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Risques majeurs : il n'y a que la prévention qui vaille !

par Cherif Ali

La Grèce est en feu. La Turquie aussi. La riche Californie offre en continu des spectacles dépassant les rendus de la science-fiction. Qui aurait pensé que le glacial Canada connaîtrait une fournaise incendiaire telle que celle qu'il a subie aujourd'hui?*

L'Algérie n'est malheureusement pas en reste ! La fréquence et l'origine inexpliquée des feux de forêt ont fait d'ailleurs l'objet d'un examen en Conseil des ministres où il a été décidé de sanctionner sévèrement les auteurs d'incendies criminels de forêts, avec des peines allant jusqu'à 30 ans de prison ferme, voire la perpétuité si l'incendie a causé la mort d'individus. Si les causes directes des feux sont le plus souvent humaines, que ce soit par des départs de feu accidentels ou criminels, les études tendent à prouver que l'augmentation de l'étendue des dégâts est une répercussion du changement climatique qui assèche la végétation et entraîne une augmentation du risque des feux des forêts. Les températures plus élevées favorisent la transpiration des plantes et assèchent l'eau contenue dans les sols. Ces deux faits conjugués rendent plus propice le risque d'incendie. Les experts sont arrivés à la conclusion qu'en Algérie, il n'existe pas de « programme institutionnalisé d'enquêtes sur les motifs des incendies » ! Ce qui réduit, selon eux, l'efficacité potentielle des initiatives de prévention, par manque d'actions ciblées sur les groupes humains responsables. La prévention, disent-ils, restera donc vouée à l'échec. Et ancrée à des modèles maintenant dépassés qui ne s'appuient que sur des infrastructures du type pistes, points d'eau et pare-feux. Il n'en reste pas moins que les points d'éclosion de grands feux reviennent à intervalles réguliers dans certaines de nos régions et les changements climatiques n'en sont pas les causes principales !

Le ministre de l'Intérieur s'en est tenu, quant à lui à son idée, à savoir que des nombreux incendies qui ont ravagé l'été dernier des milliers d'hectares de forêts dans les wilayas du pays, ont été causés par des « mains criminelles » !

Et la motivation de cette « pyromanie » est avant tout pécuniaire !

Il rejoint en cela les riverains des massifs forestiers qui avaient estimé «que l'on est en face de prédateurs du foncier ; c'est une opération politique, une vengeance orchestrée par des centres prédateurs dérangés visant à garrotter la prédation, récupérer le foncier agricole détourné de sa vocation ou utilisé, exclusivement, comme garantie pour l'obtention des crédits bancaires qui ne donnent lieu à aucun projet». Il faut dire aussi que le laisser-aller, et les interventions conjoncturelles d'un personnel non formé pour la circonstance aggravent la situation, quand la catastrophe se produit!

Mais force est de constater qu'en l'absence d'une stratégie d'intervention à moyen et à long termes, les mêmes erreurs et les mêmes défaillances se reproduisent de manière cyclique, avec leur lot de drames humains et de dégâts matériels.

Le séisme, l'autre risque majeur

Il y a un petit peu plus de 30 ans, Haroun Tazieff, le vulcanologue français avait alerté sur le danger représenté par les constructions sauvages, le long du littoral algérien. Personne n'avait voulu écouter cet éminent expert étranger passé ministre et décédé depuis, qui séjourna en Algérie juste après le séisme d'El-Asnam, pour y donner quelques conférences sur l'origine des tremblements de terre et la manière d'en limiter les dégâts, notamment humains, sachant qu'on ne peut pas, dans l'absolu, les prévenir. Si l'on avait pris compte de ses recommandations, ont dit certains, le bilan des victimes des séismes de Boumerdes en 2003 et d'Alger en 2014, auraient été, peut-être, moins lourds. Mais comme on dit, à chaque chose malheur est bon et un chroniqueur l'a affirmé récemment « malgré les dégâts, les séismes ont cet avantage, ils révèlent souvent les contradictions des constructions humaines, celles de l'échafaudage des bâtiments ou celles de l'explication magique».

Après le dernier séisme survenu en Algérie, et c'est le premier constat à faire, tout ce que l'Algérie compte comme responsable est rappelé à la réalité : des spécialistes s'accordent à dire que le fait que l'épicentre soit situé en mer a sauvé des dizaines et des dizaines de ces vénérables mais néanmoins vulnérables immeubles de l'affaissement !

La précarité de ces habitations d'Alger et d'ailleurs a atteint un seuil alarmant : le parc immobilier national selon les professionnels, est constitué de 7 millions de logements dont 1,5 millions d'unités menaçant ruine ! De plus il diminue, inexorablement, suite aux catastrophes naturelles et se réduit aussi par la faute de l'occupant qui néglige l'entretien de son habitation, qu'elle lui soit propre ou qu'elle relève du patrimoine public.

