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Prix du baril de pétrole: pourquoi cette évolution en dents de scie

par Reghis Rabah*

Rappelons que la troisième semaine du mois de juin, le marché pétrolier a pris une certaine lueur optimiste après la déprime qui a vu les prix aussi bien Brent de la mer du Nord que celui du West Texas Intermediate (WTI) s'effondrer.

En effet, au mois d'avril dernier sur les marchés le brut américain WTI a perdu plus de 90 % pour évoluer autour de 1 dollar, du jamais vu. Il s'agit de la plus forte baisse journalière jamais enregistrée par Bloomberg dont les données remontent à 1983. Cette chute est en partie due à l'expiration des contrats pour livraison en mai, mais elle souligne les vents contraires que doit affronter le marché pétrolier. Le baril avait subi de plein fouet l'effondrement de la demande en raison des mesures de confinement pour endiguer la propagation du coronavirus. Selon les premières estimations faites à l'epoque, la consommation de pétrole dans le monde avait chuté de 20 millions de barils par jour (mb/j) et jusqu'à plus de 30 mb/j pour les plus pessimistes. Avant la pandémie, le marché tournait autour des 100 mb/j. A ce choc de demande s'ajoute une quasi- saturation des capacités de stockage. Le monde déborde d'or noir à ne plus savoir quoi en faire. N'importe quel oléoduc ou tanker en mer est utilisé comme réserve de pétrole. Les prix de location des navires ont d'ailleurs flambé passant de 30.000 dollars par jour à plus de 150.000 dollars rapporté par Echos.fr.

1- les mesures de deconfinement dans le monde, ont donné un souffle au prix du baril

A partir de fin juin, sur le Nymex, le baril de brut léger américain pour livraison juillet avance de 4% à 40,4$ alors que le baril de Brent de la mer du Nord échéance août prend 3,2% à 42,8$ à Londres. Les deux références mondiales sont ainsi en bonne voie pour afficher un gain hebdomadaire d'environ 10%. Les signes positifs d'une reprise de l'économie, avec par exemple le rebond historique de 12% des ventes au détail britanniques, l'emportent sur les incertitudes liées à la résurgence de l'épidémie aux Etats-Unis et en Chine ou les tensions commerciales entre Pékin et Washington. D'autant que l'OPEP+ semble respecter son accord de baisse de la production conclu en avril dernier pour faire face à la chute des prix. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés ont décidé d'une réduction record de la production de 9,7 millions de barils par jour, soit environ 10% de l'offre mondiale. Ce deal, qui devait s'achever fin juin, a été prolongé au début du mois jusqu'à la fin juillet. Pour la première fois depuis bien longtemps, l'OPEP a fait un bon travail pour renverser la situation et une demande plus forte aide également, ont affirmé plusieurs, analystes dont la Commerzbank. Si certains membres du cartel appellent à son prolongement, la Russie ne semble pas très chaude. Le président du fonds souverain russe, Kirill Dmitriev, ne voyait en effet pas d'intérêt à continuer de limiter au-delà de juillet la production mondiale de pétrole, alors que la demande se reprend progressivement après avoir brutalement chuté avec la crise du coronavirus, pourtant le temps semble ne pas lui donner raison. Selon l'accord actuel, la limitation de la production devrait être réduite à 7,7 millions de bpj dès le mois d'août pour se maintenir à ce niveau jusqu'en décembre. Le pacte de l'OPEP+ prévoit ensuite une réduction de 5,8 millions bpj de janvier 2021 à avril 2022, date d'expiration de l'accord. En attendant, les espoirs d'une reprise vigoureuse de l'économie mondiale et le regain de l'appétit pour le risque profitent aux cours de l'or noir.

