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J'accuse

par Chaïb Aïssa-Khaled*

J'accuse tous ceux qui, détenant un semblant d'autorité ou même l'autorité, considèrent que le pouvoir relève toujours de leurs caprices.

J'accuse tous ceux qui, en mégalomanes profondément atteints, persistent à faire en sorte qu'une autorisation, la délivrance d'une pièce d'état civil, une facilité administrative, un contrat d'étude, l'accès à un bien, dépendent toujours de leur bon vouloir.

J'accuse tous ceux qui enrôlés dans l'administration font dans l'administratisme asséchant et dans le bureaucratisme de bas rang pour empoisonner le quotidien du citoyen et le pousser soit à la résignation, soit à la révolte.

J'accuse tous ceux dont le projet est de plonger l'Algérie dans la tourmente et qui s'évertuent encore et toujours à y croire. Leur souci est de satisfaire leurs instincts primaires quand bien même en la meurtrissant dans la vie et dans la chair de ses enfants, en l'amoindrissant dans sa cohésion sociale, en l'abaissant et en l'affaiblissant dans sa position et dans ses relations internationales.

J'accuse tous ceux qui, inspirés par un charisme «gluant», jouent aujourd'hui encore à dégrader les conditions de vie de larges couches de la population en les ignorant ou en les donnant en pâture aux injures de la débrouillardise si ce n'est à celles du temps en leur imposant des réaménagements administratifs inventés de toutes pièces, ou encore en promouvant de toutes leurs forces les pratiques qui altèrent le sens civique et entretiennent le sentiment d'exclusion et de frustration. Ils font en sorte que le clientélisme et la corruption, les discriminations, les inégalités, la marginalisation, l'exploitation inhumaine et les injustices entraînant des mutations de tous ordres demeurent en tête d'affiche.

J'accuse tous ces pervertis qui ne se sont jamais inscrits dans la confiance mise en eux bien qu'ils aient fait, le 05 juillet 1962, le serment d'identifier, à sa juste valeur, l'importance de la relation qui devrait les lier à leur peuple et à en faire le fer de lance de leur mission. Ils s'étaient évertués, depuis lors, à dissimuler leur propre (le vice et la fraude), voulant faire de l'Algérie un faubourg malfamé du monde, le cancre de la classe. Notons que sous leurs auspices, elle n'a eu de cesse de subir les affres de leurs erreurs et les conséquences amères de celles-ci.

J'accuse tous ceux qui ont érigé la paresse institutionnelle et l'incompétence en mode de gouvernance, favorisant de la sorte l'épanouissement des parvenus de tous bords dont le passe-temps favori était de baigner dans la convoitise et qui, étalant au grand jour le butin de leurs pillages dans une tranquillité aberrante, ne se s'étaient jamais sentis coupables encore moins soupçonnés. Profitant du bénéfice du doute, leur souci était l'enrichissement rapide et par tous les moyens de surcroît.

J'accuse tous ceux qui ont fait en sorte que l'Algérie donnerait l'impression d'un pays qui courait dans tous les sens, d'un pays ulcéré par la clanisation du régime, la partition sauvage, l'assujettissement du le genre humain, l'absence de la pérennité de l'Etat, l'abus d'autorité, l'exclusion, le discours-illusion.

J'accuse tous ceux qui ont fait en sorte que le spectre de l'effondrement de l'Etat prenne forme. Leur folie prédatrice (accaparement des richesses de la collectivité), leurs calculs égoïstes des autres, faisant le jeu des ingérences extérieures, poussaient l'Etat à l'éclatement et la nation vers sa disparition. Par leur faute, des pans entiers des institutions étaient en phase de rupture avec la légalité constitutionnelle à telle enseigne que la sécurité des biens et des personnes leur échappait. Les atteintes à leur égard étaient manifestes. Ces démons de la violence, de la division et de la perversion tous azimuts (corruption, malversation, collusion, gabegie et mensonge) avaient orchestré une tragédie dont seuls les plus humbles acquittaient le tribut.

