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Chantiers fédérateurs pour une confiance à rétablir

par Salah Lakoues

De nombreuses voix s'élèvent depuis quelques semaines en faveur d'un resserrement de nos liens patriotiques et assurer la protection de l'Algérie, «avant tout» (comme le scandait feu M. Boudiaf). Il est vrai que des agitations multiformes testent les capacités de notre pays - et son armée - à résister aux provocations émanant de l'étranger. Comment, dans un tel contexte, relever la tête tout en poursuivant la construction de cette Algérie nouvelle que le Hirak dans sa version consensuelle a inaugurée ? La solution passe-t-elle par un «gouvernement d'union nationale», par la constitution d'un «front uni», un «pacte politique national», une «transition» confiée à l'exclusivité d'une frange de la contestation idéologique ?

Dans un pays où la confiance envers les politiques (qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, d'ailleurs) a fini par être érodée, ce type d'appels est reçu mais non intériorisé. La raison en est qu'ils restent abstraits. Je voudrais reprendre, ici, une réflexion suggérée récemment (« Pôle éthique et politique » parue dans Le Quotidien du 10 décembre 2020) et qui remet le travail au centre d'un rebondissement possible de la société. Il s'agit de penser, en termes concrets et réalistes, les chantiers qui seraient mobilisateurs et dont les retombées politiques contribueraient à ressouder cette confiance perturbée par tant d'années d'un autoritarisme qui n'aura profité qu'à une caste de prédateurs.

On sait que depuis l'avènement du Hirak, un certain nombre d'options politiques, de passage à une ère politique nouvelle, se sont faites jour. Au-delà des formes en concurrence, on peut dire que la démarcation essentielle oppose les tenants d'une légalité constitutionnelle à ceux qui prônent une mise à la retraite de la totalité des personnels assurant la viabilité de l'Etat pour leur substituer une transition confiée - sans élections - à des «personnalités ayant la confiance du peuple». Bien que l'option légaliste a pris le dessus, les populations ont, majoritairement, manifesté du dépit et de la réserve. Les deux derniers rendez-vous électoraux ont mobilisé bien peu d'électeurs et les tenants de la transition non élective sont de plus en plus boudés. La démobilisation populaire est effective et les seuls élans de foule sont le fait d'un activisme communautariste. La démarche constitutionnelle étant la seule voie de salut, il n'est pas impossible d'y inscrire des processus réformateurs qui, sans contrevenir aux lois de la nation, permettent de refonder les institutions.

Comment, alors, penser le passage à la restauration de la confiance entre gouvernants et gouvernés ? Cela se prépare en réformant les mécanismes socio-économiques et culturels qui ont généré ces dysfonctionnements et perversions dans les comportements des uns et des autres. On sait que le «système», comme on aime à le répéter, n'existe que par les actes qui le qualifient. Et ces actes (corruption, dévalorisation des symboles patriotiques, détérioration de l'environnement, déshumanisation des systèmes éducatifs, dysfonctionnements des mécanismes économiques, etc.) sont le fait des citoyens eux-mêmes, tous les jours, dans les quatre coins du pays. Quelque chose de structurel facilite/encourage de tels comportements (lois «sur mesure» concoctées par les ?içabas antérieures, rouages et procédures basées sur le chantage fait aux usagers, absence de contrôle et de contre-pouvoirs à tous les niveaux, fonctionnements mafieux des «organisations de masse», etc.).

C'est donc une refonte structurelle qui permettra, sinon de débusquer les mécanismes générateurs de dysfonctionnements, du moins de les éviter pour créer les conditions saines d'une remise à niveau. C'est de cette sérénité et des perspectives optimistes qu'elle entrouvre qu'une relance dynamique du civisme pourra avoir lieu. L'instance politique dans notre pays aura souffert de volontarisme sans ancrages socio-économiques effectifs et sans la culture qui la pérennise et la porte. La modernité est de fait un sursaut quantitatif, mais elle est surtout une émancipation culturelle qui se pérennise par la pratique sociale. Pas par des discours qui se font écho sans fin.