L'absence d'entretien, les attaques climatiques additionnées aux adaptations décidées de manière unilatérale par les occupants qui, non seulement, s'approprient les espaces communs, mettent aussi en péril la vie de leurs colocataires en s'autorisant, pour certains, des constructions illicites sur les terrasses, au vu et au su de tout le monde, élus locaux compris, ajoutent à la précarité du vieux bâti.

On l'aura compris, il ne suffit pas aujourd'hui prétendre régler la crise du logement en construisant des nouvelles cités, il y a aussi urgence à assurer la maintenance de ce qui existe déjà.

Il est important de comprendre que tout logement ou équipement a une durée de vie et qu'il est sujet, périodiquement, à une usure qu'il y a lieu de prendre en charge dans le cadre d'un programme concret de survie et de réhabilitation avait souligné le Collectif National des Experts Architectes (CNEA) dans son livre blanc révélé en 2011. Le président de cette instance a affirmé que « l'appréciation de la qualité esthétique des bâtiments et leur réhabilitation exige compétence, dextérité, professionnalisme des intervenants ». Le CNEA avait proposé alors, la création d'un « carnet de santé du bâtiment » ainsi que la mise en place « d'un fond national de l'amélioration de l'habitat et le lancement d'un programme de réhabilitation d'un vieux bâti ».

Le professeur A.Chelghoum, l'autre spécialiste, vient de le déclarer, « le pays regorge d'experts y compris dans la sphère privée qui ne demande qu'à être associés dans cette crise ; il est temps pour les pouvoirs publics de déclencher une opération sérieuse d'expertise globale de tous les vieux bâtis, ce qui permettrait d'aboutir à une opération de réhabilitation, de renforcement ou de confortement selon les résultats de chaque expertise ». L'ignorance fait plus de dégâts dans un pays où l'acquisition d'une culture sismique aurait dû se faire jour depuis le tremblement de terre d'El Asnam!

Les inondations !

A chaque fois, la responsabilité est imputée à l'Office national de météorologie (ONM). On lui reproche de ne pas cibler les localités exactes qui seront affectées par les intempéries, alors que son rôle se limite à donner des alertes à travers la diffusion des BMS (Bulletin météorologique spécial) en temps réel. A elle seule, la météo ne peut faire face aux intempéries et aux inondations, d'autres facteurs interviennent justement dans cette situation.

L'on cite souvent la mauvaise gestion des villes et la négligence. Les collectivités locales n'accordent pas beaucoup d'importance au curage des avaloirs et des regards de la voirie. Ces travaux qui devraient être entrepris en été, auraient certainement permis d'éviter leur obstruction par les premières pluies automnales et le refoulement de ces eaux.

Le laisser-aller, l'absence, parfois, de plans Orsec et les interventions conjoncturelles d'un personnel non formé pour la circonstance aggravent la situation, quand la catastrophe se produit. Les opérations d'entretien préventif, quand elles ont lieu, ne doivent pas, en principe, s'inscrire dans un calendrier saisonnier, dans la mesure où les calamités sont imprévisibles, n'ont cessé de répéter tous les spécialistes de la question. La plupart d'entre-elles ne disposent même pas d'un « système d'alerte et d'information de la population ». A cela il faut ajouter le manque d'organisation des services de nettoyage et d'entretien ainsi que le laxisme de certains responsables locaux qui ne prennent pas les mesures d'anticipation qui s'imposent en cette basse saison et qui ne donnent même pas suite aux BMS spéciaux qui leur sont transmis ! Il y a aussi le manque d'informations concernant la consistance et l'état des moyens à mutualiser et à mobiliser à l'échelon national et aussi des ressources humaines à réquisitionner quand la catastrophe touche une ou plusieurs wilayas, ce qui laisse perplexe les responsables en charge de coordonner les secours, en l'absence d'un fichier central informatisé. Dans ce registre, un responsable du ministère des Ressources en Eau avait annoncé, il y a quelque temps, qu'un « Plan national de protection des villes contre les inondations » avait été établi, dans le cadre d'une stratégie allant jusqu'à 2030 ».  On a entendu aussi parler « d'une étude sur le phénomène des inondations en Algérie et les moyens de réduire leur impact », financée par l'Union européenne pour un coût de 1,2 million d'euros. Simples effets d'annonce ou projets concrets, toujours est-il qu'au jour d'aujourd'hui, les inquiétudes demeurent et les Algériens se souviennent encore des drames causés par :

- Les inondations de Bab El-Oued (10 novembre 2001) et les torrents de boue qui se sont déversés dans l'oued principal du Frais-Vallon faisant 1000 victimes et aucun responsable n'a été inquiété !

- Celles de Ghardaïa en 2008, quand des pluies diluviennes se sont abattues sur la région pendant 48 heures. En amont, elles ont trouvé comme réceptacle des oueds et de là, les eaux ont déferlé, débordé et emporté tout sur leur passage, à travers huit communes, dont celle située dans la vallée du M'zab, Ghardaïa ! Le bilan s'est soldé par 49 morts, des dizaines de blessés et autant de personnes traumatisées, sans compter les dégâts matériels qui se chiffrent en milliards !

