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La carte de journaliste : inutile ? nécessaire !

par Belkacem Ahcene-Djaballah*

La condamnation de Khaled Drareni a suscité moult interrogations, réactions et/ou protestations... ce qui a (re-)posé, indirectement, le problème de la carte nationale du journaliste professionnel... et, par contrecoup, toute la problématique du journalisme, son existence et sa pratique... dans notre pays (comme, d'ailleurs, dans d'autres pays, n'acceptant ou ne comprenant pas le « pouvoir » de la presse... d'autant que l'émergence brutale et anarchique, dans le champ de la communication, des réseaux sociaux et de l'information électronique a compliqué la réflexion, les « pinceaux s'étant mélangés »).

Un débat avec lequel on pensait en avoir fini depuis bien longtemps, mais qui renaît de feux - allumés par qui et pourquoi ? - toujours  mal éteints.

Le journalisme ? Parlons-en !

Le journalisme est devenu, de nos jours, un véritable métier. En ce sens qu'il nécessite, pour qu'il soit exercé avec professionnalisme, du savoir (académique... mais aussi sociétal, le politique et l'économique y compris) et un savoir-faire lesquels, déjà depuis plus de quatre décennies, chez nous et plus d'un siècle ailleurs, sont enseignés au sein d'universités et de d'écoles (publiques ou privées). Ne pas le reconnaître, c'est, quels que soient les niveaux des enseignements et des enseignants, « descendre en flammes » tout un pan de notre Enseignement supérieur.

Il n'y pas que l'enseignement spécialisé...il y a , aussi, pour tous les autres sortants de l'Université, la possibilité d'acquisition du savoir-faire « sur le tas » grâce aux encadrements in situ durant des périodes allant de 6 mois à deux années ou bien moins selon les vocations et les talents . C'est ce qui se faisait. C'est ce qui devrait se faire. Au sein des entreprises de presse sérieuses qui emploient encore des « anciens » acceptant d'encadrer ou de parrainer les nouveaux, cela s'entend ! De plus, Il y a, depuis 2010/2011, une formation post -universitaire, ouverte sur concours à tous les sortants de l'Université (licenciés et diplômés divers, ingénieurs, médecins, vétérinaires...), par le biais de masters spécialisés en journalisme de deux années au sein, entre autres à l'Ensjsi d'Alger /Ben Aknoun. Et, certains peuvent même aller jusqu'au Doctorat en sciences de l'information. C'est dire que les Sciences de l'information et du journalisme avancent...avancent. Et que le journalisme de « papa » est bel et bien dépassé.

-Le savoir-faire consiste d'abord à apprendre les techniques rédactionnelles de base et à comprendre les multiples manières (les genres) de pratiquer le journalisme. Des genres qui vont du plus simple au plus compliqué et dont l'exercice habile s'acquiert petitement mais sûrement au fil du temps et de l'expérience.

-Le savoir-faire consiste ensuite à s'imprégner des règles d'éthique et de déontologie (ce que tout métier ou fonction durable, en phase avec la société et qui se respecte demande (la politique et la justice et la sécurité... y compris)... générales et des règles communes au métier en particulier... A travers le monde démocratique... Cela s'entend ! Bref, de l'information complète et exacte.....les faits étant distincts des commentaires et ce afin que le « consommateur » ne soit pas induit en erreur et puisse se faire sa propre opinion.

Le journaliste ? Ni juge, ni proc', ni gendarme, ni policier, ni espion , ni moralisateur. Seulement et simplement, selon un bon mot de M.Lacheraf, un «veilleur à la haute tour», un observateur social.....et, pourquoi pas, dans un pays en «révolution ou réforme» un «lanceur d'alerte».

-Le savoir -faire consiste , enfin, à comprendre les missions incontournables et sacrées attendues par la société (celles de l'entreprise sont à accepter ou à refuser...tout en sachant des deux côtés il y a un minimum non négociable) : informer, cultiver (l'éducation est le fait de la famille et de l'école), distraire (pourquoi pas ?)

