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L'Etat et le souci de l'organisation des élections présidentielles

par Bouriche Riadh *

L'Algérie connait depuis déjà trois mois un mouvement populaire pacifique sans précédent. Elle est en train de vivre une crise politique du fait de la mauvaise lecture de la scène politique de la part des pouvoirs publics qui ont provoqué le peuple par l'annonce de la candidature de l'ancien président au cinquième mandat, de la démission de ce dernier en laissant une situation politique chaotique, du report des élections présidentielles périodiques, de la tentative du chef d'Etat pour l'organisation d'un débat national échoué, de la situation floue des élections présidentielles du 04 juillet..., tout cela dans une situation de non-débat politique.

En tout cas, exercer par le passé un mandat prolongé de vingt ans en toute exagération et prendre parfois des décisions comme la réforme de la constitution et le prolongement des mandats présidentiels qui n'avaient, constitutionnellement, aucune validité légale, a fait rentrer le pays aujourd'hui dans une situation émouvante. L'ancien pouvoir, par cette démarche, a accompli un acte d'anti-Etat, car il a renié son serment solennel de respecter la constitution et notamment les deux mandats qu'il fallait réaliser sans en rajouter.

En effet, le parlement, de son côté aussi en 2008, est responsable de cette situation politique d'aujourd'hui car tout simplement, à travers la réforme de la constitution de l'époque qui limitait les mandats à deux cycles, ce parlement par son éloge et sa loyauté au président et par sa transgression de la constitution en prolongeant les mandats présidentiels allait faire rentrer le pays sur le long terme dans la situation qu'il connait aujourd'hui. L'histoire des faits politiques n'accepterait pas de justifications qui pourraient effacer cette infidélité constitutionnelle.

Montesquieu écrit déjà dans son ouvrage intitulé « Pensées » qu'« il faut changer de maximes d'État tous les vingt ans, parce que le monde change ». Dans ce sens, le mouvement populaire a permis de mettre fin à ces quatre mandats-illimités, considérés comme chose contraire à tous les dogmes politiques qui croient tout simplement à l'idée de l'alternance du pouvoir politique. Ce dernier est un enjeu sur lequel se concentrent généralement les antagonismes sociaux car il permet à la personne qui le détient de coordonner le fonctionnement de la société. Mais en Algérie, il s'agit en général d'un type de pouvoir abusif qu'une personne ou un groupe de personnes exerce dans la société. Ce pouvoir politique a été utilisé de façon parfois nuisible ou insensée. Ceci se produit le plus souvent, quand trop de pouvoir est concentré dans trop peu de mains, sans assez de place pour le débat politique ou l'opposition politique. Montesquieu affirmait que sans suivre un principe permettant de contenir et d'équilibrer le pouvoir législatif, les pouvoirs exécutif et judiciaire, il n'y a plus aucune liberté, ni aucune protection contre l'abus de pouvoir. Le pouvoir politique doit donc s'attacher à faire évoluer la démocratie, le respect de la constitution, l'alternance au pouvoir et l'écoute aux citoyens car il viendrait un jour où ce pouvoir s'en ira et il ne restera que l'histoire pour témoigner de ses actions. A présent, le pouvoir politique en relation avec la raison politique est supposé être autorégulateur de la société et non le contraire.

Il s'agit de dire qu'après toutes ces dernières années d'exercice d'un tel pouvoir, la solution politique attendue ou le salut politique d'aujourd'hui est dans l'alternance au pouvoir avec l'organisation transparente des élections présidentielles assurées par un gouvernement neutre et une commission électorale indépendante, sans les personnalités politiques du régime précédent.

Dans le même sens, la crédibilité de la période de transition censée être responsable de l'organisation de ces élections présidentielles, est plus que fragile car tout ce qui sera conçu dans une période non-constitutionnelle ne fera jamais l'unanimité et ne sera jamais accepté par tout le monde. Il ne faudrait pas être en dehors de la constitution pour s'engager à faire mieux : selon la constitution algérienne, s'il y a par exemple annulation et report des prochaines élections par le conseil constitutionnel, le chef d'Etat actuel a jusqu'au début du mois de juillet, c'est-à-dire jusqu'à la fin de ses quatre-vingt-dix jours, pour agir constitutionnellement et proposer un autre agenda d'organisation de ces élections présidentielles car après cette date il n'est plus constitutionnel et en même temps il est le seul habilité à faire appel au corps électoral.

