Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le drôle de confinement

par El Yazid Dib

Un mauvais confinement ou l'une de ses moitiés ne fait qu'accroître le mal que nous pensons combattre. Ce confinement n'a pas à être drôle, il a un rôle.

On ne joue pas avec la santé. Toutes les mesures décrétées doivent être scrupuleusement exécutées. Le masque est comme une ceinture de sécurité, un geste qui sauve la vie. C'est dans la banalité parfois d'un acte que l'on découvre tous ses bienfaits. L'observation stricte des dites mesures n'a pas à faire de l'exception ni accuser un quelconque écart. La loi doit montrer toute sa puissance publique. C'est une affaire de sécurité nationale. Mais voilà que des gens de part et d'autre, tant de l'administration chargée de la gestion du confinement que de ceux à qui s'adresse le confinement ; ne prennent pas au sérieux la chose et se mettent sous le coup d'une fatalité. Il ne peut y avoir d'éclaircies que si tout le monde se plie aux injonctions du comité scientifique, voire de la réglementation prescrite en la matière.

C'est un drôle de confinement que nous vivons. Tout est enchevêtré dans une cacophonie impossible à découdre. En fait chacun crie à l'inconscience de l'autre au même moment où cet autre s'abat à son tour sur tous les autres. Personne ne se sent concerné, c'est comme se dire intimement que ce n'est pas moi, c'est celui-là. A l'heure sensée être impériale, 17 heures, où le confinement au sens plein et corporel de son expression juridique doit être observé, il existe toujours des « gens » qui flânent encore dehors. Des motos qui défient le silence qui s'apprête à s'installer. Des regroupements d'individus qui s'accumulent aux coins, aux abords, aux carrefours des rues et des boulevards. Des voitures, on reviendra ci-dessous

La loi est ainsi bafouée. Son tord c'est de n'avoir pas codifié au moindre détail le contexte du confinement, du port de la bavette, des règles de distanciation et autres gestes dits barrières. Quelle définition expresse donne la loi au confinement ? Interdiction relative de mettre son nez dehors ? Rester physiquement et entièrement à l'intérieur de chez soi, derrière sa porte ou prendre son tabouret et se mettre en face ou au seuil de chez soi, à l'entrée d'une cage d'escalier, devant son garage, au sein du jardin public qui fait face, sur les marches d'une agence postale ou celles d'une annexe de mairie ? Dans ce cadre là, confinement et couvre-feu ont presque la même connotation, sinon le même objectif. Défense de circuler sur la voie publique. Dehors, tout simplement. Le virus vit caché, sans apparence, il ne dort pas, il ne connait pas l'horloge pour pouvoir se répandre au gré des invitations qu'on lui adresse par l'insouciance et la non-application de recommandations vitales.

Pour l'obligation du port du masque, il existe plusieurs flottements. S'il est stipulé expressément que son port est obligatoire dans les espaces publics clos ou ouverts, les marchés, les magasins et même sur la voie publique ; par déduction et raison sanitaire, perdrait-il son caractère obligatoire si l'on se trouvait seul dans sa voiture, sur son balcon, en rase campagne ou en plein désert ? Ca se comprendrait si à bord de la voiture, n'étant pas un espace public ; se trouvaient plusieurs personnes. Encore et s'il s'agissait d'une seule et même famille ? Un Etat fort est celui qui n'interdit pas ou pas trop, mais réglemente, ai-je tout le temps appris. C'est vrai que nous manquons de cette culture du masque. Elle n'est pas incrustée dans nos mœurs et on ne l'avait jamais prise pour habitude. Cependant le chèche et le litham dans certaines zones notamment du sud sont des instruments protecteurs exigés par les aléas climatiques ou autres. A voir ainsi des responsables en réunion, des intervenants de studios le laisser se suspendre à leur menton, c'est se questionner sur cette position. Sommes-nous à l'égard de cette caricature dans une partie d'exhibition, une leçon de moralité ou une simple mimique en finalité inefficace ? Et c'est là où doit intervenir l'instauration des conditions et modalités de son port. La communication institutionnelle et citoyenne est appelée à plus d'information, plus de vulgarisation. Le port du masque est un service public. Comme le port du voile où selon des écoles, il doit devenir un sacerdoce religieux. Il a ses rites, ses moments et ses dispenses

