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Hirak et histoire de Constitutions

par Mohammed Beghdad

« Rien ne sert de courir, il faut partir à point » Morale ouvrant la Fable « Le lièvre et la tortue » de Jean de La Fontaine (1621-1695)

Jamais de mémoire d'Algériens, le peuple n'a été un acteur central de la Constitution du pays que depuis le 22 février dernier en réclamant à travers le Hirak la revendication, tout d'abord de l'article 102 (le fameux article 88 avant la révision de la Constitution en 2016) et ensuite, comme l'appétit vient en mangeant, il ne cesse d'exiger que les articles 7 et 8 soient appliqués afin qu'il puisse exercer sa totale souveraineté dont il ne veut pas que ce ne soit que de vains mots. Justement, ce point de discorde divise les décideurs du peuple, qui maintient ses mots d'ordre et ne veut en aucun cas lâcher prise surtout qu'il a compris que ses marches pacifiques lui ont permis de faire bouger les lignes qui paraissaient, il y a 3 mois, inimaginables à faire reculer si ce n'est pas le mur de la peur qui a été brisé. Le pouvoir ne veut absolument régler la crise qui secoue le pays qu'à travers l'actuelle Constitution du président déchu qui, au passage, est mise en échec et mat par la volonté populaire. C'est ce qui se passe lorsqu'on laisse tripoter une Constitution comme un costume à la taille du président démissionné par le Hirak. Une fois qu'un ancien président est parti, son successeur cherche à installer la sienne et c'est ce qui se passe lorsqu'on place ses ambitions politiques devant celles de la nation. La santé politique d'un pays se mesure également à travers la longévité de sa Constitution.

Revenons un peu à l'histoire de l'Algérie indépendante. L'Algérie a connu, jusqu'à aujourd'hui, 4 Constitutions. D'abord la première à l'indépendance en 1963 sous le régime du président Ahmed Ben Bella. Elle devrait être le point de départ d'une Algérie nouvelle et plurielle à partir d'une assemblée constituante où tous les courants politiques étaient présentés comme: Ferhat Abbas, Hocine Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Krim Belkacem, Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Francis, Abderrahmane Fares, Khatib Youcef, Mohammedi Saïd, Zohra Drif, Yacef Saâdi, M'hamed Yazid, Ali Mendjli, Kaïd Ahmed, Ali Yahia Abdennour, Hadj Benalla, Abderahmane Chibane, Mohammed Khemisti, Salah Louanchi, Ahmed Medeghri, Djelloul Melaika, Tidjani Heddam, pour ne citer que ceux-là. C'était à l'époque ce qu'on rêvait de mieux comme délégués à l'assemblée.

Mais la montagne avait accouché d'une souris. En effet, Le chef du gouvernement Ahmed Ben Bella, autoproclamé à la place du GPRA, avant d'être président avait, si l'on peut s'exprimer ainsi, fait un forcing en confectionnant un costume à sa taille en faisant adopter « sa » Constitution. Ce fût ce qu'on appelle toujours impudiquement le clan d'Oujda qui avait pris les clés en mains du pays.

A juste titre et dès le coup d'état du 19 juin 1965 que l'une des premières décisions à prendre par le président du conseil de la révolution Houari Boumediène, était de suspendre la Constitution de Ben Bella. En aucun cas, on ne peut gouverner avec la Constitution de son prédécesseur. Boumediène attendit plus de 10 années pour faire décréter la sienne, celle de 1976 et au bout de laquelle il a été enfin élu président.

Nouvellement élu au début de 1979 au poste de président de la république après la disparition du président Boumediene, Chadli Bendjedid a juste après opté pour une légère première révision de la Constitution de Boumediene mais en ne touchant pas aux points essentiels. Une dernière révision de cette Constitution est venue après le choc d'Octobre 88 puis le coup de massue lui est portée par l'avènement de la Constitution de 1989, qui ; il faut le souligner était née de la pression de la rue. Mais elle est toujours associée au président Chadli qui a eu enfin sa Constitution.