Autrement dit, en dehors de cette date et selon la constitution, le chef d'Etat intérimaire ne sera plus apte et légitime à gérer les affaires politiques de l'Etat car il n'y a pas d'article qui évoque la possibilité de sa prolongation, même pas l'article 103 qui ne correspond pas à la situation actuelle malgré qu'il soit cité ici et là comme issue à la situation de l'éventuel report des prochaines élections présidentielles. En effet, l'article 103 évoque seulement que « lorsqu'une candidature à l'élection présidentielle a été validée par le Conseil constitutionnel, son retrait ne peut intervenir qu'en cas d'empêchement grave dûment constaté par le Conseil constitutionnel ou de décès du candidat concerné. Lorsque l'un des deux candidats retenus pour le deuxième tour se retire, l'opération électorale se poursuit sans prendre en compte ce retrait. En cas de décès ou d'empêchement légal de l'un des deux candidats au deuxième tour, le Conseil constitutionnel déclare qu'il doit être procédé de nouveau à l'ensemble des opérations électorales. Il proroge, dans ce cas, les délais d'organisation de nouvelles élections pour une durée maximale de soixante (60) jours. Lors de l'application des dispositions du présent article, le Président de la République en exercice ou celui qui assume la fonction du Chef de l'Etat demeure en fonction jusqu'à la prestation de serment du Président de la République... ». Mais juridiquement on n'est pas dans cette approche ou cette situation de deuxième tour d'élection pour pouvoir évoquer l'éventuelle prorogation des délais d'organisation de nouvelles élections pour une durée maximale de soixante jours avec la demeure du Chef de l'Etat. Donc, il reste à peu près un mois au chef d'Etat actuel pour concrétiser des solutions politiques dans le cadre constitutionnel.

La même remarque peut être faite pour ceux qui sont en train de revendiquer une transition avec la mise en place d'un haut comité d'Etat qui assurerait l'organisation des élections ; la question que l'on peut se poser ici est celle de la difficulté de son installation d'une manière politico-constitutionnelle ? En effet, il s'agit d'essayer d'éviter tous les chemins incertains pour atteindre cet objectif d'organisation d'élections présidentielles. Dans le cadre des visions politiques prospectives et en prenant en réflexion la variable des demandes du mouvement populaire, le scénario plausible pourrait tourner autour de la négociation avec les autorités pour un changement des personnes décriées d'une manière constitutionnelle. Il s'agit de dire qu'il serait difficile d'organiser des élections avec les responsables décriés, alors que le mouvement refuse toute élection sans un encadrement par des personnalités indépendantes et crédibles. Mais là, le pouvoir en place ne fait que faire perdurer la crise s'il n'entend pas les cris du mouvement populaire pacifique. Il s'agit de prendre en considération qu'il ne peut pas y avoir d'élection sans classe politique, sans candidats potentiels et aussi sans électeurs.

Ainsi, il est important, selon les slogans brandis par ce mouvement, de mettre en place des personnalités neutres et crédibles à la tête des trois institutions décriées pour organiser des élections libres, transparentes et ayant la confiance du peuple, avec l'installation d'une commission électorale indépendante et compétente.

Aujourd'hui, cette phase de transition est considérée comme nécessaire pour résoudre la crise politique. Il s'agit d'opter pour des solutions afin d'éviter toute complication possible de la crise que traverse l'Algérie. Cette dernière nécessite une initiative politico-constitutionnelle pour répondre aux revendications du mouvement populaire car l'application de l'article 102 de la constitution a produit un pouvoir avec des personnes décriées. Comment faire alors pour éviter cette situation où d'un côté le pouvoir, et de l'autre le mouvement populaire campent sur leurs positions ? L'issue à la crise pourrait être réalisée à partir d'une solution politique provenant de la constitution elle-même. Le but est donc de rechercher des solutions politiques avec un masque constitutionnel.

Par ailleurs, la première des vertus est le dévouement à la patrie afin d'éviter toute nuisance à sa stabilité. Le pouvoir en place doit savoir que la démocratie se fabrique par le peuple : cela est traduit par la deuxième phrase de l'article 7 de la constitution qui évoque que « la souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple ». Il s'agit de prêter attention à l'idée selon laquelle les élections libres et transparentes organisées par une partie crédible sont les seuls leviers pour atteindre un consensus nouveau qui rallie l'ensemble de la société.