Tout ça , c'est bien beau mais , hélas, la presse est devenue , chez nous comme ailleurs, ailleurs bien plus que chez nous, une affaire commerciale basée sur la vente des exemplaires (ou sur l'audience ou sur l'audimat et aujourd'hui sur le « clic » ) et sur l'apport publicitaire. D'où une bataille assez rude s'appuyant sur la rapidité (souvent sans recoupement ni contrôle de la véracité) et sur une économie des coûts de production sacrifiant l'élément humain de qualité au profit de « rapporteurs » sans savoir ni savoir-faire. Ajoutez-y plusieurs décennies d'abandon du secteur livré à lui-même - avec une Administration qui cumule les « faux départs » et les « abandons » ou des « changements de couloir » en plein course (on se souvient de la loi d'avril 90 « étouffée » laissant place à un « trou noir » non encore (bien) comblé ; on se souvient de la loi Rahabi sur la publicité adoptée par l'APN mais rejetée, sans explications par le Conseil de la nation....et on a le cas récent de l'opération de délivrance de la carte professionnelle suspendue parce qu'on avait découvert on ne sait quelles « magouilles » - et aux « affairistes », aux « experts » et consultants de tous poils, un secteur brutalement laminé par l'apparition « sauvage » (mais « encouragée » par ?????) de télévisions « privées » off-shore....puis, pour corser le tout, une explosion numérique....qui , sous-estimée au départ, s'est développée et continue de l'être en dehors de toute réglementation ou organisation.

Un paysage médiatique « ouvert à tous vents », en retard de presque trente ans (alors qu'en 90, il s'était trouvé en avance de presque cinquante par rapport aux pays « frères et amis » du Maghreb et d'Afrique.....qui venaient alors se « documenter chez nous » ).

Le journalisme ? Donc, un métier.....à risques, et c'est là un autre problème tout aussi grave. Pour information, l'espérance de vie du journaliste algérien ne dépasse pas la soixantaine sinon bien moins (49 ans en 2006, 57 en 2008 et 60 en 2012).....et de 1974 à 2001, 127 journalistes ont connu une mort violente dont 110 ont été assassinés durant la décennie rouge....sans compter des arrestations et des emprisonnements..... Mohamed Benchicou en a payé le prix fort à cause d'une « accusation » bidon ! Un métier avec ses travailleurs ayant des devoirs mais aussi des droits (en plus du droit d'accéder à l'information sans entraves, sauf celle réglementée..... avec précision ). Encore que pour avoir (plutôt les récupérer !) ces droits, faut-il avoir un contrat en bonne et due forme (quel que soit le niveau d'intervention, permanent ou indépendant -free lance - ou «pigiste»), être déclaré et inscrit à la Sécurité sociale, percevoir un salaire décent et régulier, etc....

Et, comme tout métier, il y a un minimum d'organisation....pour faire le tri entre le bon grain et l'ivraie, car l'ivraie, il y en a de plus en plus......la dernière opération de délivrance de la carte l'ayant montré ....et je me souviens , ayant dirigé , au sein du Csi (avec Abdenour Dzanouni et Khelifa Benkara) l'opération de délivrance de la carte (1991-1992), de menaces (verbales puis physiques) venant alors de pseudo-journalistes « travaillant » dans les journaux affiliés au Fis-dissous.....mais ne présentant aucun contrat de travail réglementaire (note :1467 cartes délivrées pour un total de 1500 à 1600 journalistes professionnels et assimilés).

De l'organisation, un ou des textes (celui existant pouvant servir de base ,mais à revoir......en fonction de la nouvelle donne politique ) ....et leur application rapide et rigoureuse par une Commission paritaire journalistes (élus) -employeurs (élus) -administration (cette dernière pour le seul soutien technique )....afin de délivrer une carte d'identité professionnelle nationale de journaliste.....et pourquoi pas de veiller au respect des règles de l'éthique et de la déontologie professionnelle.

Il va de soi que la carte de journaliste professionnel devra faciliter et , pourquoi pas favoriser -sans trop d' « entraves » et autres « avis (dé)favorables » venant de « qui vous savez » - comme cela se pratique dans certains pays , les accréditations de nationaux en tant que correspondants permanents d'organes de presse étrangers .

*Ancien professeur associé à l'Université, journaliste indépendant.