Sous leurs auspices, le gaspillage et les détournements des moyens de la collectivité y étaient légion. Le travail, l'effort et la rigueur y étaient gravement altérés. Le mérite, en tant qu'investissement, y était relégué à un second ordre. La dépendance de la ressource énergétique y était aliénante. La configuration des relations économiques dans le cadre de la mondialisation, de l'accélération du progrès technologique et de l'intensification de la concurrence entre les nations y était un handicap, un facteur de régression supplémentaire. Le monde du travail souffrant de l'incompétence des managers n'y offrait pas un cadre adéquat à l'initiative, à la création de la richesse, à la prospérité pour tous. (A propos des managers. La plupart d'entre eux, emboîtant le pas à la scélératesse des sous-sociétés perfides en place (politiciens, administrateurs, leurs sous-traitants et leurs ayants droit), ne pouvaient pas faire avec l'omniprésence du futur où il faudra compter avec ses incertitudes et prendre acte de ses enjeux et de ses défis. La précarité des conditions socioprofessionnelles, les mises à la retraite anticipée systématiques (dans un passé récent) et la contractualisation débridée aggravaient le chômage. (Le FMI s'érigeant en tuteur posait le problème du pilotage de la croissance économique, en termes de qualité, entre autres par la promotion de stratégies de développement appropriées et par la réhabilitation du mérite), ce qui faisait lourdement défaut.

J'accuse ces mal venus qui, se targuant de porter l'indépendance économique, le nationalisme sourcilleux, la justice sociale (alors qu'ils n'en étaient que la face hideuse), voulaient donner la société algérienne en pâture à leur bon vouloir et en faire une offrande à l'erreur. Par leur grâce, les valeurs faites de liberté, de dignité et de raison de celle-ci étaient en phase de sombrer dans un passéisme des plus rudimentaires, nourri à la fois par leur discours sectaire et moribond à la fois.

J'accuse cette mafia politico-administrativo-financière aux visées qui ont fait que l'attribution des responsabilités soit personnalisée, népotisée, clanifiée, régionalisée, tribalisée même. Ces travers ont montré que les Algériens et les Algériennes ne pouvaient s'offrir le luxe qu'au bénéfice de la médiocrité.

Je l'accuse aussi parce qu'elle a érigé la boulimie réglementaire en un moyen de tout régenter, d'imposer son autorité, de marquer son territoire. On décrétait «à tout va», sans se préoccuper du suivi et des modalités d'exécution. Tout se compliquait. Les procédures se multipliaient et se juxtaposaient. C'était là un outil de ponction lucratif pour qui détenait un tampon, une signature. Les exigences en matière de pièces et de conditions pour la constitution d'un quelconque dossier administratif prenaient l'allure d'un parcours du combattant. Les responsables et leurs parrains, les décideurs et leurs sous-traitants, avaient fini par croire qu'ils pouvaient tout faire, y compris outrepasser la loi. La population anonyme était livrée à l'autoritarisme le plus humiliant, même celui des petits chefs.

Bref ! J'accuse tous ceux qui, dans l'administration des collectivités locale et de l'Education nationale, invités à des plateaux se confondent dans un verbiage fleuri mais qui jubilent face au spectacle désolant qu'offrent ces écoliers qui font des kilomètres à pied, par monts et par vaux, qu'il vente ou qu'il pleuve, pour se rendre à leurs écoles.

Cela dit et parce qu'elle a décidé de s'extraire de sa léthargie, de ne plus faire de la torpeur un habitacle, de s'autodéterminer pacifiquement et civiquement, de glorifier ses revendications politiques, économiques et sociales avec bravoure et génie et de les faire aboutir, la jeunesse algérienne aspirant planter les jalons d'une Algérie réellement nouvelle, réellement libre et où il fera bon vivre, refusera tout obstacle qui se dressera sur la voie du renouveau national désormais programmé, tout calcul politicien prédateur, tout agissement administratif pernicieux qui inscrira son action dans la réédition de ses méfaits et la re-livrer aux injures du temps et à leurs turpitudes.

