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Cachez-moi ce dessein que je ne saurais voir

par Michel Raimbaud*

Formatées et acquises aux thèses du «Nouvel Ordre Global», les «élites» ont entrepris sans états d'âme de liquider les repères du «monde d'avant» à tous les plans (personnel, familial, sociétal) et dans tous les domaines (politique, culture, économie, éducation, enseignement, religion), l'objectif étant manifestement de préparer les esprits à un «monde d'après» désarticulé, déshumanisé, désocialisé, décivilisé, dont les symboles (masques, «gestes barrières», «distanciation sociale», interdiction des rassemblements, des réunions, des marques d'affection familiale ou intergénérationnelle) sont en soi tout un programme.

Le vide sidéral que génère le Covid est certes contre-nature, mais ne plus jurer que par lui permet de mettre au rancart les préoccupations du «monde d'avant». On n'épiloguera pas sur la casse systématique des acquis, des conquêtes sociales ou des libertés publiques, et sur l'effacement progressif de toutes les formes traditionnelles de discussion, de dialogue et de négociation, etc...La catastrophe semble déboucher sur un «trou noir» susceptible de tout engloutir, y compris l'inquiétude et les réflexes de résistance...Cette apathie résignée sous nos cieux bien-pensants a de quoi surprendre.

Comment s'étonner dès lors que l'indifférence ordinaire face aux problèmes du monde soit plus que jamais la règle. Les grands chefs de guerre qui président aux destinées de nos «démocraties» peuvent ainsi mener en toute tranquillité leurs entreprises illégales : ils n'auront pas de comptes à rendre. Il est vrai que, vu de Sirius, le monde du début de millénaire fait penser à la «nef des fous» peinte par Bosch il y a 500 ans, notre folie d'aujourd'hui relevant bien davantage du désordre politico-religieux que de la menace pandémique. S'il a le dos large, le ci-devant Corona n'a fait que consacrer la dérive constatée sur le Grand Echiquier depuis la chute de l'URSS. Retombée de la catastrophe géopolitique de 1991, la rupture de l'équilibre fragile de la guerre froide devait en effet déboucher rapidement sur l'abandon des valeurs et règles communes, l'adieu à la légalité internationale et la ruine du multilatéralisme, préludes à la glissade vers un enfer où feraient la loi les vainqueurs de la guerre idéologique, sans scrupules ni vergogne. Après vingt années de «moment unipolaire américain» et dix ans de «révolutions» et autres «printemps», l'effervescence planétaire a rendu caricaturales les gesticulations d'une ONU en faillite, réduisant à des simulacres les démarches et procédures de la relation internationale. Comment cacher sa stupéfaction devant les nouvelles mœurs diplomatiques soi-disant dictées par l'urgence sanitaire : le Conseil de Sécurité se réunit désormais «en visioconférence» (sic), ce qui réduit les échanges au minimum syndical et banalise les dialogues de sourds qui constituaient déjà souvent la trame des réunions «d'avant».

Les menteurs et tricheurs de l'Axe du Bien auront eu la peau du «machin» tout en conservant pieusement les vieux «trucs» cachés dans le double fond de leur sac à malices : la «responsabilité de protéger», les droits de l'homme, la «communauté internationale», les «régimes préoccupants», les faux pavillons, les tyrans massacreurs, le vocabulaire attrape-gogos avec ce non qui veut dire oui, ce vrai qui cache le faux et l'aide humanitaire acheminée par les flottes de guerre...A l'ouest rien de nouveau ! Y compris au pays de Montesquieu et Descartes. N'y a-t-on pas depuis longtemps tiré un trait sur feu la légalité internationale, ne trouvant rien à redire à la loi de la jungle qui s'est imposée face au droit onusien ? Les Occidentaux auraient pourtant tort d'ignorer la haine et la rancœur que suscitent partout dans le monde leur cynisme, leur arrogance, leurs postures et impostures.

