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A l'assaut de l'Elysée: Sémantique guerrière et climat d'intolérance (2e Partie et fin)

par Mohamed Bensalah*

Face à la montée des populismes liées aux crises identitaires qui frappent en plein cœur aussi bien les Etats-Unis, le continent européen que les autres nations, la France résiste encore certes, mais pas assez, à voir les résultats décevants du premier tour des élections présidentielles française (1). Désireux malgré tout de s'accrocher aux valeurs de fraternité, d'égalité et de vivre ensemble, inscrites aux frontons des édifices publics, la population française se dit résolue à ne pas lâcher du lest.

Le moment semble venu pour les mémoires de marquer une pause et de se questionner sur l'esprit de stigmatisation qui perdure et sur le risque sérieux de « droitisation de la France ». Alors qu'un tiers des candidats potentiels a boudé les urnes, les deux autres tiers ne font guère illusion. Selon l'éditorialiste Franz-olivier Giesbert, le glissement manifeste vers la droite est devenu un symptôme. « La France penche à droite, et pas qu'un peu », écrit-il (2) et de poursuivre : « Ce que nos consciences ne peuvent plus tolérer se situe au niveau de la déconcertante dextérité avec laquelle les lobbies fascistes et réactionnaires récupèrent certains faits et les déforment dans le but rituel de s'attirer les sympathies de l'opinion publique ». Après une longue aphasie, la France schizophrène tente vainement de sortir de sa torpeur. Comment un pays porteur de valeurs universelles inscrites dans la Déclaration des Droits de l'Homme et donc considéré par tous (ou presque) comme le plus vertueux du monde, en est-il arrivé à installer au second tour de l'élection présidentielle, une extrémiste hors normes au seuil du pouvoir ? Comment l'électeur lambda peut se laisser embobiner au point d'accepter que ce personnage sans consistance se présente comme un être vertueux, exemple de probité de langage, d'intégrité intellectuelle, d'honnêteté de pensée, de justice et d'harmonie ?

Il suffit pourtant de gratter un peu le vernis, pour constater de visu que si le Front National a muté, le Rassemblement national n'a jamais respecté les règles élémentaires de la morale sociale et les devoirs qu'imposent l'honnêteté et la justice. Cela ne veut pas dire que les autres principes inscrits dans la Constitution sont scrupuleusement respectées. Nous avons eu à le constater à maintes reprise à l'occasion des présidentielles en cours. A chaque prise de parole, la candidate a donné la preuve de son indigence et de son manque flagrant de connaissances des dossiers. Le public, malheureusement, ignorant tout des aléas et des manipulations politiques tombe dans les panneaux car lire à travers les lignes n'est pas chose aisée. Prenons un exemple, celui des premiers résultats obtenus à Mayotte, avec 60% de voix obtenus devant Mélenchon et Macron et 75% d'abstention, comment ne pas être circonspect lorsqu'on connait la nature exacte de la candidate qui a toujours pointé du doigt l'islam et les immigrés, comme dangers majeurs ? Si on ajoute à cela, la prière annoncée des chefs religieux musulmans en faveur de Marine Le Pen au 2e tour, notre perplexité sera totale. Cela dit cette popularité n'est pas nouvelle. Le score de Marine Le Pen a plus que doublé dans cette contrée entre 2012 et 2017. Il y a lieu de préciser par ailleurs que Marine Le Pen sait compenser ses lacunes par des non-dits, des promesses et une intimidation verbale judicieuse et agressive.

Leçons d'un scrutin. L'heure du bilan a sonné. La confusion savamment entretenue par les candidats et la bataille des égos va prendre fin. Le second tour est ouvert. Après deux tentatives infructueuses, revoici la pyromane de retour prête à être propulsée sur le portail de l'Elysée. Comment interpréter cet épiphénomène ? Est-il possible qu'un être quasi-insignifiant et aussi peu qualifié réussisse à se faire grimper tout aux cimes des responsabilités ? Résoudre cette énigme oblige à remonter à la genèse du cheminement et à re-parcourir cette fulgurante ascension politique à nulle autre pareille.

Stratégie d'une diabolisation programmée

Née au sein d'une famille politique aux caractéristiques propres, Marine Le Pen a d'abord voulu être magistrate avant de vite déchanter. Avocate sans clients, sans dossiers et sans revenus, elle a du se rendre à l'évidence et opter pour l'autre choix proposé par son père : entrer au FN, où il a créé pour elle un service juridique. Le pied mis à l'étrier, les choses vont aller très vite. Elle fera son apprentissage droitier aux côté de caciques tels Brunot Mégret, Bruno Golnich, Jean-Marie Stirbois, Jacques Bompart et consorts) qui ne laisse quasiment aucune alternative à ses membres hors de l'orbite fasciste. Certes, le parrainage et la proximité constante du patriarche du principal groupe extrémiste français a été d'une grande efficacité dans l'orientation fascisante et le parcours droitier de sa fille et du reste de la famille d'ailleurs.

