pour que tout ce qui se passe sur le terrain lui soit directement et exclusivement lié, pour créer une atmosphère de haine totale contre lui, tout comme contre son peuple et son pays, et justifiant tous les écarts de langage, et toutes les éventuelles évolutions du conflit, encore plus dramatiques que celles qui se jouent devant les yeux des spectateurs.

Le mensonge et la fabrication d'événements dramatiques sont des attaques contre la citoyenneté

La liberté d'expression devient la liberté de mentir effrontément et toute honte bue. Il s'agit de dominer totalement les profonds mécanismes psychiques du spectateur pour détruire en lui toute capacité de jugement et l'amener à adopter le type de sentiment indispensable pour légitimer la finalité politique des évènements en cours. Le spectateur, habituellement passif, devient un acteur indispensable dans la réussite des desseins de ceux qui le manipulent, car par son adhésion, acquise par sa manipulation, il donne une base populaire à des politiques dont seule une infime partie lui est révélée. Il est indispensable de créer, chez lui, un sentiment authentique et profond d'indignation devant «la barbarie de l'ennemi», qui le rend encore plus disposé à accepter sans broncher tous les mensonges qui se déversent sur lui, par «médias libres interposés». S'il le faut, on ira jusqu'à inventer un évènement si inhumain que l'absence d'indignation contre lui pourrait être assimilée une complicité avec les préparateurs du crime.

L'effet «pouponnière du Koweït»

On peut citer pour exemple, parmi tant d'autres, le faux montage du meurtre de bébés par l'armée irakienne, lors de l'invasion du Koweït en août 1990, montage conçu par une firme publicitaire américaine. On se contentera de citer un article d'un hebdomadaire «atlantiste» français:

«Je m'appelle Nayirah et je suis une jeune Koweïtienne. J'ai vu les soldats irakiens entrer avec leurs armes dans la maternité de l'hôpital de Koweit City. Ils ont arraché les bébés des couveuses, les ont emportés et les ont laissés mourir sur le sol froid.» Les représentants du Comité des droits de l'homme du Congrès américain écoutent ce témoignage terrible dans un silence religieux. L'assistance est médusée devant cette barbarie gratuite de la soldatesque irakienne qui a envahi le Koweït le 2 août 1990. Nul ne demande, ce 10 octobre 1990, à enquêter sur l'identité du témoin. Elle semble si sincère et si bouleversée, et on leur a expliqué qu'il était nécessaire de protéger sa famille restée au Koweït.

Les représentants américains ignorent donc que sous le pseudonyme de Nayirah se cache la propre fille de l'ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis et qu'elle participe à la machination montée par le Koweït et les Etats-Unis pour faire accepter à l'opinion publique américaine et mondiale une future intervention militaire. «Elle aura lieu en janvier 1991. Pour Washington, il ne suffit pas d'obliger le dictateur irakien à retirer ses troupes du Koweït, il faut casser l'Irak, ce pays trop peuplé, trop riche de ses hydrocarbures, à l'armée nombreuse et qui, dix ans auparavant, a eu des velléités de se doter de l'arme nucléaire. Inadmissible.

«Le Koweït, soutenu par le Pentagone et la CIA, a fait appel à une agence de relations publiques, Hill and Knowlton, pour préparer les esprits à l'indispensable guerre. Coût du contrat : 10000000 de dollars.

«Lorsque Amnesty International et l'Observatoire des droits de l'homme au Moyen-Orient mettront ces affirmations en doute, faute d'avoir trouvé des témoins fiables pour les corroborer, nul ne les écoutera. Les opinions publiques sont convaincues que Saddam Hussein est le mal absolu et que son armée est coupable de toutes les barbaries. L'opération de désinformation a pleinement réussi. (source hebdomadaire le Point Montage. Pour faire accepter la guerre du Golfe, on invente un massacre de nouveau-nés, par Mireille Duteil, 1- Août 2012)

La violence guerrière unilatérale pour changer les régimes politiques récalcitrants

Tous les bas coups sont permis dans les états de guerre totale, et hélas! la règle de base dans les relations internationales contemporaines est de provoquer, si nécessaire avec des complicités intérieures, l'effondrement des Etats récalcitrants à l'ordre mondial, imposé par une poignée de grandes puissances, baptisée faussement et pompeusement « Communauté internationale » et, une fois cet objectif atteint, de laisser les morceaux qui en restent se débrouiller tous seuls.