Ainsi l'on voit nos gouverneurs insuffisamment agir ou manquant de précisions à la production du Droit. De surcroit s'il concerne les libertés individuelles et collectives ou encore la pratique commerciale. Pour ce qui est de la distanciation sociale ; rien ne vient la délimiter matériellement. Les fêtes et tous les rassemblements festifs, sportifs, culturels, associatifs ou religieux et rituels sont frappés d'interdiction. Alors que l'on voit des partis tenir des congrès, des ministres s'entourer de marchands et de badauds, des walis faire de grands déjeuners à des étudiants universitaires dont l'université est scellée de fermeture. Inconscience ou hilarité ? L'on se la joue à la popularité alors que l'effet inverse est opiniâtrement obtenu. Des walis qui distribuent dans la rue des masques sans nulle approche stérilisante, pour une minute de camera ne peuvent avoir le souci managérial de traiter ces affaires avec modestie et méthodologie. La pandémie n'est pas inscrite dans le programme du président ni encore la procédure de sa lutte, alors il n'y a rien à craindre. Le profil du grand responsable, du grand commis de l'Etat c'est d'agir dans l'efficacité et sans cornemuse. Il n'a à plaire à personne, sauf à la paix de sa conscience et à son intime conviction quant à la satisfaction de la mission accomplie sans zèle ni fanfaronnade.

Le confinement est aussi l'interdiction pour tout engin roulant de circuler durant la plage horaire du couvre-feu. Des exceptions évidement existent. Elles sont naturellement identifiées de par la nature professionnelle et du métier exercé. Des laissez-passer sont remis à certains qui trouvent ainsi toute l'attitude de déambuler tous azimuts. Le droit en ce cas là, ordonne que l'autorisation soit strictement personnelle. Elle produit ses effets juridiques en faveur uniquement de son titulaire. L'on imagine mal voir quatre jeunes ou moins se pavaner à bord si c'est comme la vie fonctionnait à la normale. Peu de contrôle et moins de coercition auraient rendu aisé l'idée de transgresser la règle. J'ai cru lire quelque part que même les avocats ont droit de circuler à toute heure, sans autorisation juste en exhibant une carte professionnelle. Là, le ridicule frise le ridicule. Y aurait-il des prétoires, tribunaux, prisons d'ouverts après 17 heures ?

Voyons le confinement édicté spécialement pour les deux journées de l'aïd. Ni voiture, ni moto. Seuls les corps peuvent rôder, se pavaner. On avait constaté moins de monde et plus de sécurité sanitaire. Car chacun se trouvait auprès de chez lui. Dans sa géographie résidentielle. Cela avait démontré que c'était le moyen de transport qui faisait agglutiner les gens autour des souks et des marchés, dans les villes et les bourgades. A défaut de véhicules, tous ces rassemblements se verront drastiquement rétrécir. La ville était livrée à elle-même. Pas de flux massif, ni de transbordement d'une contrée à une autre. Chacun avait évolué dans le périmètre que lui permettait sa force motrice naturelle. L'on ne peut venir à pied d'une commune à une autre ou d'une cité vers une autre sans locomotion. L'on aura à se contenter à faire ses emplettes chez soi, aux alentours de sa demeure. Maintenant que toutes les cités sont pourvues de magasins et de locaux commerciaux multi-activités essayons alors d'étendre cette interdiction au moins durant les journées du jeudi, vendredi et samedi et analysons ensuite le résultat.

Sans conteste, cette disposition si elle venait à être prise aurait à fixer les citoyens sur leurs territoires et ne manquerait pas à l'évidence de provoquer encore des entorses au sens d'hypothétiques urgences et autres impératifs. Que l'on réglemente au cas par cas selon le temps et l'espace. La France l'aurait fait au début de son confinement par l'instauration d'une déclaration de sortie valable pour un temps, un trajet et un objet souscrite volontairement par le citoyen.

