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ELearning et apprentissage, le couple improbable ?

par Allal Mohammed Amine*

Dans la situation de crise actuelle et vu l'évolution de la pandémie que nous subissons, la fermeture des établissements d'enseignement supérieur s'est avérée être une épreuve inévitable ; cette situation, nouvelle et non-souhaitée, nous a obligés à réfléchir à des solutions pour assurer la continuité des cours ; c'est ce qu'on a essayé de faire sans trop réfléchir à l'apprentissage. Pourquoi ? Je ne sais point. L'intérêt est donc de susciter un débat en vue d'améliorer les pratiques des enseignements à distance pour répondre aux besoins des parties prenantes, et favoriser la persévérance et l'apprentissage des étudiants.

Pour commencer, quelques questions me viennent à l'esprit. Dans le cas de l'enseignement à distance, peut-on garantir la qualité des formations ? Les enseignants ont-ils été formés à d'autres approches que les méthodes pédagogiques classiques pour animer des enseignements à distance ? Les étudiants sont-ils motivés à travailler seuls, persévérer et construire leur propre apprentissage ? ELearning et apprentissage sont-ils compatibles ? Comment peut-on assurer l'interaction dans un cours à distance ?

Dans un second temps, je voudrais d'abord revenir à mes basiques et faire un détour sur l'apprentissage, aujourd'hui. Pourquoi aujourd'hui ? Parce que les temps ont changé, et il ne suffit plus d'enseigner pour que les élèves apprennent. Une des causes principales de cette situation est la modification des modes d'accès à l'information : les étudiants regardent plus la télévision, passent une grande partie de leur temps sur leur smartphone connecté, et ils ne lisent presque plus. Aujourd'hui, les ressources sont disponibles sur le web (MOOC, YouTube, communautés wiki, forums, etc.) et les sites de partage foisonnent.

Peut-on tirer profit de cette évolution ?

Rappelons que dans une pédagogie de l'apprentissage, les caractéristiques des uns et des autres (enseignant et étudiants) se mettent en interaction et construisent un système. Dans ce cas, pour favoriser l'apprentissage, il faut structurer les activités pédagogiques autour de l'implication, de l'opération et de l'intégration ; parce que tout apprentissage est une activité qui s'inscrit dans une dialectique de la rupture et de la continuité, et est donc un changement. Pour cela, l'étudiant doit trouver du sens dans une situation d'apprentissage pour se mettre en mouvement. Ainsi, pour un cours à distance, on peut déjà affirmer qu'il faut assurer une interaction médiatisée visuellement en vue de favoriser l'apprentissage et la persévérance des étudiants, même si on n'est pas sur du résultat.

Qu'en est-il alors ?

Sur le terrain, le confinement résultant de la COVID-19 a permis aux enseignants de constater, dans leur grande majorité, ce qu'ils pressentaient depuis longtemps : l'enseignement à distance et l'auto-apprentissage à domicile, notamment via les technologies de communication, ne peuvent être, au mieux, que des approches de dernier recours imposées par des circonstances exceptionnelles (à défaut d'autres choses), ou un complément occasionnel à l'enseignement « présentiel » (pour différentes raisons comme enrichir ses connaissances par des vidéos). Les efforts consentis par beaucoup d'entre nous pour maintenir une relation pédagogique avec nos étudiants, que ce soit par email, par visioconférence ou au moyen d'une plate-forme dédiée au e-learning, n'auront en effet pas empêché la rupture du lien social, la démotivation des étudiants, la quasi-absence d'apprentissage et le creusement des inégalités sociales.

Pour les autres, les partisans de l'université numérique, la responsabilité de ce triste bilan (« intuitif »)serait à chercher juste dans le peu de moyens informatiques dont disposent les étudiants, dans la mauvaise qualité de la connexion internet et dans le déficit de formation à l'usage correct de ces technologies par les enseignants ; ce qui, d'après notre Ministre, seront comblés pour cette rentrée universitaire (à partir du 15 décembre).Dans leur élan, les responsables des établissements d'enseignement supérieur souhaitent profiter pleinement de la crise pour « veiller à ce que toutes les universités participent à un mouvement général de transformation pédagogique vers un enseignement à distance ».

Or, il est maintenant évident que les conditions permettant l'échange, la transmission des savoirs et le développement de l'esprit critique (entre autres) ne sont pas réunies dans un enseignement à distance. Et comme toujours, on ne parle pas d'apprentissage, et encore moins de qualité. Peut-être qu'on a oublié que la dématérialisation effective des cours sur internet (e-learning) ne peut se faire qu'avec une pédagogie appropriée et des activités spécifiques. Il ne faut pas privilégier le matériel par rapport à la pédagogie proprement dite. Il faut enseigner autrement, en vue d'apprendre autrement, pour évaluer autrement. Le cours doit être scénarisé et l'enseignant doit innover, parce que parler pendant des dizaines de minutes aux étudiants, par écran interposé, est lassant, et ne permet pas de maintenir leur attention.

D'autre part, et selon une enquête PISA, publiée en 2012, les pays qui ont consenti d'importants investissements dans les TIC dans le domaine de l'éducation n'ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences. Autre constat -peut-être le plus décevant de ce rapport-, les nouvelles technologies ne sont pas d'un grand secours pour combler les écarts de compétences entre élèves favorisés et défavorisés. En un mot, le fait de garantir l'acquisition par chaque enfant d'un niveau de compétences de base en compréhension de l'écrit et en mathématiques semble bien plus utile pour améliorer l'égalité des chances dans notre monde numérique que l'élargissement ou la subvention de l'accès aux appareils et services de haute technologie.

En ce qui nous concerne, et même s'il y avait urgence, il fallait réfléchir à conceptualiser, expérimenter et mettre en œuvre des dispositifs de formation cohérents à partir des technologies de l'information et de la communication (TIC) sachant qu'il existe des centres de télé-enseignement dans beaucoup d'universités algériennes. Et pour que ces mécanismes aient des chances de réussir, il fallait que les acteurs trouvent du sens à cette action, et assurent l'articulation de ces nouveaux dispositifs avec les curriculums existants.

En conclusion, et en ces durs moments que nous vivons tous, il me semble que l'essentiel n'est pas d'assurer, aux forceps, la continuité de l'enseignement par des supports de cours en ligne, qui, telle qu'elle est amorcée, n'apporte rien en termes d'apprentissage et de motivation pour les étudiants. En espérant qu'elle nous force à changer, cette situation nous oblige à nous poser et à réfléchir, pour l'avenir,aux points suivants:

? Comment enrichir et diversifier nos approches en présentiel, en vue de motiver et d'impliquer encore plus les étudiants, parce que cette situation nous a fait prendre conscience de faire émerger des initiatives pédagogiques nouvelles.

? Comment s'approprier les outils et technologies de l'information et de la communication en vue de construire des dispositifs d'enseignement à distance (qui soient complémentaires au présentiel), pour donner différentes alternatives aux étudiants (qui sont des « digital natives », mais que j'appelle « génération fast food ») ?

? Même si l'enseignement à distance actuel, c'est à dire le Elearning 1.0, n'est pas très efficace en ce qui concerne l'apprentissage et la persévérance des étudiants, l'évolution des technologies de communication et des dispositifs y afférents nous obligent à espérer que le Elearning 2.0 apportera des réponses à nos questionnements et ouvrira des voies nouvelles.

Et je finirai avec une phrase de Montaigne, qui avait dit, que « l'étudiant n'est pas un vase à remplir, mais un feu à attiser » ; et ce n'est pas juste avec des supports de cours en ligne qu'on va y arriver...

*Université de Tlemcen