Il nous faudra, dans les plus brefs délais nous affranchir des situations «d'urgences perpétuelles» et du bricolage «normal» pour laisser place à la rationalité et à la bonne gouvernance - tout en tenant compte de la place de notre pays dans le contexte d'une mondialisation à laquelle nul pays ne peut échapper, de nos jours.

Passons rapidement en revue quelques exemples d'initiatives économiques pouvant à la fois créer des emplois effectifs et favoriser une dynamique culturelle de collaborations citoyennes basées sur une confiance restaurée. Désignons pêle-mêle:

Point numéro 1. L'accès à l'énergie pour tous peut aisément se concevoir en recourant à l'énergie solaire. De petites centrales pour la consommation domestique et de grandes centrales pour l'exploitation industrielle. Les zones d'ombre accèderaient à la lumière à moindre frais et s'ouvriraient des opportunités d'exportation de l'énergie.

Point numéro 2. Mise en valeur d'un million d'hectares pour la création de 100 000 exploitations agricoles de 10 hectares organisées dans 1000 coopératives. Chaque exploitation sera mise à la disposition des diplômés de l'agriculture et des jeunes de la région.

Point numéro 3. La création de 100 000 PME est possible à court terme dans les domaines de la fabrication de la confection, de la chaussure et de l'ameublement. En effet, à l'heure actuelle, 80% de ces produits sont importés. Chaque atelier peut employer au minimum 10 salariés.

Point numéro 4. Pour contourner les blocages bureaucratiques il faudrait opter pour un système déclaratif pour tout projet d'investissement. Une déclaration via internet au Registre du commerce produit un accusé de réception daté qui permettrait déjà de fonctionner.

Point numéro 5. Lancement d'un plan de construction de routes vers l'Afrique et construction de logements. L'industrie nationale peut fournir 95 % des matériaux. (ciment, briques, sable, gravier, rond à béton, etc.)

Point numéro 6. Pour mobiliser la masse monétaire qui est thésaurisée dans l'informel, il faudrait offrir aux détenteurs de ces capitaux la possibilité d'investir dans différents secteurs d'activité avec des avantages que ne pourraient leur donner les obligations bancaires. Ce qui contribuerait assurément à régler partiellement le problème de liquidités.

Point numéro 7. Pour faire face aux besoins de financements pour la dynamisation du tissu industriel et commercial, l'Etat pourrait mobiliser les actifs dormants du secteur public ainsi que le patrimoine des collectivités locales qui est à l'abandon. Ces valeurs pourraient servir de garantie au Trésor Public qui pourrait s'endetter auprès de la Banque d ?Algérie . Cet emprunt ne doit servir qu'à l'investissement.

A ce type d'initiatives (on pourrait allonger la liste à l'infini), il faudrait ajouter quelques ouvertures politiques indispensables.

Point numéro 8. Dégager de manière consensuelle un programme de «sortie de crise» qui devra s'accompagner de mesures concrètes d'apaisement, de garanties des libertés d'expression et de défense des droits de l'homme.

Point numéro 9. Annoncer et mettre en oeuvre - avec la collaboration du plus grand nombre - les termes d'un changement réel du système politique actuel.

Point numéro 10. S'assurer que la jeunesse prenne ses responsabilités civiques et politiques en les incitant à s'engager dans les formes qui leur conviennent le mieux et sans entraves administratives inhibitrices.

De ces illustrations, il ressort qu'une dynamique entrepreneuriale est possible - dans la mesure où les expériences sont réalistes et à courts et moyens termes. De tels chantiers pourraient restaurer la confiance par le travail et l'amélioration des conditions de vie au quotidien. On sait que nos réserves nous permettraient de tenir encore 3 ans, mais sans un véritable plan de relance nous irions droit dans le mur.

C'est également sur la base d'une confiance renouée que la vie politique pourra s'assainir et favoriser les dépassements de blocages actuels et s'accorder que ce sont les jeunes qui sont les garants de notre avenir commun. Il faudra qu'ils sentent, par les faits, que la démocratie et la protection des droits de la personne sont à la fois un but et un moyen.