Cœur du Moyen-Orient, la Syrie historique face aux agresseurs

C'est au centre de la «ceinture verte musulmane» qui court de l'Atlantique au Pacifique, que l'on trouve le foyer le plus fébrile et le plus explosif de l'affrontement entre l'Eurasie et l'Empire Atlantique, qui servira ici d'exemple.

- Les menteurs et tricheurs de l'Axe du Bien nous renvoient à la Loi de la Jungle...

Ancrée à l'un des carrefours majeurs de la géopolitique, la Syrie est certes le cœur battant de l'arabisme, mais elle est également dans son extension historique le cœur du Grand Moyen-Orient, enjeu fondamental entre les empires du «pivot géographique du monde» et les «empires de la mer». Matrice de notre civilisation, ayant vu naître l'alphabet, la musique, l'agriculture, la cité, la politique, le monothéisme, objet des convoitises stratégiques, elle est certes habituée aux vicissitudes, mais elle doit aujourd'hui faire face à une agression globale où tous les messianismes se sont donné rendez-vous. Se trouvant au point de convergence de leurs ambitions, c'est un combat existentiel auquel elle ne peut échapper. Or, dans les circonstances du moment, on ne saurait négliger un élément géostratégique déterminant qui la renforce et la fragilise à la fois, son appartenance à un Axe de la Résistance (de l'Iran au Liban méditerranéen), obstacle majeur aux assauts d'une hydre à cinq têtes : le vieil impérialisme endémique, un colonialisme enraciné, le sionisme à double visage, le néo-ottomanisme déjanté d'Erdogan et l'islamisme conquérant des Frères Musulmans. La diversité des enseignes ne doit pas induire en erreur : malgré des rivalités d'intérêts ponctuelles, les agresseurs partagent les mêmes ambitions hégémonistes et un penchant pour les comportements déviants, avec une arme commune, le recours au terrorisme.

1/ L'impérialisme moderne est inscrit depuis cinq siècles dans les gènes et l'histoire de l'Occident. Il se réclame d'une mission civilisatrice (le fumeux «fardeau de l'homme blanc», devenu «le fardeau de l'homme riche»), progressivement imprégnée d'un messianisme sioniste judéo-protestant, voire d'une certaine inspiration trotskiste. C'est du moins dans ce bouillon idéologique qu'est née à la fin des années 1960 la doctrine néoconservatrice, pensée du degré zéro. C'est à l'ère Reagan qu'elle a pris son essor, lançant ses métastases un peu partout, s'imposant comme le logiciel du soft power de l'Amérique et de son «Etat profond». Les méfaits de cet impérialisme continument recyclé sont innombrables, notamment dans le Grand Moyen-Orient, zone privilégiée de ses gesticulations militaires et de ses manigances politiques. Sa capacité de nuisance y semble illimitée, tout particulièrement au Croissant Fertile, autre nom de la Grande Syrie, le «Bilad al Cham» des Arabes.

C'est à l'occasion des attentats du 11 septembre, puis du déclenchement de la seconde guerre d'Irak en 2003, qu'est apparue en pleine lumière la sauvagerie de «l'Amérique si bonne» de l'ère Debeliou, où le pouvoir suprême avait été littéralement capté par un monstrueux et hallucinant Vice en la personne de Dick Cheney. Mais l'Amérique de Trump, digne héritière de celle de Debeliou et d'Obama, est loin d'être une aberration. Pour épargner au lecteur l'inventaire sans fin des crimes, complots et mauvais coups de cet «Etat voyou» par excellence, mais aussi le sinistre bilan des agissements de ses affidés occidentaux ou de ses fidèles associés israéliens, turcs ou islamistes (cf. infra), on citera ici une brève intervention de Bachar al Jaafari, représentant permanent de la Syrie aux Nations-Unies. Elle remplacera avantageusement de longs développements :