L'attachement à la constitution et à la tenue d'élections présidentielles est une chose primordiale à condition que les garants de la transition et de ces élections ne soient pas du sérail politique actuel qui a définitivement perdu sa crédibilité auprès du mouvement populaire, faute de quoi les élections seraient à chaque fois vouées aux difficultés.

On constate bien selon la situation, après avoir terminé l'opération de dépôts de dossiers de candidatures pour l'élection présidentielle, que le mouvement populaire et la classe politique ne souhaitent pas d'élection avec les mêmes personnes qui appartiennent au cercle de l'ancien président de la république.

Selon les perspectives et l'analyse de la situation, il faut dire qu'il est possible, avec du « brainstorming constitutionnelle », d'avoir plusieurs scénarios de sortie de crise, parmi lesquels le scénario du remplacement des trois personnalités à la tête de la présidence du Conseil constitutionnel, de la chefferie de l'Etat et la chefferie du gouvernement, et de conduire une transition pour une période bien déterminée, avec l'élection d'un président de la république bénéficiant de la confiance de tout le monde, et ce afin de garantir aussi la satisfaction des aspirations populaires. A travers un débat politique préliminaire qui devra faire participer au côté du chef de l'Etat actuel, la classe politique et les représentants du mouvement populaire, l'ensemble des participants au débat devront se mettre d'accord sur la proposition de trois personnalités indépendantes X, Y et Z qui devraient être placées dans un premier temps, respectivement à la présidence du Conseil constitutionnel, à sa vice-présidence et à la tête du gouvernement.

En effet, si l'on reprend l'article 183 de la constitution, qui évoque que « le Conseil constitutionnel est composé de douze membres : quatre désignés par le Président de la République dont le Président et le vice-président du Conseil, deux élus par l'Assemblée Populaire Nationale, deux élus par le Conseil de la Nation, deux élus par la Cour suprême et deux élus par le Conseil d'Etat », le chef de l'Etat, après débat, pourrait désigner deux personnalités indépendantes X et Y qui bénéficient de l'approbation et les nommer respectivement Président et vice-président du Conseil constitutionnel. Après cela, le chef d'Etat actuel devra procéder à l'acceptation de la démission du gouvernement puis à son changement avec à sa tête la personnalité Z.

Le chef d'Etat devra alors démissionner à la fin de la période de quatre-vingt-dix jours. La personnalité X prendrait ensuite la place du chef de l'Etat et la personnalité Y prendrait alors la place de président du Conseil constitutionnel. Ces trois personnalités X, Y et Z auront enfin seulement la responsabilité d'organiser la conduite des élections présidentielles libres et transparentes, dont les résultats seraient acceptés par l'ensemble de la population. Le nouveau chef de l'Etat, à savoir la personnalité X, sera chargé de la mise en place d'une commission électorale indépendante et compétente pour l'encadrement, le contrôle, l'organisation et l'annonce des résultats du vote. Enfin, le président de la république élu sera chargé des différents chantiers prévus, notamment de la réforme de la constitution et l'édification du pays...

Mais pour assurer la réussite d'un tel scénario, les décideurs en place en Algérie doivent avant tout comprendre que la perspective de l'organisation d'élections avec les personnalités actuellement au pouvoir n'est absolument pas possible, notamment si l'on croit l'article 7 de la constitution qui stipule que le peuple est la source de tout pouvoir... Finalement, comme l'évoque Philippe Braud, dans l'un de ses écrits sur l'Etat, la société est moins aisément gouvernable si l'autorité politique se trouve affaiblie à travers une éventuelle crise de confiance des gouvernés dans leurs institutions, c'est-à-dire qu'il faut éviter à l'Etat de tomber dans la « délégitimité », suite par exemple à une perte de confiance des gouvernés dans leur président élu. Plus encore, une élection présidentielle démocratique peut diffuser des représentations associant fortement l'Etat à l'intérêt général de la collectivité.

* Professeur-Docteur en sciences politiques ; Docteur en droit ; Diplômé de troisième cycle en sciences économiques