Malheureusement, cette Constitution à connotation pluraliste n'a pas duré longtemps, juste un peu moins de 3 années. La décennie noire l'a mise en veilleuse en la remettant en cause après l'interruption du processus électoral de janvier 1992 et le départ contraint de Chadli Bendjedid. C'était sans doute la Constitution la plus révolutionnaire à l'époque qui avait mis fin à l'unilatéralisme politique, libéré les associations et le syndicalisme. Peut-être qu'elle serait venue en retard. Elle aurait pu donner une autre tournure au destin du pays si elle était parvenue en 1963. Mais on ne peut refaire l'histoire. Avant de partir, on a soufflé à Chadli de dissoudre l'Assemblée Nationale Populaire qui avait privé son président Abdelaziz Belkhadem d'un destin national. Il avait par cette décision plongé le pays dans un coma politique. Le Président du Conseil Constitutionnel n'avait non plus la carrure politique pour gérer la situation qui prévalait.

Le pays était alors tombé dans un grand vide Constitutionnel et on ignorerait si cela était volontaire ou non de la part des décideurs, que leurs détracteurs les nommaient par les « janviéristes ». Le Haut Conseil de Sécurité s'était réuni en l'absence d'un président de la république, un cas encore imprévu dans la Constitution. C'était la première violation du texte fondamental. Le pays est rentré plein dedans dans l'anti-Constitutionnalité. Un imbroglio juridique est enfin trouvé par la création du Haut Comité d'Etat (HCE) constitué de 5 membres dont son président est le défunt Mohamed Boudiaf. La Constitution de 1989 vient d'être définitivement enterrée. On comprend bien que les décideurs d'aujourd'hui craignent la répétition de ce scénario mais les données ne sont plus les mêmes et la société a mûri après l'impasse et le sevrage politiques de près de 3 décennies.

Vu son statut de l'un des pères de la révolution et doté d'une forte personnalité, le président du HCE aurait consacré son passage à la tête de l'état par une Constitution à la mesure de sa stature politique s'il n'avait pas été assassiné en juin 1992. Il écrasait de son poids historique les 4 autres membres du HCE. Son successeur à la tête du HCE Ali Kafi n'a pas eu le pouvoir nécessaire qui était plus collégial pour décider d'une nouvelle Constitution. Il est parti comme il est rentré, presque sans faire du bruit.

Il fallait attendre 4 années pour que la dernière Constitution du pays voie enfin le jour en 1996. C'était durant le règne du chef d'état Liamine Zeroual, désigné en 1994, et élu en 1995 en tant que président de la république. Comme la tradition politique le veuille, sa Constitution porte également sa trace. Il ne voulait en aucun briguer un autre mandat présidentiel, puisque la Constitution prévoyait un autre.

C'est presque en démissionnaire que le président Liamine Zeroual cédait en 1999 le flambeau au président Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci n'a pas cherché à disposer de sa propre Constitution mais à force de la triturer, il est arrivé à avoir la mienne après avoir vidé en 2008 la Constitution 1996 de sa sève et qu'il lui tenait à cœur de la déverrouiller par l'article de la limitation des mandats présidentiels. Après 3 successives révisions, mis à part les constantes nationales, tout a été cadenassé. On peut dire aujourd'hui que Bouteflika a eu, par sa ruse légendaire sa Constitution sans passer par un référendum populaire mais à travers un parlement aux ordres avec ses deux chambres aux senteurs du « cachir » et comme en témoigne sa longévité record à la tête du pays.

Rappelons qu'à travers le monde et en particulier dans les pays développés, les présidents élus ne s'occupent rarement à changer les articles des Constitutions qui leur ont permis d'arriver au pouvoir ni encore moins à penser à faire « plébisciter » leur propres Constitutions. A titre d'exemple, la Constitution des Etats Unis perdurent depuis ....1789 ! C'est normal qu'il y ait eu des amendements à travers le temps au vu de l'évolution du pays et du monde mais on n'y a point touché aux articles qui peuvent irriter. En plus de deux siècles d'existence, sa Constitution n'a connu que 27 amendements. Et de plus, Elle n'est assimilée à aucun nom des célèbres noms de présidents américains mais tout le peuple américain s'y reconnait.

Tout près de chez nous, en France plus particulièrement dont notre histoire récente y est liée que ce soit politiquement, culturellement ou économiquement, la Constitution de la 5ème république de 1958 est toujours en vigueur. Elle subi et c'est tout à fait normal des révisions par rapport aux mutations politiques du pays et des changements opérés dans son environnement et dans son espace d'influence. C'était durant la crise de la guerre d'Algérie et avec le rappel de De Gaulle au service que fût adoptée cette Constitution. Elle n'est pas liée au nom de ce dernier mais elle est associée à l'avènement de la 5ème République. Elle a, par ailleurs, survécu jusqu'à aujourd'hui à 8 présidents de la république sans qu'elle soit caduque. Chez nous, nous sommes à 4 Constitutions et à 5 si on compte la virtuelle d'Abdelaziz Bouteflika mais nous nous sommes stagnés à une première république. Les plus sceptiques disent qu'il faudrait la création d'une 1ère république pour vouloir passer à la seconde. En une seule république, chaque président élu a laissé sa signature à travers sa Constitution contrairement aux exemples cités où les Constitutions sont presque pérennes.