Dernièrement, les commerçants du méga-pôle commercial de « Dubaï » à El Eulma avaient marqué un sit-in en levant des revendications toutefois semi-légitimes tendant à la levée de l'interdiction frappant l'exercice de leur négoce dont l'arrêt leur était tel un arrêt de pré-faillite. Qu'il en soit ainsi. Sans des personnes venant d'ailleurs, parfois de loin ce marché serait vide. Sans clientèle l'on jouera au solitaire. Autorisons donc la réouverture des locaux et interdisons la mobilité des véhicules. Il n'y a qu'un Algérien diriez-vous qui pense de la sorte, vous m'en voyez désolé. Ce n'est pas du machiavélisme, c'est juste une réaction pragmatique à une situation qui le recommande.

Alors, nous nous trouvons dans l'ensemble et aléatoirement face à un drôle de confinement que nous semblons pourtant habiter. Que nous croyons pratiquer. Il est là certes sur document, dans les interstices des décrets et règlements, il sera inscrit dans les annales de l'histoire de notre vie quotidienne mais en fait, en vrai, en pure réalité nous sommes loin d'avoir été carrément et bien confinés. A quelques différences selon les régions, les mentalités et la prédisposition à la prise de conscience collective, il tend à s'exprimer non pas en un devoir réglementaire peu importent les sanctions en bout de transgression mais beaucoup plus à une attitude de civilité, un comportement éducationnel, un sens aigu de responsabilité Ça me réjouis de voir du respect au confinement à Alger au moment où ça me frustre de le voir malmené ailleurs. Sétif reste hélas un cas à déplorer. Que faire ? Dans cette ville ; seuls les réseaux sociaux et certains militants de la cause sanitaire et humanitaire non-élus de surcroit- sont alertes à donner toute information. L'administration n'agit pas en proximité. La mairie, le grand non-concerné. Cette mairie paralytique à tout titre et qui n'attend que sa dissolution, aurait à mettre à profit ce temps de confinement pour initier, encadrer et soutenir comme ultime baroud d'honneur, des actions de volontariat tendant à agrémenter les cités ,les quartiers de la ville qui croule sous l'irresponsabilité communale. Alors les députés et autres ; ce sont les longues vacances parlementaires in-vitro. Si ce n'est l'ardeur d'une petite entreprise de wilaya - ECOSET- en charge de l'écologie et de l'environnement avec en plus des charges de traitement et d?enfouissement technique. Aucune opération de mobilisation des transmetteurs d'avis, des faiseurs d'opinions, des ayants pignons sur la foule, n'ait été à ma connaissance mise en œuvre. On a vu -sur facebook- quelques scouts, quelques gilets associatifs interagir...mais l'aboutissement est là tenace comme une preuve irréfutable.

Le virus gagne du terrain. La sensibilisation à ce stade de dangerosité n'est plus l'apanage de facebook ou d'une page personnelle ou d'un site virtuel ou encore d'une radio locale audible que pour le sport. Elle devient une affaire d'Etat, d'ordre public. Comme il y va de la vie d'êtres humains, le porte-à-porte, l'adressage personnalisé, le contact rapproché et bien d'autres modes de sensibilisation directs voire d'alarme sont à mettre à exécution. Sensibiliser et sévir, aviser et châtier, le credo saint d'une république qui donne l'empreinte du respect et de la légalité.

Au bonheur de tous ; l'espoir est en voie de se faire distinguer. Les courbes sont favorables. Moins de contaminés, de décès et plus de rétablis. Le danger est cependant encore de mise. Une pandémie ne s'arrête pas d'elle-même. Seule la rupture de tout lien de transmission est capable de freiner sa progression et c'est le moindre savoir que tout un chacun doit en être absolument convaincu.

Voilà, avec tout ce que l'on vit comme perte d'êtres chers, d'inquiétude, d'incertitude et de panique de par ce mal viral différemment cerné, n'est-il pas urgemment propice de repenser toute la santé du pays? Plus qu'une énième et rébarbative réforme hospitalière, l'on est en devoir de recréer fondamentalement un nouveau monde sanitaire. La prévention a tout pour se hisser tel un appel à la prière, haut et fort, comme des ablutions purificatrices avant l'office. Davantage d'investissement dans la recherche, recadrage des privilèges et des priorités, compter-sur-soi et ses aptitudes nationales demeurent plus importants que la reconfiguration du paysage politique.