2- La semaine dernière, les prix ont repris leur plongeon

Les prix du pétrole ont chuté jeudi dernier, prolongeant les pertes de mercredi proches des niveaux les plus bas depuis plus d'un mois, après que les données américaines ont montré que la demande d'essence faiblissait malgré d'importants tirages des stocks ces dernières semaines. Ce même jeudi à 12h13 , le WTI Crude s'échangeait en baisse de 1,04% à 41,11 $ et le Brent Crude était en baisse de 1,33% sur la journée à 43,87 $. Les deux indices de référence ont atteint plus tôt dans la journée leur plus bas niveau depuis la fin du mois de juillet, après que le marché ait trouvé les derniers chiffres implicites de l'essence aux États-Unis comme baissiers. Mercredi, l'Energy Information Administration (EIA) a signalé un tirage des stocks de pétrole brut de 9,4 millions de barils pour la semaine se terminant le 28 août, sous l'effet de l'ouragan Laura. Cependant, le rapport de l'EIA a également montré que la demande d'essence pour la semaine se terminant le 28 août était de 8,786 millions de bpj, contre 9,161 millions de bpj pour la semaine précédente au 21 août. La demande d'essence s'était sensiblement améliorée depuis les creux d'avril jusqu'en juin, mais après cela, elle a été bloqué à moins de 9 millions de bpj entre fin juin et fin août, la semaine précédant le 21 août étant la seule exception pour une demande supérieure à 9 millions de bp j. Rappelons la baisse des stocks du brut aux Etats Unis ont ralenti cette descente la maintenant au dessus de 40 dollars le baril pour le Brent. En effet, selon le Département à l'Energie, les stocks domestiques de pétrole pour la semaine close au 28 août ont chuté de 9,4 millions de barils à 498,4 mb, contre un consensus de -1,9 million de barils. Les réserves d'essence ont diminué de 4,3 millions de barils (contre une baisse de 3 mb anticipée par le marché), alors que les stocks de produits distillés ont reculé de 1,7 mb par rapport à la précédente semaine, contre un repli de 1,4 mb attendu. L'analyste Ellen. D. Wald a analysé pour le compte des investisseurs d'investing. com 3 facteurs déterminants qui contrôlent les prix actuellement.

A- La réduction des stocks américains limite leur plongée mais ne les booste plus

Le mercredi 02 /09/2020, comme est mentionné auparavant l'EIA a publié ses données de stockage et de production pour la dernière semaine d'août aux États-Unis. A première vue, ces chiffres auraient dû être fortement haussiers pour le pétrole, avec un peu plus de 9 millions de barils de pétrole brut retirés du stockage et des tirages pour l'essence et le distillat (pour le diesel). De plus, la production américaine de pétrole est passée de moins de 10 millions de barils par jour à seulement 9,7 millions de barils par jour. Cependant, la plupart des traders savent que ces chiffres ont été affectés par les fermetures temporaires de plateformes pétrolières et de raffineries offshores dues à l'ouragan Laura qui a frappé les principales régions pétrolières de la côte autour du Golfe du Mexique la semaine dernière. En conséquence, le prix du WTI n'a pas augmenté. Il est probable que les données publiées la semaine prochaine (qui mesureront la production et l'utilisation de la semaine en cours) continueront à montrer les effets de l'ouragan Laura, car de nombreuses raffineries et plateformes pétrolières offshore sont encore en cours de redémarrage. Le fait que le WTI ait baissé à cette date malgré les chiffres très optimistes de l'EIA révèle que les opérateurs donnent la priorité aux faiblesses de la demande de pétrole brut à long terme et aux augmentations potentielles de l'offre plutôt qu'aux éléments positifs à court terme.

B- L'activité de transport reste limitée aux USA et dans le monde

Les nouvelles concernant les automobilistes et les compagnies aériennes aux États-Unis alimentent certaines de ces préoccupations concernant la faiblesse de la demande. Une enquête menée par ValuePenguin auprès des conducteurs a révélé que 3 personnes sur 10 possédant une voiture aux États-Unis déclarent ne plus faire la navette, soit parce qu'elles ont perdu leur emploi, soit parce qu'elles travaillent à domicile. Le nombre de conducteurs qui achetaient de l'essence chaque semaine aux États-Unis a chuté de 26 % en août par rapport à janvier et février 2020, révélant que bien que la demande d'essence aux États-Unis ait considérablement augmenté au cours de l'été par rapport à ses niveaux du printemps, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ce bond se maintienne à moins que beaucoup plus de travailleurs retournent au bureau en personne, que plus d'écoles rouvrent et que l'économie s'améliore. Une bonne partie de l'augmentation de la demande cet été est due aux vacanciers d'été, notamment parce que de nombreux voyageurs ont évité les voyages en avion, et nous pouvons nous attendre à ce qu'elle diminue maintenant que l'été touche à sa fin. Les nouvelles des compagnies aériennes révèlent que le transport aérien ne devrait pas reprendre au cours du second semestre 2020. Cela signifie que la demande de kérosène continuera d'être très faible. Toutes les grandes compagnies aériennes américaines ont supprimé les frais de change pour les vols aux États-Unis, ce qui signifie qu'un passager peut faire un achat aujourd'hui mais ne pas l'utiliser pendant un nombre indéterminé de mois, un signe que les compagnies aériennes ont désespérément besoin d'argent. En général, les entreprises essaient d'éviter ce genre de responsabilités, mais les compagnies aériennes sont prêtes à assumer ces variables inconnues pendant de nombreux mois afin de s'assurer un apport immédiat d'argent liquide. United Airlines Holdings Inc. prévoit également de supprimer 16 370 emplois et American Airlines Group en licenciera 17 500. De nombreux facteurs continuent de limiter les voyages aériens, notamment les quarantaines aux États-Unis, les restrictions sur les voyages internationaux, l'obligation de porter un masque dans les avions et la peur générale de s'asseoir dans un espace confiné avec des étrangers. Rien n'indique que les voyages aériens vont rebondir et les compagnies aériennes semblent se préparer à un long ralentissement.

