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Washington puise dans ses stocks de brut

par Akram Belkaïd, Paris

L’actualité pétrolière, comme pour le reste des matières premières, est souvent cyclique avec ses événements et ses facteurs récurrents qui influent sur les prix. Baisse des cours, hausse des cours, réunion des membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), rapport de l’Agence internationale de l’énergie, tensions géopolitiques et actualité des grandes compagnies (fusion, acquisition, découverte ou non de nouveaux gisements), constituent le menu de cette rubrique.

50 millions de barils

Il arrive parfois que sa monotonie soit suspendue par un événement inhabituel. Cette fois, c’est du côté des États-Unis que cela se passe avec la décision de la Maison-Blanche de puiser dans les réserves stratégiques du pays en mettant 50 millions de barils de pétrole brut à la disposition des raffineries. L’objectif est simple, il s’agit de faire baisser les prix de l’essence et de limiter la grogne des consommateurs. Pour mémoire, Washington dispose d’un stock de près de 730 millions de barils situé dans d’anciennes mines de sel au Texas et en Louisiane. En 2020, alors que les prix du brut étaient au plus bas, Donald Trump avait ordonné à deux reprises à ce que ces réserves soient portées au maximum de leur capacité.

Il est très rare que ces réserves d’or noir soient utilisées (trois fois depuis leur constitution). A l’origine, ces stocks ne devaient servir qu’à une seule chose : répondre à une interruption des approvisionnements en pétrole à la suite d’une crise ou d’une guerre. Mais depuis deux décennies, la doctrine américaine a changé et les réserves stratégiques peuvent être utilisées dans le cas où les prix à la pompe sont jugés trop élevés. La dernière utilisation avant celle de cette semaine a eu lieu en 2011 au moment de l’embrasement de la Libye dans la foulée des révoltes populaires en Tunisie et en Égypte. A l’époque, plusieurs terminaux pétroliers libyens avaient interrompu leurs activités et le monde avait craint une sévère pénurie d’or noir.

Cette fois, Washington entend tordre la main à l’Opep qui refuse d’augmenter sa production dans les quantités souhaitées par les pays consommateurs. On notera que les États-Unis ne craignent pas d’être accusés de manipuler le marché en puisant dans leurs réserves stratégiques alors qu’eux-mêmes accusent régulièrement le Cartel d’influer sur les prix et de ne pas respecter la sacro-sainte règle du «marché libre». Une règle incompatible avec la colère d’automobilistes qui sont aussi des électeurs…

Démarche concertée

L’autre nouveauté dans l’affaire, c’est que Washington en a appelé à la collaboration d’autres pays consommateurs dont la Chine, la Corée du Sud, le Japon et même la Grande-Bretagne. Cela donne raison, a posteriori, aux partisans qui prônaient dans les années 1970 la constitution de stocks géants au bénéfice de pays consommateurs. A l’époque, outre des considérations de coûts, les Etats-Unis avaient combattu cette option estimant qu’elle donnerait le mauvais exemple et empêcherait la fluidité du commerce des matières premières. Quoi qu’il en soit, la thématique du recours aux réserves stratégiques risque désormais de se banaliser.