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Cherchez... les femmes !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Les femmes ayant marqué l'histoire de l'Algérie. Essai de Mostefa Khiati, Anep Editions, Alger 2020, 366 pages, 1.200 dinars



Je crois que c'est là le premier ouvrage consacré en totalité aux femmes algériennes et présentant des biographies longues ou courtes, parfois brèves, mais toutes intéressantes. Certaines, peut-être en raison de leur notoriété et de la documentation existante ou disponible, ont eu le privilège d'avoir un portrait plus ou moins quasi complet alors que d'autres sont seulement évoquées.

Mais, l'essentiel n'est-il pas d'y être, dans ce recueil, ni dico ni encyclopédie, mais ensemble de fiches heureusement classées par grandes périodes.

Au départ, la période antique qui présente les «déesses» et les prêtresses respectées ainsi que quelques femmes célèbres. Une floraison. On apprend ainsi que Veratia Prontonilla exerçait ses activités de prêtresse flamine au niveau des quatre colonies cirtéennes (Milev, Chullu, Rusicade et Cirta : Mila, Collo, Skikda et Constantine), et Annai Aelia Restituta à Calama (Guelma). Il y a aussi des «politiques», des «religieuses» et des «guerrières» comme Sophonisbe, Cléopâtre Séléné II, Monique, mère de Saint Augustin, Salsa, Dihya (Kahena), Tin Hinan...

La période médiévale est un peu plus riche en informations : femmes ibadites, femmes de Béjaïa, femmes de Tlemcen (dont Lalla Setti), femmes d'Oran, femmes du Sud...

La période ottomane, bien que plus proche n'est plus tellement riche. D'abord, très peu de femmes ottomanes en Algérie, car les épouses des grands dignitaires turcs étaient généralement des femmes converties habituellement d'origine européenne ou des femmes «koulouglies». On a eu quand même Zaphira, la femme de Salim Toumi, Lalla Aouda, une femme de lettres, guerrière et sainte, Fatma Tazoughert des Aurès, prêtresse et reine, une guerrière redoutable et pas mal de saintes femmes et de «merabtate» à travers le pays, dont Yemma Gouraya (Béjaïa), Mama Binette (Beni Haoua, entre Ténès et Cherchell), Lalla Mimouna, Lalla Khadidja...

Durant l'occupation française, de 1830 à 1954, les femmes ont été les cibles préférées des razzias de l'armée coloniale. Enlevées, massacrées... mais toujours résistantes, comme Sayyda Kheira, Lalla Zohra (troisième épouse de Hadj Mahieddine et mère de Abdelkader), Lalla Kheira (femme de l'Emir Abdelkader), Lalla Fatma N'soumer, les femmes des Aurès lors de la bataille de Djebel Mestaoua, les femmes déportées, Aurélie Picard (Lalla Yamina ou Lalla Tidjania)... On a eu une autre forme de résistance à travers l'enseignement libre du mouvement national et les écoles des oulémas, l'émergence des étudiantes, l'intervention dans le monde des affaires, de l'art (Hizia Bent Ahmed Ben El Bey, Zeida Benyoucef, première femme photographe dans le monde), de la musique et de la culture (Elissa Rhais, Djamila Debbèche, Taos Amrouche, Isabelle Eberhardt...), dans la presse (Leila Bendhiab...). Et, bien sûr, la forme de résistance «dure» : l'implication politique dans le mouvement national (Emilie Busquant, l'épouse de Messali Hadj, Kheira Belgaïd, Mamia Aïssa, Nefissa Hamoud, Salima Belhaffaf, épouse Benyoucef Benkhedda, Fatima Zekkal...).

Durant la période allant de 54 à 62, c'est alors le temps des femmes totalement engagées dans la guerre de libération nationale. Au 1er novembre 54, sur les 1.010 combattants que comptait le Fln-Aln, il n'y avait que 49 femmes, à la fin de la guerre, on dénombrait 10.949 moudjahidate dont 2.675 combattantes dans les rangs de l'Aln. 374 sont tombées les armes à la main, ceci sans compter les femmes civiles combattantes, 9.124 dont 948 tomberont au champ d'honneur. Des noms lumineux ! Un chapitre à lire absolument (pp 161-310).

Puis, il y a la période postindépendance : à la veille du recouvrement de l'indépendance nationale, seulement 22% des filles étaient scolarisées. Pratiquement 100% en 2010 et, dans la foulée, des femmes politiques, des femmes diplomates, des femmes juges, des femmes scientifiques, des femmes dans les forces de sécurité (protection civile, police nationale, gendarmerie, armée, journalisme, littérature, résistantes durant la décennie noire, arts, théâtre, cinéma et musique, sports...).

L'Auteur : médecin-chercheur, enseignant à l'Université d'Alger, acteur de la société civile. Plusieurs ouvrages dans différents domaines. Président de la Forem

Sommaire : introduction/période antique/période ottomane/occupation française (1830-1954)/occupation française (1954-1962)/Postindépendance/acronymes

Extraits : «Cet ouvrage les (les femmes) évoque aujourd'hui, d'une part, pour refléter la richesse de notre pays en femmes «éternelles» et, d'autre part, pour perpétuer leur mémoire» (p 10), «La résistance (contre l'occupation coloniale de 1830 à 1954) était partout; même si elle est engagée par des femmes, elle est peu visible dans notre histoire» (103).