Tous les acteurs étrangers, qui ont créé le désordre dans les pays voués à la destruction sur décisions de ces puissances, disparaissent -une fois leurs objectifs de dislocation atteints- brusquement de la scène de la tragédie dont ils ont écrit et exécuté le scénario, choisi les acteurs principaux tout comme les dialogues.

Et les exemples tirés de l'actualité, et le drame ukrainien n'en est que le dernier, ne manquent pas pour illustrer le cynisme des grands « moralisateurs » de ce monde chaotique. Le scenario est le même, et les slogans pour lui donner une certaine cohérence et une certaine légitimité n'ont rien d'original: c'est le bien contre le mal absolu, la «liberté» contre «l'oppression», la «démocratie» contre le «pouvoir personnel». On ne tente même pas de faire preuve d'originalité.

Et si l'observateur prend la peine de faire une analyse approfondie du contenu des informations diffusées lors de ces crises provoquées délibérément, il s'apercevrait qu'en fait, les «reporters» dans le feu de l'actualité ne font que reprendre ce qui a été dit mille fois dans d'autres circonstances plus ou moins similaires, sous d'autres cieux et pour d'autres pays!

Pour illustrer cette affirmation, valable également pour le drame ukrainien, on ne peut que reprendre certains évènements tout aussi dramatiques, tout aussi violents, mais qui se sont déroulés dans des continents appartenant au «monde servile», celui où la souffrance humaine serait tellement commune qu'elle ne mériterait pas un excès d'émois et d'outrages de la part de la «communauté internationale».

Les sirènes de la démocratie ne sont que des requins assoiffés de sang déguisés en beautés enchanteresses au sex-appeal irrésistible !

Le Soudan du Sud est-il moins misérable, indépendant que sous administration de Khartoum ? Il a même disparu des medias, comme par enchantement ! Il n'est remis à l'ordre du jour international, et de temps à autre, que pour prouver combien sont raisonnables et généreux les pays mêmes qui ont concocté la tragédie que vivent ses populations. L'anthropophagie y est même retournée !

L'Irak démocratique, débarrassé de Saddam Hossein est-il plus heureux, plus prospère, plus sûr ? Le règne brutal de ce dictateur a moins causé de morts innocents et de destruction que l'intervention étrangère violente, qui ne cesse d'inventer de nouveaux prétextes pour entretenir le désordre au nom de principes que contredisent les moyens que les « donneurs de leçons morales armés » utilisent. Et le redressement de ce pays, jadis sur la route du progrès, est loin d'être assuré. Les minorités religieuses qui faisaient de ce pays un musée des religions moyen-orientales ont été décimées et jamais le futur des minorités ethniques, qui y cohabitent depuis des millénaires, n'y a été aussi incertain.

Y a-t-il moins de tueries, de tortures, de souffrances, donc de barbarie dans la Libye débarrassée de Kadhafi ? Et l'Afrique sans lui est-elle plus assurée d'être sur la bonne voie ? La Méditerranée, grâce à la disparition de ce dictateur, si sanguinaire fût-il, est-elle enfin devenue la « mer paisible » qu'annonce son climat ?

La Syrie détruite se reconstruira-t-elle plus vite sans El Assad ? Rien n'est moins certain, car ceux mêmes qui dépensent des centaines de milliards de dollars pour la faire disparaître de la carte politique, seront les premiers à prendre la « poudre d'escampette » quand il s'agira de leur demander de mettre la main à la poche pour reconstruire ce qu'ils ont délibérément détruit directement, ou par comparses et complices interposés. Et que le peuple syrien ne prête pas créance à ceux qui lui promettent monts et merveilles, une fois qu'ils auront atteint leur objectif de contrôler chaque aspect de la vie politique de la Syrie ! Elle restera un grand champ de ruines, attirant de temps à autre, mais seulement quand ça rapporte, les pleurs et lamentations des âmes charitables qui se trouvent être ceux qui l'ont détruite de fond en comble.

Où sont ces défenseurs des droits de l'homme, si prompts à pleurer sur le sort des peuples opprimés par leurs dictateurs indigènes et si disposés à applaudir, si ce n'est à participer au massacre de ces peuples, lorsque leurs dirigeants, démocratiquement élus, en décident ainsi pour la défense de leurs « intérêts nationaux », intérêts jamais définis, et changeant avec les circonstances pour s'adapter aux décisions du moment ?

