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Écoute-moi, pov'virus !

par El Yazid Dib

J'aurais bien voulu parler de joie et décrire ses riches moments, sinon m'adresser à l'espoir et m'évanouir dans ses immenses champs et non pas à toi ; minable pov'p'tit virus. Alors, écoute-moi !

Mais voilà que, venant en silence, au p'tit pas, comme un voleur, un tueur violer l'insouciance de la terre et ses locataires ; tu brises sans différence la douceur du môme et la confiance du médecin. Ce qui semble être chez toi une vertu ; c'est que tu ne fais pas de l'égalité des sexes, des âges, des peaux, des territoires un vain mot. Tu donnes la mort à tous, tu partages l'asphyxie pour tous. Tu t'invites chez ces bras ouverts, ces mains tendues, cette gorge séchée pour t'installer dans le confort d'une luette et prendre pour salle de séjour la salubrité des poitrines étranglées.

Parce que tu es sans voix, sans visage que tu arrives à faucher de chacun son âme et de chacun son être cher. Perfide et vicieux tu rodes en quête de trahir une innocence ou de t'occasionner une proie par inadvertance. Parce que tu as beaucoup de famille variées et variantes que tu coupes le souffle des autres familles. Tu sembles vaincre la science en ne vainquant que la bêtise des hommes. Tu fais d'un deuil une interdiction de présence à tout enterrement tout en comblant les fosses ossuaires de sacs et de minables planches blanchâtres. L'on ne sait pas assez, encore sur tes escapades mortelles quand tu t'insinues comme un vendu, un harki dans les artères pulmonaires d'un être qui ne s'encense que par la liberté de jouir du vent, du ciel et de la pureté de l'air. Tu as conquis la planète et ligoté nos gestes et nos articulations. La rue est un danger, le marché un péril, alors que l'hôpital censé être ton catafalque, ton tombeau tu l'as rendu hécatombe, un mouroir patent. Tu n'es rien, tu es inorganique, invivant, pourtant tu ne meurs pas sans faire mourir beaucoup de d'âmes pour les vies restantes que tu as endeuillées. L'on sait par forte croyance que tu n'es pas un Dieu et pourtant tu es partout et nulle part. Tu traverses les océans, tu avales les distances, tu cours plus vite que la lumière, tu défies l'OTAN, l'OMS, les deux blocs et tout le tiers du monde et pourtant tu ne pèse pas lourd. Tu es un rien, un indéfini pov'p'tit virus !

Par la bavette tu as masqué le sourire de nos belles femmes et cousu ceux de nos hommes. Elle est devenue un document de circulation obligatoire. Une cagoule voilant l'allégresse et une camisole pour l'air frais que nous offre le Généreux, pas le générateur. N'as-tu pas honte de flétrir la beauté et de faire gémir l'amour qui s'attache à la vie ? Mais au fait qui es-tu ? Ou es-tu né, quels sont tes parents ou peut être tes parrains pour avoir tenu en échec l'ensemble des protocoles sanitaires, les Etats les plus puissants ? Es-tu l'ami-bébé des labos ou le fœtus immoral d'une conspiration tendant à alléger la terre de ces humanoïdes ? Oui, une autre vertu des tiennes ; c'est d'avoir savamment semé le doute entre scientifiques, la scission entre famille, la suspicion envers tout antidote, vaccins ou pass-sanitaire.

Ne pas sortir, sinon furtivement, ne pas accomplir des gestes, ne pas enlacer, ne pas prendre une main sont mis à rudes épreuves face à ces condamnations, ces barrières, ces censures que tu nous imposes. C'est ainsi que nous avons appris à ne plus faire confiance, à ne plus fréquenter les fêtes, ou les cénacles joyeux. Nous fréquentons de plus en plus les lavabos, la mousse, le gel et nous découvrons des vertus à l'ail, au vinaigre et aux clous de girofle. Personne ne m'embrasse, je ne reçois plus l'affection enfantine de mes p'tits diablotins, je ne la donne plus. Tout est presque vide à mes alentours. Tu me prends prisonnier et me fait vivre une parenthèse. Un arrêt sur souffle, sur destin, sur temps. Je suis suspendu à un horaire, à des modes d'emploi inhabituels. Ce conditionnement est comme un arrêt en sursis de mort. Une mort qui redonne de la vie. Un arrêt protecteur que l'on finit sans contester par applaudir, car il n'ira qu'en t'éliminant.

