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Honorer les morts, respecter les vivants !

par Mourad Benachenhou

« Effaçons tout mais ne changeons rien», tel apparait de plus en plus clairement, le mot d'ordre, quelque peu paradoxal et contradictoire, choisi par les autorités publiques du pays, et qui informe toutes les décisions qu'elles ont prises jusqu'à présent.

Des Questions Pressantes

Sont-elles vraiment convaincues que, dans les circonstances actuelles, cette approche va leur permettre d'extriquer l'Algérie de la crise dans laquelle l'ont jetée vingt années d'un mode de gouvernance qui parait, sans exagération aucune, avoir été directement inspirée de la fameuse parodie du système de pouvoir despotique qu'est « Ubu Roi » de Alfred Jarry (8 Septembre 1873-Premier Novembre 1907 ? Ou cette démarche reflète-t-elle simplement le caractère prudent, si ce n'est précautionneux, d'une personnalité poussée à la tête du pays dans des conditions constitutionnelles et électorales peu convaincantes ? Y-a-t-il dans le flot de l'actualité des indices permettant aux spectateurs que sont devenus les Algériennes et Algériens, de répondre de manière définitive à l'une ou l'autre de ces questions ? Est-il vraiment utile d'y trouver des réponses ?

La politique de l'esquive : Une perte de temps

Il faut reconnaitre, ne serait-ce que par esprit d'équité, que ces autorités héritent d'un legs tellement complexe qu'il apparait, à première vue, impossible d'en reconnaitre la trame et de retrouver le fil qui doit être tiré pour détricoter la côte de maille dans laquelle Bouteflika, pendant deux longues décennies, a emprisonné ce pays et son peuple.

L'Algérie est, comme le révèlent les comptes-rendus quasi-quotidiens de la presse nationale, un corps malade, couvert des pustules de la corruption que Bouteflika a semées et a laissées prendre racine, pour assurer son pouvoir et sa survie politique, et conforter sa protection par des puissances étrangères, auxquels il a totalement assujetti l'économie algérienne et autorisé le pillage sans vergogne et sans limites des faibles ressources du pays: chaque fois qu'un de ces pustules est crevé, il en a encore plus gros qui apparait ! Ce pays n'est pas, certes, pas à genoux : il est à plat-ventre !

On peut, évidemment, choisir la méthode « Coué, » minimiser la gravité, la profondeur et la complexité de la crise sur laquelle a débouché une gestion des affaires du pays dont les objectifs étaient visiblement contraires à ses intérêts moraux, politiques, économiques et géostratégiques.

Mais la politique de l'esquive, systématiquement adoptée chaque fois que le pouvoir en place se sent menacé, risque d'aggraver la situation du pays, au point d'en faire perdre totalement le contrôle aux autorités supérieures de l'Algérie.

Et nul n'a intérêt à ce que le pays plonge dans le type de désordre que connaissent, à un degré plus ou intense, certains pays de la région.

L'Aggravation de la crise n'est plus une probabilité

Eviter l'aggravation de la crise ne tombe pas sous la responsabilité du citoyen et de la citoyenne ordinaire.

Qu'elles le reconnaissent ou non, et dans ce contexte politique où la Constitution actuelle est plus ou moins suspendue, et -faut-il le souligner- plus que moins, tout le poids de trouver le chemin menant au bout du tunnel où Bouteflika a engagé l'Algérie, dépend exclusivement, et sans partage, des autorités supérieures, et de nulle autre institution.

Les « assemblées représentatives, » à quelque niveau que ce soit, de la hiérarchie des pouvoirs constitutionnels, ont perdu toute crédibilité, car élues dans des conditions quelque peu opaques, mais également, et plus sérieux encore, regroupant des partis et/ou des individualités sans enracinement populaire et plus portés à l'affairisme et à la pratique de la corruption par l'exploitation de leurs positions, qu'à la défense de convictions tirant leur force et leur inspiration des intérêts supérieurs du pays, quelle que soit l'idéologie sous-jacente.

Toute tentative de les associer aux efforts de sortie de la crise, sous le couvert de la consultation populaire, ne peut que réduire le peu de crédibilité et de légitimité dont jouissent les autorités supérieures.

Un vide institutionnel savamment entretenu pendant vingt années

Donc, ces autorités ne peuvent pas se « défausser » de leurs responsabilités sur ces assemblées. Ces autorités sont dans une situation de vide institutionnel qui, en fait, les met en position de plein pouvoir, même si ce terme n'est, et ne sera sans doute pas, jamais utilisé par elles. Le choix du chemin à suivre et des décisions qui en découlent, dépendent essentiellement et avant tout d'elles.