Le but est que les institutions de l'Etat n'atteignant pas le niveau escompté de crédibilité continuent à engendrer, comme par le passé, des tensions sociales et des dysfonctionnements dans le mode d'organisation sociale, politique et économique. C'est-à-dire que ceux qui seront appelés à gérer le sort du peuple ne devront pas à se confondre dans cette gouvernance d'entreprise, qu'elle soit politique, économique ou sociale et qui naîtra de cette convergence des efforts que dictent les objectifs vitaux de toute politique qui répond aux vœux profonds de celui-ci, donc conçue et élaborée pour engendrer un pôle d'idées-forces dans le sens duquel devra évoluer l'ascension de la nation, c'est-à-dire dans le sens d'une gouvernance novatrice et adaptée aux besoins des jeunes Algériennes et Algériens qui, usés par la survie et par l'embarquement vers d'autres contrées en empruntant la voie de l'humiliation si ce n'est celle de la mort, aspirent à une vie décente faite de pouvoir d'achat décent, d'éducation et de culture de qualité, d'emplois répondant aux divers profils de formation, de logement, de salaires décents, d'assistance financière, technique et administrative pour engager des projets créateurs de croissance, de voyages, de loisirs. Il s'agit, tout compte fait, d'une gouvernance qui ne frustrera pas leurs ambitions, qui ne laminera pas leurs aspirations, qui ne grossira pas leurs besoins, qui n'affûtera pas ces contraintes qui les ont, sans trêve, « cisaillés ».

Il s'agit donc, pour ces androïdes, de dévaloriser les valeurs civiques, d'attenter aux fondements du pacte national et de briser, par conséquent et coûte que coûte, l'élan du développement économique engagé en sapant l'investissement productif pour qu'ils puissent continuer à faire dans l'import/import mené sans discernement et aggravant la dépendance de « l'autre », cela ne les inquiète pas outre mesure. Il s'agit pour eux de dissiper le potentiel de croissance nationale et de laminer les capacités managériales des Algériennes et des Algériens. Les moyens à mettre en œuvre, à cet effet, sont le soutien intransigeant à la prolifération des activités parasitaires, la cristallisation outrancière du climat de corruption, de népotisme et de clientélisme, la promotion de la course effrénée à l'enrichissement facile et à la consommation ostentatoire, la fissuration de la cohésion sociale, la destruction de la foi dans le travail, la dénaturation de l'effort, le bannissement du mérite, la rupture de la confiance des citoyens dans leurs institutions, l'émiettement du corps social et tout ce qui pourra favoriser la démission de l'Etat de ses fonctions essentielles sur fond de détérioration continue des conditions de vie, d'ingérences étrangères et de manipulations mafieuses exacerbées par le jeu des intérêts occultes et des ambitions malsaines. En tous cas, tous les moyens susceptibles de fragiliser celui-ci et de l'empêcher de réoccuper ses espaces (à l'instar des coupures sans raison d'eau et d'électricité, de la faiblesse du débit d'internet, etc.), seront à applaudir.

Ces humanoïdes qui émargent à la classe politico-administrative qu'elle soit au pouvoir ou à celle qui lui est opposée, fossilisés dans l'Administration et dont la seule contribution à la scène nationale se réduit au débat anecdotique, stérile voire destructeur, n'aspirent qu'à y incruster la bureaucratie et à en faire l'instrument qui leur permettra de dévoyer les mentalités pour mettre le peuple au pas et persévérer dans leur œuvre, celle qui consiste à faire en sorte qu'aucun programme politique n'aboutisse à l'exception de celui du pire. Ils persistent à semer la désillusion et la frustration. Sur les dérives et les déviations que celles-ci enkytent, s'animeront alors le découragement et la déception, lesquels enfanteront l'amertume, le dépit et même la mollesse de la conscience nationale. Notons que les concepteurs de ces dérives refusent que soient remis en cause leurs privilèges à travers l'instauration d'un quelconque nouvel ordre de développement. On y reconnaît des « politiques » jetables, des administratifs simplets, des gestionnaires inspirés par leurs seuls instincts de base, des élus (présidents des APC et des députés) soutenus dans leur incapacité notoire par leurs matrices politiques bien qu'ils occultent manifestement ce qu'ils devront avoir en commun avec leur peuple (œuvrer à la valorisation des atouts de l'Etat-Nation) ; des walis impassibles aux cris de douleurs de ces familles qui ont engendré des générations dans des taudis ou qui manquent encore et à l'orée du troisième millénaire d'eau courante, d'électricité, de gaz, de route ; des Pdg qui passent le plus clair de leur temps à déguster, telle une narcose, les plaisirs et les privilèges du poste ; des gouverneurs de banques, certains du cartel financier, des directeurs, des chefs de services, des agents d'exécution, des commerçants véreux qui jubilent en dépeçant des pans entiers de la société, des enseignants qui «saignent» les parents d'élèves en proposant des cours de soutien moyennant «la peau des fesses», des examinateurs qui distillent le «donnant-donnant».