La certitude des plus « incontestables » est que la mort est un impératif, une finalité incontournable. Voltaire disait que « l'instant où nous naissons est le premier pas vers la mort ». Ceci te dédouane un peu en rapport des autres causes de mortalité et bien avant que tu ne surviennes ,on avait déjà commencé à s'effacer l'un après l'autre... mes oncles Aissa et Embarek , mon père, Salah, ma mère, puis Sidi et Djamila son épouse, Hanane l'étudiante inachevée, Ahmed et ses 2 enfants, Louisa, Khadidja, Djamel...et le cheminement continue pour emporter la brave Dalila. Elle était belle, la femme de mon frère Boualem ( Rabi yach'fih) , oui belle et sœur, ma belle-sœur ; plus qu'une sœur, un ange. La bonté s'évanouissait dans le bleu-clair de ses yeux, la famille s'unissait dans l'immensité de son cœur toujours battant pour les uns et les autres. Elle vient, sans oxygène rejoindre le maître des mondes, ce jeudi où je commettais sans aucun lien ma chronique de cet « oxygène, de la vie et de la mort ». Était-ce là une inspiration prémonitoire que tu me fourguais à langueur de lectures macabres ? Beaucoup d'amis, de voisins, de concitoyens ont été pris dans le linceul de tes meurtres. Chacun prend et met en doute quiconque croisé ou rencontré. Les mosquées, les squares, les plages, les musées, les chapelles et tous les temples et palais de culture ou d'adoration, de villégiature ou de méditation sont fermés, bouclés sur tes monstrueuses injonctions et bravades. On ne sort plus. La peur a troué nos ventres. Tu es un as, un champion mais traître et félon. Que toutes les malédictions de Dieu, de ses saints, des innocents, des veufs et veuves, des orphelins, des sans-défenses, des désimmunisés soit sur toi, sur toute ta source matricielle. Oui, l'on n'a comme ultime réconfort que ces prières et ces pieuses invocations. Dieu est plus Grand.

Toutes nos expressions sont devenues des condoléances, toutes les nouvelles ne sont pas bonnes et sentent à satiété l'odeur des morgues et des cimetières. Nos échanges ne sont qu'une communication funèbre, qu'un journal nécrologique. Nous soupirons et nous haletons à chaque disparition, à chaque hospitalisation et nos cœurs se serrent à force de ne plus pouvoir contenir ni la peine ni la patience. Ils sont meurtris, ulcérés et compressés.

L'âge, le temps, les couacs du corps et ses incapacités, le chagrin et l'abandon, la nature des choses et leur évolution font que lorsqu'une famille s'effondre c'est pour laisser place à bien d'autres. Ainsi le cycle décidé par l'Omnipotent, le Miséricordieux prouve que nul n'est éternel. A Lui nous appartenons à Lui nous reviendrons ! Tu n'es pour rien en fait, pov'p'tit virus. Tu tues c'est tout.

Tout évolue à ton ombre sous ta menace, les généalogies peuvent s'arrêter à ton bon vouloir. Depuis ton apparition, une parenthèse a encerclé la vie. On agit, on attend, on espère avant de mourir. Tu as décalé tous les agendas, explosé les corsages, rendu fragile toute puissance. Tu as fait adopter en nos mœurs solitude et isolement, esseulement et confinement. Tu as séparé les corps, les lits et tous les câlins. Le fils du père, la caresse des mains. Le hold-up de vie que tu opères en arrachant le souffle à ceux qui en manquent suffisamment reste ton arme de destruction préférée. Tu profites de l'indiscipline des foules à continuer de s'aimer, de s'agglutiner malgré le risque qui plane sur les têtes. Le vivre ensemble n'est plus possible à cause de tes pirouettes, tes manigances, tes tours funestes.

