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Expertise et médiation judiciaire : État des lieux

par Chaâlal Mourad*

Un cher collègue décédé, alors expert judiciaire près la Cour de Tiaret, eut en 2010 une discussion avec un magistrat, au sujet de la distribution des affaires entre experts relevant de la Cour. Ce dernier lui cita alors le verset « Nul n'a le droit de L'interroger (Dieu), alors que Lui, interroge quiconque», pour lui faire comprendre, avec un « Astaghfiro Allah!», que le juge n'a pas à répondre pour son choix de l'expert ou carrément faire abstraction de son avis. Et reprenant sa rhétorique, je lui dis : et n'oublions pas aussi, le verset «Et nul ne peut t'informer mieux qu'un Expert». Que Dieu ait ton âme ! Cher Aissa Belkacem.

Régis par un simple décret exécutif 95-310 du 10/10/1995, paru le 15/10/1995 au J.O, le métier d'expert judiciaire est le moins valorisé et le moins valorisant de toute la profession libérale mais aussi, le moins organisé et médiatisé. Les «inchighalat» (les préoccupations) de l'expert ne sortaient pas des réunions interprofessionnelles ou des rencontres périodiques experts-magistrats. Inlassablement posées d'une réunion à une autre, ces «inchighalet» sont malheureusement toujours d'actualité.

Qu'elle soit judiciaire ou conventionnelle, l'expertise est cruciale dans la société moderne. Sans elle, la Justice serait aveugle et faire valoir le droit, serait presque impossible. Pour la recherche de la vérité, l'expertise judiciaire pour ne parler que de celle-ci, couvre une série de missions orientées autour de l'identification, la reconnaissance et l'évaluation des préjudices occasionnés sur l'objet d'expertise. Outre les inventaires, les bilans, les partages lors des successions et les litiges, l'expertise judiciaire couvre d'autres missions.

Bien que la tendance vise à former des magistrats de plus en plus spécialisés, le cursus académique et les moyens mis en œuvre pour arriver à la vérité, rendent l'intervention de l'expert incontournable. Imposant l'évidence technique et logique au juridico-procédural, l'expertise judiciaire est cruciale pour faire valoir le droit. L'expert soumet le dossier à une rude épreuve de raisonnement logique et déductif, inaccessible au magistrat.

L'avancée des domaines d'expertise va de pair avec celle des sciences appliquées. Elle s'étend de la médecine légale aux technologies de pointe. L'expertise judiciaire couvre donc des domaines aussi variables que délicats. Il est clair que ce ne sont pas tous les travaux qui peuvent être frappés du sceau de l'expertise judiciaire. Tout expert doit être reconnu par ses pairs et faire preuve d'une réelle compétence dans son domaine et doit imposer son impartialité, défendre son indépendance et engager sa responsabilité.

Trois facteurs doivent baliser la qualité d'une expertise judiciaire : l'intelligibilité pour le juge, l'expert doit effectuer sa mission dans le respect des règles de procédure et il doit mettre en œuvre des connaissances scientifiques, techniques fiables et maîtrisées, sans sortir du cadre des tâches qui lui ont été confiées. La seule contrainte qu'impose l'expertise judiciaire est l'éthique.

Curieusement, l'expert est tenu par une obligation de moyens et pas forcément de résultats, puisque sa conclusion n'est finalement qu'un avis consultatif pour le juge qui, doté de pouvoir discrétionnaire et souverain, peut la valider comme il peut la rejeter.

L'une des recommandations du programme ateliers de formation sur le rapport d'expertise judiciaire, session n°4-2021, réalisé dans le cadre du PASJA (Programme d'appui au secteur de la Justice algérienne), cofinancé par l'Algérie et l'Union européenne, était le pré-rapport. Une note de synthèse renvoyée au juge lui permettrait de «mieux cerner» les avis contradictoires des parties et ceux de l'expert. Cette procédure, ainsi que la recommandation de l'envoi (le cas échéant) d'un exemplaire du rapport final, aux conseils des justiciables, seraient en contradiction avec le principe de confidentialité. Du fait de la psychologie sociale, de la culture judiciaire dominantes, ainsi que des usages procéduraux en vigueur dans notre pays, ces recommandations seraient, à mon avis, non transposables en Algérie. Ni procureur donc ni détective privé et encore moins un juge d'instruction, l'expert judiciaire se voit parfois et curieusement, face à des chefs de mission qui lui demandent de tenir ce rôle.

Alors qu'en Occident, l'expertise judiciaire est défendue pour bénéficier d'un statut de Reconnaissance d'utilité publique (RUP), en Algérie, l'expert judiciaire est défini comme un collaborateur occasionnel de justice. Il est décrit comme un «Tikni» technicien, alors que sa mission est cruciale pour faire valoir le droit. Hormis pour certaines spécialités, et en tout état de cause, être expert judiciaire en Algérie, est de moins en moins gratifié et gratifiant.

En effet, la considération à laquelle l'expert judiciaire aspire est, parfois, mise à mal quand on ne daigne même pas lui répondre au téléphone pour lui faciliter des informations inhérentes à son affaire, comme la taxation ou le retrait de son rapport. Heureusement, beaucoup de greffiers sont très respectueux envers l'expert et que je salue au passage. Pour remédier à cette situation désobligeante, ma proposition portait donc sur la création d'un espace personnel dit «compte-expert», ouvert au Website de la Cour. Cet espace serait à même de faciliter à l'expert toutes les informations inhérentes à son affaire, de la taxation, au retrait de son rapport, sans avoir à appeler les greffiers.