Avis : Ouvrage très utile mais trop riche en informations. D'autant que la mise en page est trop surchargée rendant difficile la lecture. Heureusement, une belle couverture.

Citations : «Ce nombre important de célébrités montre que dans des conditions optimales, les femmes sont capables d'être aussi performantes que les hommes et de faire parler d'elles» (p 10).



L'émergence des femmes au Maghreb. Une révolution inachevée. Essai de Kamel Kateb.Apic Editions, Alger 2015, 321 pages, 850 dinars (Déjà publiée. Pour rappel)



L'ouvrage fait partie d'une collection d'ouvrages soutenus par le projet Otma (Observatoire des transformations dans le monde arabe), mené par l'Ined et l'Ird (France).

Pour l'auteur, les transformations qui surviennent dans le monde arabe sont à inscrire dans les temporalités propres aux évolutions démographiques. De ce fait, et les préfaciers (F. Guérin-Pace et J-Y Moisseron) sont d'accord avec lui pour dire que «l'émergence de sociétés réclamant explicitement la démocratie n'est pas seulement le produit d'une conscience politique soudaine, mais le fruit d'une accumulation de facteurs qui se sont constitués sur plusieurs décennies à travers plusieurs transitions : transition démographique, développement économique, révolution informationnelle, transition énergétique...».

L'auteur tente tout d'abord de répondre aux questionnements induits par la problématique du mariage : précoce ou tardif ? à travers, entre autres, l'analyse de la dérégulation lente du marché matrimonial, la scolarisation et le prolongement du célibat. Il y a, ensuite, les conséquences des changements démographiques sur l'ordre social et religieux (célibat, nuptialité, dissolution du système patriarcal...).

Enfin, il aborde la «révolution silencieuse au plus profond de la société», produite par une montée en puissance des femmes, aboutissant sur un «célibat prolongé pour un système matrimonial plus adapté» et l'«autonomisation progressive du mouvement féminin».

A propos du phénomène «célibat prolongé», l'auteur nous présente son interprétation de trois grandes catégories : celle qui exprime une forme de contestation de l'ordre «établi sur la base d'une domination sans partage de la gente masculine, résultat de la compromission des élites avec les forces conservatrices et religieuses». Celle (la plus forte proportion ?) qui aspirerait «à conclure une union sur des bases amoureuses en bénéficiant de la liberté de choix du conjoint». Celle (proportion importante des femmes célibataires dont certaines adeptes du modèle dit islamique) qui resterait «inscrite dans le cadre du schéma matrimonial traditionnel et portée aux compromis nécessaires (voile, seconde épouse...)».

En définitive, c'est la femme maghrébine qui se retrouve, et pour un bon bout de temps encore, hélas pour toute la société, prisonnière (tout en détenant la clé de la libération, ce qui est paradoxal et pourtant...) du débat sans fin, malgré le contexte international favorable à une égalité totale entre les sexes et un droit international qui s'impose dans les législations nationales, autour de son statut dans la société. Prisonnière des forces qui souhaiteraient une modernisation de l'islam et les partisans de l'islamisation de la modernité. Elle n'a pas fini d'en «baver» ! Comme toujours.

L'Auteur : docteur en démographie, il est chercheur démographe en France. En fait, un parcours de démographe et d'historien mais intellectuel engagé. Auteur de plusieurs ouvrages : «La fin du mariage traditionnel ? 1876-1998» en 1998, «Ecole, population et société en Algérie» en 2006, «Européens, Indigènes et Juifs en Algérie, 1830-1962».

Avis : étude comparative rigoureuse et très documentée (annexes fournies dont des «extraits du Coran relatifs à la nuptialité, à la polygamie, aux relations sexuelles, à la répudiation, à l'adultère... ainsi que les «réserves de l'Algérie et de la Tunisie sur certains articles de la Cedaw de décembre 1979»). Des clés d'interprétation du changement social au Maghreb à travers toutes les dimensions.

Citations : «Le niveau de mobilisation des femmes maghrébines est probablement en deçà des besoins, alors qu'elles ont le plus à gagner dans cette révolution silencieuse, au contraire des hommes, qui auront dans un premier temps à céder une parcelle d'un pouvoir qu'ils ont détenu sans partage pendant des siècles» (p 151), «Le refus des pouvoirs politiques et d'une partie de la société d'accepter l'autonomie de pensée des individus, et leur volonté de limiter l'exercice des libertés individuelles renforcent les tendances à la mobilisation de la religion (capital symbolique) sur le terrain politique et juridique» (p 219), «La scolarisation massive des filles a engagé un processus irréversible de transformation des sociétés maghrébines qui ne pourrait être remis en cause que par un triomphe complet d'un projet politique totalitaire génocidaire» ( p 229).