Ici, dans ce pays, là où le système sanitaire est dit être le meilleur de l'Afrique et du monde arabe, où la santé à cause de tes envies est suspendue à une bouteille d'oxygène que ne peut s'offrir un malade en insuffisance respiratoire et que gère le gouverneur du coin. Ici, dans ce bled c'est le peuple qui comble les failles de L'Hôpital public et du régime social. C'est lui qui ramasse de l'argent, des bijoux, un trésor de guerre quoi ; pour faire face au déficit des prévisions, à l'imbécillité gouvernante de ceux qui le dirigent. Son génie est poussé jusqu'à rendre une chaudière en machine de production d'oxygène. C'est dans ses sièges de commerce que l'on pratique la vaccination, alors que les infrastructures étatiques, toutes vacantes en ces moments restent closes. L'on a bien ouvert les écoles en pleine période scolaire pour des opérations électorales. Le wali, ici ne tombe pas malade. Il s'interdit de le faire que pour, le cas échéant tomber malade pour quelques jours de repos à domicile. Tu vois maudit virus qu'est-ce que tu as fait de nos chefs ! Tu les as déshabillés de la torpeur qui les somnole encore et révélé leur petitesse professionnelle en face de cette corpulente grandeur populaire. Un autre avantage que l'on tire de tes désavantages : La solidarité. Elle semblait se perdre dans les méandres d'un quotidien qui n'a plus les mêmes valeurs ni les mêmes essences de seigneurie.

Ici, chez nous, là où tu côtoies des jeunes désœuvrés par absence d'avenir sauf à avoir l'illusion s'embarquer au creux des vagues houleuses et plus mortelles que tes différentes vagues ; le temps se fige à épier leur moindre accalmie. C'est cet avenir qui sombre comme tu viens faire sombrer l'alité en désespoir de survie. Là où tu fais succomber les vieux retraités agglutinés en chaîne dès l'aube, aux guichets postaux pour recevoir une pension minable après avoir donné le suc de leur sève.

Enfants que nous étions, nous n'avions jamais rêvé d'un monde comme celui-là, ni d'un pays et d'une société comme ceux-là. Un pays où l'on ne meurt pas uniquement par manque d'oxygène médical, mais aussi par l'oxygène de l'expression et sa liberté, de l'inégalité des sorts, de la fausseté politique, de l'irresponsabilité vaniteuse des chefs. On a surexploité la terre et ses entrailles, rapetissé le monde au titre d'un libéralisme sauvage ou d'une mondialisation inégale, brisé la tranquillité du cosmos au nom de la conquête de l'espace. La couche d'ozone est dépucelée et avec toutes les virginités de la nature. Malgré tout, les décès, la tristesse : la vie continue. La conviction que nous cultivons confirme l'espoir que tu ne pourras jamais anéantir ni l'humanité ni son humanisme. Tu partiras, tu partiras. Malgré tout ; les gens s'aiment davantage et s'entrelacent et c'est cet amour ardent et trop vivant qui te détruira. Même si tu ne t'arrêtes pas de muter, d'abasourdir les virologues et d'alourdir les consternations ; tu ne vas pas finir le monde. Il y restera toutefois un brin d'homme ou une tige de femme en blouse blanche qui aura ta peau et te décalottera de ta couronne pour que tu puisses comme tant d'autres calamités aller garnir le palmarès des victoires humaines. Tu ne seras qu'un virus de 2019 connu tristement célèbre dans la marche autoritaire des sciences et des thérapies. On saura te vaincre.