Citation - Lorsque les Etats-Unis d'Amérique volent chaque jour et ouvertement 200.000 barils de pétrole extraits des puits syriens et 40.000 tonnes de coton ; lorsqu'ils incendient des milliers d'hectares de champs de blé. Quand ils volent 5 millions de têtes de bétail et se vantent d'agir en faveur de la partition de la Syrie et de l'affaiblissement volontaire de la valeur de la livre syrienne ; quand ils imposent des mesures économiques coercitives visant à étrangler le peuple syrien, quand ils occupent des parties du territoire syrien et protègent leur partenaire turc qui occupent d'autres portions de ce territoire ; quand la représentante des Etats-Unis ose évoquer malgré tout l'inquiétude de son administration face à la détérioration des conditions de vie du citoyen syrien, imputant cette détérioration à ce qu'elle appelle «le régime», la question légitime que l'on peut se poser est la suivante: - Est-ce que ce sont là les symptômes d'une schizophrénie politique?? Ou bien serait-ce lié à un état de maladie grave? Fin de citation.

Comment ne pas être révulsé en effet par le cynisme, l'arrogance, la perversité, la bêtise des malfrats qui dirigent feu la plus grande puissance de la planète, et celles de leurs vassaux et satellites ? Comment oser présenter leurs innombrables méfaits comme des œuvres pies ou feindre de les ignorer ? La Syrie n'est-elle pas depuis dix ans le théâtre d'une guerre d'agression impitoyable directe et/ou indirecte et la victime de mesures criminelles imposées par les Etats-Unis et l'Europe, qui empêchent les Syriens de subvenir à leurs besoins essentiels en nourriture, médicaments, équipements médicaux en plein COVID : une tentative de «meurtre délibéré», sans réaction de l'ONU.

Le 27 octobre /2019, Trump avouait «aimer le pétrole», annonçant qu'il voulait «conclure un accord avec une entreprise américaine pour qu'elle prenne sa part du pétrole syrien» (sic) : la «Crescent Delta Energy», dirigée par un ancien ambassadeur, a réalisé le rêve du bienheureux Donald avec l'appui des «Forces Démocratiques Syriennes» (séparatistes) épaulées par les occupants US, concrétisant un hold-up sur les hydrocarbures qui permet de priver la Syrie des revenus nécessaires pour respirer et se reconstruire. La mafia sioniste de Washington avait déjà autorisé des compagnies supervisées par l'ancien «Vice» Dick Cheney à extraire le pétrole du Golan occupé.

La place du gangster à la mèche jaune serait plutôt dans un pénitencier de la CPI qu'à la Maison-Blanche. Et ses sbires à blanc bonnet ou à bonnet blanc itou. Sans doute, certains feront-ils la queue au bureau de recrutement du démocrate Biden, si celui-ci est élu. On ne compte plus, dans les hautes sphères des «grandes démocraties», les personnages qui «ne méritent pas d'être sur terre» et encore moins au poste où ils sévissent. L'impérialisme ne manque pas de serviteurs ou simplement de culot.

2 / Bête au Bois Dormant, le colonialisme vit un retour de printemps impressionnant. On le croyait mort et enterré dans les poubelles de l'Histoire ; le voilà, tout guilleret, qui ressuscite, au Grand-Moyen Orient et ailleurs. Il doit certes avancer masqué, mais c'est dans l'air du temps. S'il reste discret ou clandestin ici ou là, il est bien présent, se fondant dans la vague impérialiste décomplexée qui balaie la mappemonde des conflits. Les Etats-Unis ont longtemps argué de leur virginité en matière de colonialisme, encore qu'un pays né à la faveur d'un génocide, qui doit une part notable de sa prospérité au trafic négrier et n'hésite pas à exterminer des centaines de milliers de civils japonais pour terroriser, soit mal placé pour donner des leçons sur les droits de l'homme et la chasse aux armes de destruction massive.