Par contre, dans les pays démocratiques, on a vu des lois et des décrets porter les sceaux des noms de ministres qui ont proposé des lois et les voir adoptées comme les lois Malraux, Pasqua, Ferry, Hamon, Veil, Auroux ou Taubira,...en France mais jamais la Constitution qui doit être la semence de tout un peuple. Les mêmes dénominations doivent certainement être les cas dans les autres pays occidentaux. Comme en sciences avec les lois d'Ohm, Joule, Bohr, Planck, Ampère, Leibnitz ou Lavoisier. Elles sont indélébiles car elles sont marquées par la réflexion, l'abnégation et la recherche. Je souhaiterai qu'un jour, dans un gouvernement algérien, un ministre puisse venir avec un programme et les mains pleines d'idées et non vides comme on l'est actuellement et où, une fois installé, c'est l'improvisation et le bricolage qui font la loi. Si nous revenons à la crise qui secoue notre pays et où on veut aller le plus tôt possible à des élections présidentielles. Certes, il faut fermer cette parenthèse mais pas précipitamment sinon on risquerait aussi de revenir au point zéro. Rien ne sert de courir, il faut partir à point comme le dit si bien l'adage.

De ma modeste petite expérience d'ancien coordinateur d'une section syndicale à l'université, 40 jours me sont toujours parus insuffisants pour l'organisation d'élections fiables de délégués syndicaux pour une liste électorale de 200 à 500 enseignants. Alors consacrer moins que cette durée pour l'organisation d'élections présidentielles me paraît comme un suicide électoral qui ne peut mener le pays que vers une autre catastrophe surtout avec des noms insignifiants sur la scène politique et refoulés par le peuple et dans une atmosphère explosive et par dessus le marché, il faut certainement s'attendre à un boycott massif.

Ce n'est pas avec de telles solutions qu'on puisse sortir le pays de la crise. On entend ici et là que c'est dangereux de s'égarer de la Constitution comme si c'est la première qu'on fait cette exception. Boumediene n'avait-il pas gouverné le pays sans Constitution de 1965 à 1976 et sans institutions sans que cela ait posé de problèmes en son temps pour le pays ? Et puis pour ceux qui veulent être dans l'esprit de la Constitution, il y a ces fameux articles 7 et 8 qui protègent la Constitution dont le Hirak les revendique depuis le début mais en vain.

On a lu ici et là que les décideurs ont la crainte de voir les pays occidentaux nous tomber dessus si jamais on mettrait entre parenthèses la Constitution, qui faut-il le rappeler a été moult fois piétinée sans que cela puisse émouvoir les sceptiques d'aujourd'hui. Ces puissances ne peuvent intervenir dans notre pays que s'il y aura des forces occultes internes qui le demandent et il faut qu'elles soient majoritaires et qui à mon avis n'existent que dans leurs imaginaires. Le Hirak saura prendre en charge cette éventualité qui hante les têtes de gens qui ont horreur du changement et qui ont la crainte de perdre de leurs présents privilèges en mettant leurs occultes intérêts devant les intérêts suprêmes de la nation. Les décideurs actuels trouveront alors ressources et appuis auprès de ce peuple pour la défense de ses acquis avec force et détermination et des marches plus que gigantesques qui résonneront à travers le monde. Aucun ennemi ne pourra s'intercaler entre le peuple et son armée. L'Algérie ne pourra que mieux se comporter pour entrevoir et construire un avenir des plus radieux.

Enfin, on espère que le Hirak du Peuple débouchera sur une nouvelle république avec l'adoption d'une Constitution digne de l'Algérie et de ses enfants qui aspirent à ce que leur pays joue un rôle de locomotive en Afrique et dans le monde arabe et d'être un partenaire respecté qui traite d'égal à égal avec les pays du Nord et d'ailleurs et de disposer d'institutions fortes, solides et durables qui survivent aux hommes et qui subsisteront au temps et aux crises.