Or, et on revient aux remarques avancées en prémisse de ce développement, on constate un manque de clarté dans leur démarche, et, même, un retour aux vieilles recettes qui ne font que rendre la situation encore plus incontrôlable, malgré les velléités d'autoritarisme qui pointent çà et là. Il faut souligner que tout recourt à l'emploi de la force pour imposer le statuquo est voué à l'échec, car la méthode forte ne règle pas les problèmes, et l'étouffement de l'expression populaire de frustration, qui peut aller jusqu'à la révolte, ne va pas faire disparaitre les causes de la crise, ou même en atténuer les effets.

Le retour à la violence d'Etat n'est plus de mise

L'histoire contemporaine du pays est riche en périodes où les autorités du moment ont cru dépasser les revendications populaires légitimes en en étouffant l'expression et en adoptant la démarche facile de la tergiversation, de la ruse et de la manœuvre de contournement.

La guerre de libération nationale, tout comme la montée de l'islamisme armé, et les drames sanglants qu'elle a causés, sont là pour rappeler que l'impasse dans la résolution des problèmes du moment et l'excès dans l'usage de la puissance publique ne peuvent que déboucher sur des tragédies où le vainqueur, comme le vaincu, payent un prix humain qu'on aurait pu épargner avec le recours à la sagesse et à la modération, et l'acceptation de la fameuse devise : « Voix du Peuple, Voix de Dieu. »

La répétition de l'histoire n'est pas le fait du peuple désarmé, et réduit à commenter et à réagir à des démarches à la conception desquelles il n'a pas contribué, et/ou qui ignorent totalement ses revendications.

Répéter l'histoire pour sortir de la crise ?

Lorsque l'histoire se répéte, la faute en revient pleinement aux dirigeants, sans partage. Faire la sourde oreille aux clameurs populaires, ignorer leurs demandes, faire fi de leurs critiques, les effacer totalement des calculs politiques complexes qui débouchent sur des décisions arbitraires, sont une voie facile à emprunter, car le rapport de force entre les gouvernants et les gouvernés est trop déséquilibré. Mais , à court ou à moyen terme, cet arrogance des autorités publiques se retourne contre elles, avec vengeance.

Or, ce qui apparait clairement actuellement, c'est que les autorités publiques ont choisi d'emprunter ce chemin et de débobiner le fil conducteur de leurs actions en ignorant la sourde opposition populaire.

On en revient aux bruits de chaises, comme si tout le problème résidait dans le choix des hommes, dont tout un chacun sait que leur cooptation obéit aux mêmes règles que celles qui ont mis en avant leurs prédécesseurs. Si élevées et si importantes soient les « personnalités » dont les « têtes roulent, » à la grande joie du « petit peuple, » qui adore le spectacle des puissants mordant la poussière, cela ne constitue pas une politique, mais plutôt soit une stratégie de consolidation du pouvoir au profit du sommet, soit une manœuvre dilatoire visant à retarder non seulement l'expression claire et nette d'une politique de sortie de crise, mais également les décisions dangereuses que sa mise en œuvre implique.

En conclusion

Si les autorités appréhendent les causes de la crise, et ont une conception claire du chemin à suivre, des obstacles à détruire sur ce chemin, et les objectifs auquel il doit mener, elles sont tenues de les exprimer sans retard et sans détour.

On retire de l'observation de leur démarche, qu'elles sont plutôt dans la répétition des vieilles pratiques, des recettes usées du passé, qui, pourtant, n'ont jamais débouché sur des progrès visibles tant dans le domaine politique qu'économique, que dans la position du pays au niveau du monde.

On continue à faire semblant de croire que les partis politiques qui dominent la scène médiatique, sont des entités politiques authentiques représentatives des différents courants d'opinions ou des idéologies informant le peuple.

On agit comme si les deux assemblées placées au sommet de la représentation populaire n'étaient pas autre chose que des regroupements de rentiers et de prédateurs à la représentativité à la fois douteuse et discutable, qui constitueraient,-malgré les vices rédhibitoires dont souffrent leurs composantes , leur mode de fonctionnement et leur pouvoir, totalement fictif, -des cadres légitimes de discussion des textes et des thèmes dont l'avenir du peuple algérien dépend. D'une coque vide peut-on tirer un poussin ?