C- En dépit des assurances de leur président, l'OPEP continue de surproduire

Deux producteurs de l'OPEP ont indiqué des changements dans leur production de pétrole qui pourraient avoir un impact sur l'offre au cours des prochains mois, et la Russie souhaite que l'OPEP+ en tant que groupe stimule l'offre prochainement. Les Émirats Arabes Unis(EAU) ont annoncé qu'ils avaient surproduit par rapport à leur quota en août de 103 000 bpj. Selon le ministre du pétrole des EAU, cela était dû à une demande intérieure d'électricité plus élevée que prévu, ce qui signifie que le pays a dû produire plus de pétrole afin de produire plus de gaz naturel destiné à brûler dans leurs propres centrales électriques. Il semble que ce pétrole supplémentaire ait été stocké plutôt qu'exporté, et les EAU affirment qu'ils vont réduire leur production durant les mois d'automne pour compenser cette surproduction. Toutefois, les futures réductions des EAU pourraient être éclipsées par une production accrue de l'Irak. Le ministre irakien du pétrole a annoncé qu'il prévoit de demander à l'OPEP des exemptions spéciales en 2021 car le pays connaît une situation financière particulièrement difficile. Selon le ministre, l'Irak doit exporter plus de pétrole au-delà de son quota. Il a ensuite précisé ses commentaires pour indiquer qu'il ne demanderait à l'OPEP que d'accorder à l'Irak un délai supplémentaire pour «compenser» sa surproduction antérieure. L'Irak a considérablement réduit les exportations du sud de l'Irak au cours des deux derniers mois, mais les exportations de la région autonome kurde du nord n'ont pas été réduites.

Il semble qu'en dépit de pressions importantes, l'Irak soit tout simplement incapable de respecter ses restrictions de quotas, à la fois pour des raisons financières et parce que Bagdad n'a ni l'autorité ni le pouvoir de contrôler ce qui se passe dans le nord de l'Irak. Cette question continuera d'être un problème majeur pour l'OPEP lorsque le comité technique du groupe se réunira en septembre et lorsque le groupe se réunira régulièrement en novembre/décembre. Le manque de conformité de l'Irak a fait échouer les tentatives de l'OPEP de faire monter les prix du pétrole au cours des dernières années. Dans sa situation budgétaire actuelle, l'Irak ne peut pas se conformer aux règles sans que cela n'entraîne des conséquences désastreuses pour le peuple irakien. Les observateurs du marché doivent s'attendre à ce que, sauf réductions involontaires, l'Irak ne réduise jamais suffisamment sa production pour respecter ces quotas. En attendant, Alexander Novak, le ministre russe du pétrole, a déclaré qu'il pense que la demande de pétrole est à 90% rétablie de l'impact de la pandémie. Il souhaiterait que l'OPEP+ réagisse à cette situation en augmentant l'offre. Il n'a pas été clair dans ses remarques à propos du moment où il fera pression pour que le groupe augmente sa production, mais il est possible qu'il se prépare à faire pression pour une augmentation de la production dès la réunion du Comité ministériel conjoint de suivi (JMMC) prévue le 17 septembre. Ce groupe peut faire des recommandations à l'ensemble du groupe OPEP+ sur la base de leurs évaluations techniques. Étant donné qu'il existe des indicateurs significatifs de la faiblesse de la demande de pétrole des États-Unis qui sont le plus grand consommateur de pétrole au monde les projets d'augmentation de la production pourraient faire craquer les prix du pétrole si l'OPEP+ n'est pas prudente.

*Consultant, économiste pétrolier