Contrairement aux huissiers et aux avocats, mieux syndiqués, la mise en paiement de l'expert judiciaire est bizarroïde. En effet, et après le dépôt de son rapport au tribunal, dans les délais impartis, l'expert doit appeler sans cesse le greffier pour s'enquérir de la somme à laquelle son rapport a été taxé. Ensuite il doit informer le plaignant afin de s'en acquitter et le retirer. Et ce n'est qu'après cela, que l'expert judiciaire peut récupérer son chèque du tribunal et l'encaisser au Trésor public de son chef-lieu. Alors qu'un simple virement bancaire ou postal aurait suffi.

En validant son rapport, le magistrat accorde du crédit à la conclusion de l'expert, mais il le désavoue souvent sur sa note d'honoraires. L'expert se voit donc «redevable» à ce dernier pour sa croûte et au greffier-en-chef qui lui signe le chèque, selon sa disponibilité puisque certains greffiers-en-chef de cette Cour fixent des jours précis pour la récupération des chèques. Une initiative personnelle qui porte préjudices aux experts. Au lieu de se consacrer donc à sa mission, l'expert est amené à se donner à un travail de relations publiques pour se faire connaître, avoir des informations ou se donner à un ballet d'allers-retours pour encaisser ses sous.

Et comme cela ne suffisait pas, bien souvent le plaignant met du retard à retirer son expertise. Et parfois même, il l'abandonne carrément, s'il arrivait à savoir que l'avis de l'expert lui fût défavorable. L'expert ne percevra alors que l'avance sur expertise déposée en amont de l'affaire. Il subirait alors un double préjudice, l'un, dû à la sous-taxation de son rapport et l'autre, à l'abandon du plaignant.

Selon la réglementation, et bien que l'expert judiciaire ne soit défini que comme un collaborateur occasionnel de Justice, celui-ci n'aurait pas le droit, paraît-il, de cumuler les fonctions, sauf pour certaines spécialités comme la médecine légale. Cette réglementation préconisait de même, l'obligation de détention d'un local. Ceux qui cumulent donc les fonctions ne sont pas trop pénalisés par le retard de payement, la sous-taxation ou même par l'abandon de l'affaire par le requérant, contrairement à ceux qui ne se dédient qu'à cela.

Alors que pour certains, l'expertise est vitale, pour d'autres, elle n'est qu'un statut social qui vient ornementer leur carrière principale et leur ouvrir les portes des plateaux de télévision. Être présentés comme experts en ceci ou en cela, résonnait mieux dans leurs oreilles.

Bien que l'environnement judiciaire connaît de réelles avancées qualitatives et quantitatives que nul n'a le droit de nier, celui-ci se doit néanmoins motiver encore plus l'expert. En effet, beaucoup de choses peuvent interférer dans sa mission. Certains experts et bien qu'anciens dans leur métier, se retrouvent pour des raisons inconnues, comme blacklistés par certains tribunaux. Certains collègues qui, suite à un changement de résidence, ont dû demander affectation à une nouvelle Cour, se sont retrouvés carrément au chômage des années durant, me disent-ils.

L'expertise conventionnelle (non judiciaire), peut aider l'expert à compenser ce manque à gagner. Cependant je déplore ici encore, l'opacité avec laquelle certaines conventions sont faites et notamment avec les banques, pour l'estimation du foncier ou du matériel roulant et fixe (machinerie) pour l'octroi de crédits ou la mise sous nantissement de ce ceux-ci.

L'expert peut jouer un rôle crucial dans les enchères publiques. Malheureusement, la loi n'impose pas aux commissaires-priseurs de se faire obligatoirement assister par un expert judiciaire lors de la mise aux enchères. Celui-ci, le plus à même de déterminer l'état et l'estimation du matériel à enchérir. En effet, l'article 20 du JO du 26 août 2016, portant modalités de l'exercice du métier de commissaire-priseur, stipule que celui-ci peut se faire assister d'un expert mais sans obligation claire. Cette imputation aux domaines de compétences et d'interventions de l'expert, cause plus de préjudices à l'économie nationale qu'à l'expert lui-même.

Il est à noter de même, qu'à l'instar de l'expertise judiciaire, la médiation judiciaire, créée par décret exécutif n° 09-100 du 10 mars 2009 et publiée au J.O n°16 du 15 mars 2009, n'a rien à envier à l'expertise. Ni conciliateur donc ni arbitre, la médiation judiciaire est mal pensée, car sans le vouloir, elle a créé une sorte de conflit d'intérêts avec la défense. Le médiateur judiciaire se trouve tributaire non pas au magistrat qui doit proposer la médiation en amont de l'affaire comme le stipule l'article 994 du code des procédures civiles et administratives, mais aux parties qui la rejettent bien souvent. Pensée pour alléger la charge de travail de la justice, en réglant les affaires dans des délais raisonnables et aux moindres coûts, aussi bien pour les parties que pour la justice, la médiation judiciaire n'arrive plus à réaliser ses objectifs. Au lieu de permettre, donc, au médiateur d'intervenir avant l'enrôlement de l'affaire au rôle de la justice et notamment dans les litiges commerciaux, les conflits familiaux ou de voisinage. En Algérie, l'avenir de la médiation judiciaire est de plus en plus flou.

* Expert judiciaire près la Cour de Tiaret.