Tout en disséminant son venin des années durant, ce dernier a fini par créer une véritable dynastie, à l'instar de celle d'Ewing Dallas (3), véhiculant les mêmes vicissitudes, les mêmes rebondissements interminables et les mêmes ingrédients qui amplifient les luttes intestines.

Premiers hics cependant : la dame qui prétend réconcilier une France déchirée, n'arrive même pas à résoudre ses propres conflits familiaux. A la mésentente permanente avec son père, au conflit larvé avec sa nièce (une seconde Marine qui attend son heure), se sont ajouté au fil du temps, les heurs et malheur avec ses nombreux époux (4). Marine    

Le Pen serait un redoutable « JR » féminin, spécialiste sans scrupules en affaires et experte en manipulation des consciences. Entre fille, père, mari, nièce, beau frère et belles mères, les batailles ont toujours fait rage. Si nous ajoutons à cela, les conflits entre les divers clans de sa famille politique, la boucle est bouclée.

Depuis l'avènement d'Eric Zemmour, loin de se ressouder, les RN ont fini par se disloquer en désertant l'arène politique : Louis Aliot, maire de Perpignan, Robert Ménard, maire de Bézier, Marion-Philippe Eymery, Florian Philippot (ui a rejoint récemment Dupont-Aignan). Ajoutons à ces derniers les dépités qualifiés de « déserteurs » par leur collègues car ils ont opté pour Eric Zemmour, espérant un avenir meilleur.

Nul ne doute que c'est grâce à son père qu'elle doit son ascension fulgurante et surtout son influence grandissante au sein de l'appareil fasciste et xénophobe. Par respect pour le papa, je dirai plutôt par calcul elle porte encore son nom de jeune fille. Fière de sa fille, Jean-Marie Le Pen va, malgré toutes les oppositions et tous les aléas rencontrés, va réussir à imposer sa fille au sein de son establishment. Tout comme son père-modèle, elle jette aussitôt son dévolu sur la France avant de se l'approprier comme un bien personnel. Tout comme lui, sensible aux sirènes de la droite extrême, elle va construire sa notoriété sur la diabolisation, la stigmatisation et la détestation des Français d'origine étrangère en raison de leur couleur de peau, de leur confession où de leur race.

Persuadé, à l'image de son tuteur, d'une pseudo-appartenance à une civilisation éclairée et à un système culturel supérieur, notre fasciste en devenir se fixe comme objectif une éradication complète des étrangers. Suivant le sillon qu'il lui a tracé, elle s'en s'inspire en en retenant les théories essentielles. Premières cibles, les Algériens, les Juifs, les gitans, les Africains et tous les musulmans appréhendés comme des êtres immatures, sous-développés, arriérés et menaçants.

Aucun changement de paradigme. Habituée aux trahisons, Marine Le Pen n'hésite pas un instant à couper le cordon ombilical avec un père devenu de plus en plus encombrant.

Après s'en être débarrassé définitivement par une destitution en règle de la présidence d'honneur du parti qu'il a lui-même créé, elle veut l'achever par euthanasie. Elle installe Jordan Bardella, l'Italien de Seines Saint Denis, l'un des derniers affidés rescapés, aux commandes du RN afin qu'elle puisse s'investir totalement dans sa troisième présidentielle, totalement convaincu que cette troisième tentative sera la bonne.

Comme par le passé, la candidate à l'Elysée répète à satiété son arrivée imminente aux commandes du pays. Elle va, pour ce faire, user de tous les stratagèmes, de toutes les tactiques, de toutes les stratégies et de toute sa félonie pour atteindre son but ultime : l'Elysée. Elle enclenche alors une énième métamorphose pour compenser son appétit insatiable de pouvoir. Elle s'en prend tout d'abord aux 30% de rebelles « égarés » qui l'ont boudé vu qu'ils ont claqué toutes les portes.

Ce sera ensuite le tour des électeurs stigmatisés à outrance (musulmans, arabes...), qu'elle tente d'amadouer en leur faisant les yeux doux. Ce ne sera certainement pas facile d'éliminer du jour au lendemain une haine viscéral et une idéologie totalitaire, devenues un moteur et un carburant.