En tout état de cause, le colonialisme sous ses oripeaux divers est omniprésent dans la région du Grand Moyen-Orient depuis fort longtemps et il ne faut pas gratter bien loin pour en retrouver la trace dans la plupart des pays arabes, notamment sur les terres de la Syrie historique et celles qui allaient constituer l'Axe de la Résistance. Ce n'est pas un hasard si la carte de cette zone coïncide avec celle des charcutages, partitions, démantèlements, conçue sous des formats divers par les stratèges israélo-américains comme Oded Yinon, le Colonel Peters, Bernard Lewis, Rumsfeld et Cebrowski, Joe Biden, etc...Ce n'est pas un hasard non plus si les deux superpuissances coloniales d'antan, France et Grande-Bretagne, sont à l'origine du remodelage de la région intervenu il y a un siècle, à la chute de l'Empire ottoman : entre les promesses non tenues faites aux Arabes par Mac Mahon, les engagements solennels et respectés en faveur des sionistes (déclaration Balfour) et les accords secrets entre les sieurs Sykes et Picot, l'entreprise avait deux objectifs majeurs, partitionner l'espace syrien et le croissant fertile pour maintenir la division des Arabes et offrir une place au sionisme pour la création d'un Etat tampon au service du colonialisme britannique. A Paris, plus encore qu'à Londres, on n'est pas insensible à la nostalgie du bon vieux temps de l'arbitraire et de la canonnière : ce n'est pas le Le Drian qui démentira.

D'où la politique à double visage de la patrie des droits de l'homme : d'un côté honteuse, quasi-clandestine, multiforme et malveillante vis-à-vis de Damas ; de l'autre, ouverte, apparemment bienveillante, mais lourde d'arrière-pensées à l'égard du Liban, terre arrachée en douce à la Syrie historique. Créé dans des conditions à peu près identiques par les Britanniques, Israël bénéficiera pour sa part d'une complaisance sans limites. Ce qui constitue une assurance tous risques pour Tel-Aviv : sa politique échappe à toute remise en cause et le criminel «Bibi» est bien vu à Paris, à Washington et ailleurs. Les Palestiniens spoliés, martyrisés et trahis se contenteront peut-être de sautiller d'un «postillon» à l'autre en Cisjordanie ou de mariner dans leur prison à ciel ouvert à Gaza.

Une explosion à Beyrouth, port détruit et ville soufflée !?

Voici M. Macron qui surgit dans l'heure, sans masque et prodiguant conseils, leçons et promesses,... les assortissant de demandes exorbitantes en forme d'ultimatum et de menaces ouvertes en cas de non-exécution. Le tout avec un tact éléphantesque : le mandat est de retour et on trouve même des Libanais qui supplient la France de revenir. C'est un remake du coup du Père Colin (Powell-NDLR) à Damas en 2005. Le complexe président est chargé de mettre en œuvre les plans trop voyants de Washington et fiérot de l'être. Les objectifs sont multiples : il s'agit de neutraliser les velléités d'indépendance du Liban et d'écarter du pouvoir le Hezbollah, force vive du «pays du cèdre», d'essayer de boucler la frontière afin de finir d'asphyxier la Syrie en interdisant toute transaction avec elle, d'interdire l'ouverture du couloir reliant Téhéran à Beyrouth via l'Irak, la Syrie et le Liban. Il s'agit enfin de bloquer toute irruption de la Chine et de ses Routes de la Soie sur les rivages méditerranéens, présentée par certains comme la seule planche de salut pour un Etat étranglé. L'un des enjeux est peut-être aussi d'empêcher toute enquête qui pourrait révéler la véritable histoire des nitrates pulvérisés : il serait malsain d'être impliqué dans le puzzle des non-dits inavouables (Turquie, guerre de Syrie, cargaisons destinées aux terroristes ?).

La «Tendre Mère» est intransigeante : pas question de chèque en blanc, de reconstruction de Beyrouth hors du FMI, pas d'enquête nationale ; le pays sinistré doit recourir à la «communauté internationale». Aura-t-il fait ses «devoirs de vacances» au retour de Maître Macron, qui exige, à l'occasion du centenaire de la proclamation du «Grand Liban», un nouveau pacte national ? Le Drian a bien menacé de ne pas revenir (sic), mais le mandat est périmé : l'ultimatum ne passe plus comme une lettre à la poste.