On reprend la manœuvre du projet de nouvelle Constitution, comme si tous les problèmes du pays avaient eu pour cause une mauvaise rédaction de ce texte fondamental, alors que, depuis l'indépendance, c'est une multitude de textes qui, dans leurs multiples moutures, n'ont jamais eu d'autre objectif que de fournir un semblant de base « légale » à un système qui refuse la notion même d'Etat de droit, et qui fait fi de ses propres lois, qu'il ne respecte que si elles l'arrangent et quand elles l'arrangent.

Le refus des autorités actuelles d'envisager non seulement la poursuite judiciaire de Abdelaziz Bouteflika, mais également sa déchéance, prouve qu'elles restent dans le mode « restauration » du système politique imposé au peuple algérien. Or,ce système est, depuis fort longtemps, en agonie, l'ex-président n'ayant fait rien d'autre qu'accentuer ses failles en allant jusqu'au bout de sa logique de règne par la prédation et la corruption généralisée.

Dans le contexte actuel, l'emprisonnement de quelques hauts dignitaires du système et leurs acolytes, ne peut apparaitre que comme une opération d'élagage de l'arbre du pouvoir, sans toucher au tronc et à ses racines.

Loin d'être la preuve d'une volonté de ressourcement du système par le retour aux valeurs qui ont permis la conquête de l'indépendance nationale et la résurrection du peuple algérien, l'utilisation de la Déclaration du Premier Novembre et la Charte de la Soummam comme « papiers d'emballage » pour cette opération est un acte de désespoir d'un système aux abois, qui n'a plus rien à offrir au peuple algérien, et qui en est réduit à s'accrocher aux restes des vrais nationalistes et de leurs référents pour justifier la tentative de pérenniser son pouvoir.

Ceux qui ont rédigé ces textes de combat n'ont jamais eu à l'esprit l'utilisation de ces documents pour justifier le maintien d'un système politique qui est fondé sur la monopolisation du pouvoir, dans des conditions opaques, par une nébuleuse extraconstitutionnelle : depuis longtemps, les desseins de ces « décideurs » n'ont plus rien de nationaliste.Pendant longtemps, a été même refusé aux Algériennes et Algériens le droit de fêter l'Indépendance du pays, en contradiction totale avec l'esprit comme la lettre de ces textes fondamentaux et fondateurs, maintenant recyclés pour servir de « papier-emballage »à une entreprise qui s'acharne à refuser l'existence politique du peuple algérien.

On ne peut pas exploiter le courage politique et physique des uns et la perspicacité et la vision des autres pour justifier le maintien d'un système politique qui a mené le pays à la ruine, et constitue une menace pour la survie même de l'Algérie comme Etat et comme Nation.

La page de Bouteflika est loin d'être tournée, car non seulement la situation désespérée du pays est le résultat direct de sa fourberie, de son incompétence et de sa trahison des intérêts supérieurs du pays, mais, plus indélébile encore, sa philosophie du pouvoir continue à inspirer les dirigeants du pays,et nombre de ceux qui détiennent le pouvoir ont été placés sous les feux de la rampe sur la base de critères de cooptation visant à perpétuer ce système, nullement y apporter des semences de changement.

Et , pour en revenir au titre, les autorités actuelles, en exploitant les symboles historiques de la lutte du peuple algérien, pour justifier la perpétuation du système politique patrimonial et de la confiscation du pouvoir, réduisent les héros du passé à de simples pions au service d'intérêts et d'une vision du destin de ce peuple, en contradiction totale avec les valeurs qu'ils défendaient, et pour légitimer l'oppression dont sont frappés les Algériennes et les Algériens. Les maitres de ce système déshonorent nos morts et humilient notre peuple.

Jusqu'à présent, et malgré les multiples Constitutions imposées unilatéralement depuis l'indépendance, les maitres actuels de ce pays, continuent à refuser de reconnaitre la souveraineté de ce peuple,

Ces maitres ne sont pas crédibles quand ils réclament,-pour titiller, et rien de plus, les sentiments nationalistes authentiques des Algériennes et Algériens, - de la part de l'ancienne puissance coloniale, -dont ils ont remplacé le pouvoir et l'oppression par les leurs,- la repentance ou des excuses. Cet écran de fumée « pseudo-nationaliste » ne peut plus cacher la réalité de la mise de l'Algérie sous la tutelle multidimensionnelle de cette ex-maitresse du pays et de son peuple.

Le nationalisme se reconstruit de l'intérieur, d'abord et avant tout par la reconnaissance, sans réserve aucune, du droit du peuple souverain à choisir son système politique et sa forme constitutionnelle, impliquantla convocation d'une Constituante munie de pleins pouvoirs, et par la mise urgente de l'économie au service des intérêts nationaux, non pour acheter la protection et la complaisance de cette ex-puissance coloniale.