Les oueds menacent nos villes et les alertes météo vont être fréquentes et il n'est pas question de se défausser sur les autres, comme l'a fait, par exemple, un maire d'une commune du centre du pays dans un entretien qu'il a accordé à un journal en ligne. S'expliquant sur les inondations provoquées par les premières pluies qui ont bloqué la circulation automobile pendant des heures, il a affirmé : « je pense que cela s'est produit à cause des travaux qui sont en cours et notamment le sable utilisé dans les chantiers ». A la question de savoir qui était responsable, Il a botté en touche en pointé du doigt les entreprises SEAAL et Sonelgaz « qui font la sourde oreille à nos réclamations en refusant de remettre en état les lieux quand elles interviennent sur la chaussée, laissant sur place les gravats qui obstruent les avaloirs et les égouts!».

Un autre maire, celui de Tébessa, ville qui a été submergée par la boue et inondée jusqu'à la moindre maison, n'a pas trouvé mieux pour expliquer la catastrophe que de dire : « il n'y a pas eu mort d'homme, donc ce n'est pas si grave ! ».

Chaque hiver, les oranais vivent le calvaire. Le moindre déplacement, la plus petite des activités se transforment en épreuves titanesques : rues gorgées d'eaux, boue, gravats jonchant la chaussée et bloquant la circulation automobile. Cette situation qui, hélas, se répète est due généralement à l'inexistence des réseaux d'évacuation des eaux de pluie ou à leur vétusté. On parle, aujourd'hui, de projets d'aménagements hydrauliques et de réalisation de nouvelles digues et d'avaloirs pour un coup de 12 milliards. Est-ce à dire que les élus et les responsables locaux ont, enfin, pris leurs responsabilités en matière de prévention contre les risques d'inondation ?

Comment réformer, par quoi commencer pour réduire les nuisances des risques majeurs devant l'impossibilité de les prévenir ?

En matière d'intervention, la coordination interministérielle doit revêtir, obligatoirement, un caractère intersectoriel, ce qui n'est pas souvent le cas et les résultats s'en ressentent. Il faudrait organiser des cycles de formations en matière de « gestion des risques » pour les présidents d'APC, les doter en moyens de réalisation et d'intervention (camions et engins de toutes sortes), ces efforts doivent être absolument poursuivis, si l'on souhaite mettre au premier plan l'intelligence et l'innovation économiques, sortir de la dépendance des hydrocarbures et vivre de ce que nous pourrons produire. Cela passe, nécessairement par l'engagement des responsables locaux, la dépénalisation de l'acte de gestion, mais également et surtout, par la « réforme des finances et de la fiscalité locales», celle-là même qui permettrait aux maires de valoriser leur patrimoine, profiter de leurs ressources et gisements fiscaux et partant, monter des projets et les financer sans recourir aux subventions de l'Etat.

En un mot, il s'agirait de faire fonctionner les communes comme des «entreprises» !

Si certaines régions, comme la Capitale ou l'Est du pays sont concernés par ces risques, tout le territoire est, en définitive, sensible à ce genre de catastrophes naturelles. La problématique des inondations doit être, à l'orée de cette basse saison, une priorité pour le gouvernement et, par extension, une urgence pour les 1541 maires du pays qui seront au premier plan en termes de prévention, d'intervention et de secours aux populations menacées.

Un mot sur ce rapport alarmant du GIEC 2021 sur le climat !

1. Rédigé par 234 scientifiques de 66 pays, à partir de l'analyse de plus de 14.000 études scientifiques, ce nouveau rapport du GIEC confirme que le changement climatique en cours «est un voyage sans retour». Des événements météo extrêmes sans précédent vont s'intensifier.

2. Le réchauffement de la planète devrait atteindre +1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle autour de 2030, soit 10 ans plus tôt que les dernières estimations il y a 3 ans, selon le nouveau rapport des experts climat de l'ONU.

3. Élévation de la température, fonte des glaciers, hausse du niveau des mers... Dans un nouveau rapport, le GIEC conclut que le dérèglement climatique touche toutes les régions, à un rythme très rapide, et qu'il s'intensifie de manière sans précédent.

l Pour conclure

Le Maghreb dans son ensemble est d'évidence menacé et l'Algérie risque de ne pas être épargnée par les grandes protubérances que le climat ennemi a décidé de programmer. S'en remettre à la dictature de la fatalité et attendre que le ciel tombe sur les têtes pour se diriger dans la précipitation vers des palliatifs inopérants serait faire preuve d'irresponsabilité. Des crues et des inondations ont déjà annoncé leurs couleurs en plein été. Et les incendies souvent d'origine criminelle n'en finissent pas de réduire en poussière les hommes et leurs biens.       Face à ces présages déroutants, de nombreux pays prennent déjà les devants. La course est à l'acquisition de canadairs et l'anticipation pour se prémunir des sombres entourloupes de la nature. Le gouvernement serait bien avisé de suivre cet exemple à la lettre.*

*Se prémunir des entourloupes de la nature par Abdou Benabbou in le Quotidien d'Oran.