3/ Le sionisme reste une pièce maitresse dans la construction impériale et coloniale. D'autant plus que la doctrine trouve beaucoup de supporters et de sympathisants dans les opinions occidentales ou autres. Il va de soi qu'Israël est omniprésent dans toutes les convulsions qui déstabilisent la région et ses alentours proches ou lointains. Dans l'espace qui nous intéresse plus particulièrement, n'est-il pas censé être la puissance régionale majeure et sans rivale, celle à qui tout est permis par principe. On ne fera donc pas l'inventaire des faits et gestes de cet Etat qui, bien que créé par une résolution des Nations-Unies, a toutes les caractéristiques d'un Etat-voyou, telles que définies par le Pr Avi Shlaim, universitaire anglo-israélien (né à Bagdad) : détenir des Armes de Destruction Massive, soutenir le terrorisme, violer la légalité internationale. Ce serait...fastidieux.

L'évocation du messianisme sioniste serait très incomplète si l'on ne faisait pas une référence appuyée à ses deux composantes : le sionisme juif est connu, mais le second, celui des églises protestantes, plus radical et encore plus puissant que le premier, est souvent zappé. En essor depuis les années 1980, l'évangélisme (mais il n'est pas la seule variété de «sionisme chrétien») mobilise des millions de fidèles partageant une vision du monde bigote et sans frontières, fondée sur une lecture ultra néoconservatrice de la Bible. Richissimes et ayant investi l'espace politique sur la base d'un anticommunisme suranné, ils jouissent d'un poids électoral énorme (60 millions de «Chrétiens unis pour Israël») et constituent l'un des groupes de pression les plus influents de la planète. Si Israël est bien le cœur battant de l'Amérique, le cœur de l'Amérique bat pour Israël.

Il reste que contrôler l'avenir du Croissant Fertile et de l'espace syrien est vital pour ce pays sans frontières, qui se moque des lois et des peuples, envisageant son avenir à la lumière des textes bibliques, lesquels sont censés lui attribuer un espace vital allant du Nil à l'Euphrate. Ce qui implique de liquider la cause palestinienne, mettre à genoux la Jordanie résignée à devenir «l'Etat de remplacement», détruire le Liban et son Hezbollah, anéantir l'Etat syrien qui a déjà résisté dix ans, et ramener au pas l'Irak. Et les techniques sont multiples. Concernant la Syrie, le truc favori en Occident reste le politicide médiatique, qui vise à effacer le pays «pro-Bachar» de la carte. En témoigne le Grand Bilad al Cham» sans la Syrie, imaginé à Washington sous l'égide de Bagdad et du Caire.

Globalement, croit-on au succès du côté d'Israël, au vu des efforts déployés pour capturer les «proies» et du maigre bilan enregistré ?

4/ Le néo-ottomanisme, qui inspire les dirigeants d'Ankara depuis près de quarante ans, est fébrilement promu par Rajab Tayep Erdogan. Le Mamamouchi est membre actif de la corporation du banditisme d'Etat. A l'instar de ses partenaires favoris, il viole ouvertement, en toute impunité, le droit international. Faux contestataire de l'ordre atlantique, agent de l'Amérique, membre de l'OTAN et allié objectif de Tel-Aviv, Erdogan est le porte-drapeau des Frères Musulmans, dont le parti de la Justice et du Développement au pouvoir n'est rien d'autre que la branche turque. Depuis sa création en Egypte par Hassan al Banna, à la chute du Califat, le mouvement est l'agent du colonialisme. Le néo-Sultan ne fait pas mystère de son rêve de réinstaurer l'Empire. Son Iznogoud, Ahmet Daoud Oglu, a été l'architecte de la diplomatie du «zéro problème avec les voisins». C'était un produit du lexique piégé, «bon voisinage» signifiant «guerre».