Cultiver le paradoxe et faire fleurir l'irrationnel

Tel semble être la directive pour qui veut arriver en tête. Le marathon a repris de plus belle. Plus que 10 jours pour s'imposer. Les électeurs savent bien qu'en ce temps record, il est impossible de corriger le tir, de se réadapter aux circonstances et de changer de forme, de nature et de structure. Mais Machiavel au féminin veut quand même faire bonne figure au sens propre et figuré. On lui a certainement demandé de faire bonne figure et d'essayer un temps soit peu, de rendre moins machiste et moins arrogante sa physionomie. L'ex « garde rouge », comme se plaisait à la surnommer les membres de son clan, a commencé à affiner ses attitudes, son comportement en tentant de rendre son visage moins dure et moins hostile. Cela dit, un sourire figé en permanence, des bises au tout venant et des multiplications des poignées de main ne vont certainement pas faciliter la récupération des voix des indécis et des réfractaires à sa candidature. Un changement radical est nécessaire encore faut-il qu'il ne soit pas un vœu pieux ? Côté sémantique, Marine Le Pen souffre d'un immense handicap. La toxicité de ses propos, ses non-dits et ses mal-dits, ses discours archaïques et redondants, ses phrases alambiquées et ses fixations centrées sur les questions migratoires et identitaires ne vont certainement pas pacifier son discours. Les personnes qui l'entendent parler d'un islam français en polissant sa phraséologie ne sont pas dupes. Idem pour le président sortant qui n'aspire qu'à se maintenir au pouvoir. Mais rien fait ou presque n'a été fait pour améliorer son image et donner des gages d'espoir et donc foi en l'avenir. Cela dit, lui reprocher tous ses impairs, ses dits et ses non-dits, alors qu'une pandémie mortelle perdurait et qu'une guerre atroce prenait racine en Europe, n'est guère aisé ? A chaque moment délicat durant toute cette délicate période, son adversaire déclarée et imbue de sa personne, n'a fait que guetter le moindre problème, le moindre incident pour masquer ses scandales et ses frasques (6) et tenter de relever la côte de son parti de plus en plus moribond.

Dernière ligne droite. Durant cette semaine, les deux candidats finalistes vont encore promettre monts et merveilles sachant pertinemment que leurs promesses resteront sans écho. Les différentes communautés caressée dans le sens du poil, vont oublier, un temps, les outrages publics, les propos infâmants et quasi-hystériques, les attitudes ignominieuse, les névroses caractérisées, contre tout le monde. Les immigrés algériens ou d'origine algérienne, et les musulmans systématiquement assimilés à des fanatiques hideux vont pouvoir respirer à moins qu'une nouvelle catastrophe leur tombe du ciel avec l'intronisation de la parachutée le 12 mai. Souvenons-nous des paroles venimeuses que le candidat le plus enragé de la campagne énonçait il y a peu sur Cnews.

Avec un score qui frise ridicule et qui témoigne de son effondrement imminent, son projet d'expulsion immédiate d'un million d'immigrés, de fermeture de mosquées et de remigration ne verra jamais le jour. Il faut cependant rester sur ses gardes. Les candidats évincés et leurs alter-égo déçus, au micro d'El Krief Ruth (LCI), ont, jusqu'au dernier moment, poursuivi leurs outrances leurs éructations sont demeurées venimeuses. Via les médias et surtout les réseaux sociaux, on constate que les outrances se multiplient et que les coups d'éclat provoquent chocs et indignation. C'était à qui peut se montrer plus radical que l'autre.

La parenthèse électorale va bientôt se refermer sur elles-mêmes et la vie va reprendre son cours, même si le temps qui est passé a aggravé les choses en les rendant plus inextricables. Jusqu'à sa fin, la campagne présidentielle aura charrié effronteries audacieuses et provocations malfaisantes. Les candidats droitistes cyniques et insolents, leurs thuriféraires névrotiques et leurs laudateurs éhontés, qui ont excellé en matière d'arrogance sont partis se rhabiller. Mais, à tout moment, un nouveau drame peut surgir et permette à la fureur de reprendre de plus belle. Les Français doivent se remettre debout pour éviter le pire pour eux et pour l'ensemble des communautés étrangères qui ont choisi la France comme « Terre d'accueil ».

Notes

* Une première partie intitulée «Dans les coulisse d'une élection hors norme » a été publiée dans le QO du mardi 12 avril 2022

-1) Résultats du 1e tour : M. Le Pen 23,15% (RN), E. Zemmour 7,07% (Reconquête), N. Dupont-Aignan 2,06% (DLF), V. Pécrese 4,78% (LR), E. Macron 2,84% , J.L Mélanchon 21,97% , Y. Jadot 4,63% , J. Lassale 3,13%, F. Roussel, 2,28% , A. Hidalgo 1,75% P. Poutou, 0,77% N. Artaud, O,56%. Abstentionniste (Ipsos-Soprastetm) : 30%

-2) Franz-olivier Giesbert, Le Point 11/12/2021 « Si la France prend un virage à droite (dure), c'est à cause de la gauche devenue communautariste. Jean Daniel.

-3) Série TV 1978 crée par David Jacobs (357 épisodes) avec Jock Ewing. Avec vie luxueuse et château (héritage mystérieux !).

-4) Mariée avec Franck Chauffroy, elle en divorce en 2000. Se remarie en 2002, avec Eric Iorio, elle s'en sépare en 2006. C e fut le tour de Louis Alio (SG du FN) avec qui elle se sépare en septembre 2019 et adopte 6 chats, immigrés du Bengale.

-5) Frasques et scandales ont ponctués toute sa carrière politique. Parmi les dernières affaires judiciaires, celles des parlementaires fictifs du Parlement européen qui activaient au sein du RN, celles liées au procès lié à la diffusion d'images violentes d'islamistes, Contact avec Donald Triumpf, rencontre avec Viktor Orban, et Vladimir Poutine