Les Nations démocratiques, qui se veulent les phares de la Civilisation et les exemples de l'humanisme dans le sens le plus complet du terme, ont tué au nom de la démocratie, de la liberté d'expression et de la défense des droits de l'homme encore plus de monde que les dictateurs, dont ils ont voulu débarrasser les peuples, qui ont eu le malheur d'attirer leur compassion meurtrière.

La banalisation du génocide pour régler les problèmes politiques internationaux

On sait maintenant que la démocratie est un autre mot pour le droit à la barbarie et que les sirènes de la démocratie ne sont que des requins sanguinaires déguisés pour attirer leurs victimes, que le printemps, qui symbolise le retour à la vie, est devenu le vestibule de l'Enfer sur terre, que la promotion de la liberté de la presse n'a d'autre visée que d'imposer à l'humanité entière un monopole unilatéral de l'information, que la défense des droits de l'homme est un slogan destiné à camoufler la banalisation et la promotion du génocide comme solution finale aux différends internationaux et que, conséquence logique, la barbarie est maintenant la forme suprême de la Civilisation.

Un dirigeant de cette « Communauté internationale » n'a-t-il pas menacé, il y a encore peu de temps de cela, « d'effacer de la surface de la Terre » un peuple auquel a été imposée de l'extérieur une situation de guerre totale qui dure depuis 40 années et qui n'est pas près de finir ?

La banalisation du génocide comme solution aux problèmes politiques internationaux n'est pas seulement une phrase choc dans un quotidien local. Seuls les simples d'esprit, quels que soient, par ailleurs, les titres et diplômes dont ils se parent, peuvent croire que le bourreau est l'ami de ses victimes.

La colonie de peuplement d'Israël, cette entité religieuse dédiée au génocide au nom de la «démocratie» et de «l'humanisme antinazi»

Il faudrait également rappeler au passage le génocide en cours dans la colonie de peuplement d'Israël, cette «démocratie-apartheid» où rien d'autre ne se passerait, suivant les médias «libres» que la découverte de sites archéologiques antiques ou l'exécution sommaire de «terroristes,» et, bien sûr, les «élections libres» dont les candidats changent, mais dont l'idéologie génocidaire est immuable au point où on se demande à quoi servent ces élections sinon à assouvir des ambitions personnelles. Voici, pour mémoire comment a commencé le génocide en cours du peuple palestinien:

«Comme résultat de la campagne... du nettoyage ethnique exécuté en Palestine par les Juifs en 1948, cinq cents villages et onze quartiers urbains palestiniens ont été détruits, sept cent mille Palestiniens ont été expulsés, et plusieurs milliers d'entre eux massacrés. Même aujourd'hui, il est difficile de trouver un résumé succinct de l'exécution de ce plan de nettoyage et les répercussions de ces résultats tragiques.» (dans: «Noam Chomsky et Illan Pappé: Gaza en Crise: Réflexions sur la Guerre d'Israël Contre les Palestiniens,» Haymarket Books, Chicago, Illinois, p. 63)

L'invasion de la Palestine a été une suite sans fin de crimes contre l'humanité, comme d'ailleurs son occupation qui, chaque jour, vient avec des exécutions extra-judiciaires faites au vu et au su de la «communauté internationale», si prompte à s'émouvoir de la moindre violation des droits de l'homme quand il s'agit évidemment de régimes déclarés «hostiles».

En conclusion

On se contentera de citer ce qu'a écrit Aimé Césaire sur les guerres européennes contemporaines:

«Oui, il vaudrait la peine d'étudier cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXIème siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que, s'il le vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, c'est l'humiliation de l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique» (dans «Aimé Césaire: «Discours sur le Colonialisme», Editions Présence Africaine, Paris, 1955, p. 77)

A elle seule cette citation explique l'hystérie qui s'est emparée actuellement des médias internationaux, qui violent toutes les règles de l'éthique de l'information et ont dévoilé leur vrai visage: des machines à manipuler les opinions publiques et a légitimer les mensonges d'Etat destinés à justifier des politiques de violence et d'agression qui n'ont rien à voir avec les principes moraux ou légaux quels qu'ils soient et qu'ils prétendent incarner et défendre.