Notre vibrion ne fait pas dans la dentelle, et il est omniprésent sur tous les théâtres du Grand Moyen-Orient, en Afrique, en Méditerranée. Comme Trump il «aime le gaz», comme Netanyahou, il méprise le droit international et l'ONU, qui ne bronche pas. Il joue au plus fin avec Washington et Moscou et présume de sa puissance. La lune de miel avec la France est terminée depuis belle lurette. Les deux pays sont rivaux en Méditerranée, en Libye et sur le continent africain, mais ont en commun d'être illégalement présents en Syrie, en violation de la légalité internationale. La confiscation ou l'annexion des terres ne saurait certes effacer leur appartenance à la Syrie, mais rend toute solution difficile. Erdogan n'a pas respecté les engagements pris à Astana ou Sotchi et, en liaison avec sa mouvance terroriste, multiplie les crimes et les actes d'agression et d'occupation : le pillage de la zone d'Alep (441 usines démontées et acheminées vers la Turquie), le vol ou l'incendie des récoltes, le trafic du pétrole volé et des antiquités pillées par Daech et Cie, un million de personnes privées d'eau à Hassaka. Cependant, bien qu'Erdogan turquise à outrance, déplaçant les habitants, pillant biens et avoirs, imposant sa monnaie, il est fatal qu'il devra à terme se retirer de Syrie, l'équilibre stratégique n'étant plus en sa faveur.

Et le Croissant Fertile ou la «Grande Syrie» ?

Entre le camp atlantique et le bloc eurasien, entre l'Axe de la Résilience et celui des agresseurs, le présomptueux «Grand Turc» a fait le mauvais choix, comme beaucoup de ses compères membres du club des Etats «déviants». Dans le tohu-bohu des idéologies, il semble prétentieux de faire des prévisions, s'agissant d'un Croissant fertile en rebondissements et d'un espace historique syrien où se télescopent tant de revendications. Pour servir les objectifs précédemment évoqués, depuis un siècle la carte régionale a été «charcutée» au détriment de l'identité arabe, laissant une marque profonde dans la mémoire des peuples floués, qui constituent depuis des temps immémoriaux la majorité autochtone. Admettre qu'une légitimité a été bafouée et une identité commune niée reviendrait à plaider coupable pour le passé et le présent. C'est impensable pour un Occident qui persiste et signe, imperturbable face au «crépuscule des dieux américains» et à l'inexorable ascension du bloc sino-russo-iranien.

Le conflit syrien a démontré que beaucoup d'Etats dans le monde étaient sensibles aux sirènes de l'Occident et qu'ils pouvaient à l'occasion adopter ses méthodes déviantes, peu respectueuses du droit international. En témoignent les 114 pays qui avaient rejoint en 2012 le «groupe des amis du peuple syrien» (sic) patronné par Washington, soutenant de facto le terrorisme. On ne sera pas surpris de constater que les Etats «gangsters» du Moyen-Orient, qu'ils soient pros (Turquie, Israël) ou amateurs (Arabie Saoudite, Emirats, Qatar...) sont les premiers à imiter leurs parrains, misant sur des «affaires du siècle», des transactions déshonorantes ou des coups de force pour s'affirmer. Les «tyrans pétroliers», dont l'horloge par définition retarde, ont choisi le mauvais versant de l'Histoire, ce qui porte un lourd préjudice à la cause arabe. Beaucoup de ces dirigeants écriront sur leurs murs que Trump m'a tromper. Trompé, mais pas énormément, ajouteront les repentants les plus futés, réalisant que ce qui était possible il y a dix ans ne l'est plus : les faits accomplis ne peuvent exister tant qu'ils n'ont pas été «acceptés» par les victimes puis avalisés par la communauté des nations. Vu le basculement stratégique en cours, les conflits actuels ne se résoudront pas par des guerres d'agression «invisibles et sans fin». Seul un nouveau consensus international pourra créer la légalité nouvelle. A la westphalienne...

*Ancien ambassadeur de France, essayiste, géopolitologue. Dernier ouvrage paru aux Éditions Glyphe, Paris : Les guerres de Syrie.