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Ces temps incertains

par Paris : Akram Belkaïd

Confinement ou pas confinement ? Depuis plusieurs semaines, les informations, les rumeurs, les affirmations savantes des uns, les démentis doctes des autres, tout cela crée un désordre général. Une confusion. Personne ne sait en réalité où le bateau se dirige. En France, les sondages ne cessent de se contredire. La population en a assez du confinement et des mesures sanitaires contraignantes, affirme l'un. Les chroniqueurs s'en emparent, font le lien avec les manifestations à Tripoli, au Liban, ou les émeutes aux Pays-bas, et décrètent que la planète entière est prête à s'enflammer pour dire stop.Stop aux masques, aux frontières fermées, au couvre-feu, aux tests PCR obligatoires aux douanes, aux fermetures de restaurants et de musées. Bref, c'est l'exigence du retour des jours anciens. Comme si on pouvait stopper l'épidémie ou rembobiner la pellicule.

Et puis, vient un autre sondage. Celui qui montre que beaucoup auraient accepté un troisième confinement et de nouvelles mesures restrictives. A une seule condition, savoir où vogue la galère, avoir des promesses claires, à défaut de perspectives. C'est l'un des enseignements de cette crise. Les gouvernements sont incapables de dire où vont les choses. Ils improvisent. Ils mentent, par omission, par obligation, par incompétence. Dans une guerre, il suffit de parler de victoire, proche ou lointaine, et d'encourager le peuple à serrer les dents, à attendre, à accepter les sacrifices. Mais dans le cas présent, les repères sont inexistants et l'idée que les commandants sont incapables de tenir la barre et de naviguer par ces temps de tempête est très répandue. Macron, grand timonier ? On est prié de ne pas rire.

J'ai rarement ressenti autant de tension dans les rues de Paris. Même après les attentats de janvier et novembre 2015, la situation n'était pas la même. A l'époque, la vie poursuivait son chemin, les restaurants et les cafés étaient pleins et même si les mines étaient graves, il y avait la possibilité d'oublier, même pour quelques minutes, l'angoisse du quotidien. Aujourd'hui, la nervosité et l'agressivité priment. Rouler dans la ville, c'est noter chaque jour les empoignades, les comportements peu civils, surtout quand approche l'heure du couvre-feu. Et que dire de ce métro bondé où les virus volent d'une narine à l'autre ?

Les gens craquent, me dit un ami médecin. Chacun ne supporte plus l'autre, celui que l'on croise avec le masque de traviole, le voisin qui fait du bruit parce qu'il commence à télétravailler dès huit heures du matin.Le télétravail, parlons-en.

En théorie, la mesure de l'imposer aux salariés est logique. Moins de gens dehors, moins de contaminations. La réalité est plus nuancée. Loin des collègues, coincé chez eux, les gens cafardent. L'isolement, le manque d'oxygénation, la sensation de ne plus avoir de barrière entre sa vie privée et les exigences professionnelles, tout cela dérègle, déphase, accable.

De nombreux salariés paient cher le fait de télétravailler. Outre ce qui vient d'être évoqué, il y a le comportement de leurs chefs, incapables d'accepter de ne pas avoir leurs troupes sous la main, qui multiplient les courriels, les appels avec caméra branchée, histoire de vérifier que leurs « n moins un » ne dorment pas ou ne visionnent pas une série.

Les amateurs de haute montagne connaissent tous ce danger engendré par l'épuisement, le froid et le manque d'oxygène. Soudain, sans crier gare, certains se déshabillent, persuadé que la température est caniculaire. D'autres se jettent dans le vide, parce qu'une voix leur a suggéré qu'il vaut mieux en finir avec ce mauvais rêve.

Dans la presse, des médecins indiquent avoir recensé des comportements comparables. Docteur, j'en ai marre, dorénavant, je sortirai sans masque. Tant pis pour les amendes, tant pis pour les risques. Allons-y gaiement, entre-virussons-nous dans l'allégresse. Ouvrons la cocotte-minute avant qu'elle n'explose.

Il est facile de leur jeter la pierre mais on ne peut qu'être indulgent avec ces restaurateurs qui décident de rouvrir leur établissement. Avec ces commerçants qui essaient de grappiller quelques dizaines de minutes d'ouverture après dix-huit heures, espérant qu'aucun policier ou gendarme ne passera dans le coin.

Ce n'est pas uniquement une histoire d'argent à faire entrer, de lutte acharnée contre le manque à gagner ou la faillite qui menace. C'est simplement une question de quête de sens.

J'en reviens maintenant à la question des frontières. Je ne comprends toujours pas pourquoi l'Algérie empêche les siens de rentrer chez eux. C'est injuste et inqualifiable.

Pas un jour ne passe sans que je ne sois saisi, parce que journaliste, de messages de gens qui cherchent un moyen d'aller au pays. C'est la harraga à l'envers.         L'Algérie, si décriée, se fait désirable par la violence infligée à celles et ceux qui se demandent quand donc ils pourront y retourner. Au printemps ? L'été prochain ? A la vaccin-glin-glin ?

Les temps sont durs pour tout le monde. Les gens souffrent à cause de l'épidémie et des contraintes qu'elle impose. D'autres souffrent encore plus. Ils sont loin de chez eux. De leur famille. Ils sont privés de liberté.

Il est impossible de finir cette chronique sans évoquer le sort des prisonniers d'opinion car, pour eux, le fardeau est immense. Je pense à Khaled Drareni, mis en prison pour avoir fait son boulot. Je pense à Rachid Nekkaz dont on veut visiblement la mort puisqu'il vient d'être transféré à l'intérieur du pays alors qu'il est malade. Pourquoi ? Des criminels, des vrais, sont libres après avoir mené le pays à la banqueroute.

La jeunesse, elle, est fracassée. Mais ne soyons pas pressés. Celui qui pratique la hoggra se croit invulnérable, éternel. L'histoire se charge presque toujours de démontrer le contraire.