Le souci de ces « humanoïdes » promoteurs de la dérive et de la déviation étant de naviguer à vue (avec les coudées franches) pour protéger leurs intérêts, ceux de la nation étant en annexe de leurs préoccupations, ils s'étaient exprimés, six décades durant, à travers une dynamique dévastatrice qui, s'ils ne seront pas mis hors d'état de nuire, menacera l'Algérie d'une sclérose qui risquerait de l'enfoncer inlassablement dans les profondeurs des divers classements mondiaux. D'ailleurs, le FMI et la Banque mondiale la guettèrent en brandissant des conditions qui ne feront qu'emprisonner ou à la limite qu'altérer sa souveraineté. Notons que les multiples virages socio-économiques entrepris pour tenter de rétablir l'équilibre qu'ils avaient fragilisé en faisant dans l'innovation sans mémoire (la dernière en date était celle de la planche à billets de Ahmed Ouyahia), y étaient des plus aléatoires, donc des plus défaillants. Moralité et par leur faute, l'inflation y est aujourd'hui encore galopante. La paupérisation des classes moyennes y est érigée en hygiène de vie. La croissance économique n'y arrive toujours pas à décoller. Le taux de chômage y est difficilement maîtrisable. La structure du marché du travail y est fortement bouleversée. La fiscalité s'impose toujours aux petites bourses et épargne encore les grosses fortunes. La sécurité sociale y est absente. La couverture sanitaire n'y est pas conséquente. Le système éducatif y est des plus délétères. En prime, le cyclone de la mondialisation, non maîtrisé, a tenté d'aspirer l'ambition citoyenne, celle de vouloir vivre et évoluer au rythme de l'international.

Initiés, développés, promus et légalisés par ce multicouche de barrons à la solde de leurs appétits féroces , de la collusion, de la corruption, de la décadence des mœurs dans la pratique des prérogatives qui leur étaient conférées et des missions qui leur étaient assignées pour animer l'Etat, du manque de savoir-faire managérial et de celui du savoir-être entrepreneurial, de la démagogie nourrie par la propagande qui faisait office de discours politique ou administratif, du laisser-aller et de cet autoritarisme propre aux prédateurs et qu'ils exhibaient comme pour marquer une répulsion à tout ce qui tenterait de le contrarier, il en était fait l'expression d'une loi.

Au moment où l'autonomie du développement national est devenue, à l'échelle planétaire, un objectif incontournable, en Algérie ceux qui détiennent un semblant d'autorité, considèrent que le pouvoir relève toujours de leurs caprices. En effet, ils persistent à faire en sorte qu'une autorisation, la délivrance d'une pièce d'état civil, une facilité administrative, un contrat d'étude, l'accès à un bien dépendent toujours de leur bon vouloir. Corrompus et corrupteurs, conjuguant alors et sans retenue leurs appétits féroces, aspirent à accélérer la destruction des valeurs, des normes de référence et du droit engagée du temps où ils étaient aux commandes.

Pour ces personnages sans foi ni loi et qui n'ont aucun souci de l'Etat si ténu soit-il, la préoccupation lourde n'est pas l'édification d'institutions crédibles, encore moins le respect des lois, mais le recours à des artifices administratifs aléatoires (qui fonctionnaient au hasard) et à des illusions bureaucratiques (sur mesure), mais d'entretenir le désordre et la confusion qui sévissaient à telle enseigne qu'y mettre de l'ordre reste une tâche titanesque.

Habitués à évoluer en eau trouble et monnayant leurs prérogatives, ils s'évertuent à faire en sorte qu'il n'y ait plus, comme par le passé, de règles et de déontologie, ni de repères. Ils s'appliquent à faire en sorte qu'il n'y ait que des amis, des compromis, des arrangements rétribués, des dessous-de-table, des commissions à l'étranger. Ils veulent maintenir le règne de la combine, de l'incertain, de l'aléatoire, de l'injustice. Inspirés par les discours qui fusent par-ci et par-là, sur certains programmes télévisés domiciliés outre-mer entre autres, ils veulent remonter sur leurs «grands chevaux» d'antan et s'ériger en une autorité anonyme soucieuse d'assouvir ses lubies. Le plan est d'accroître chez la population le sentiment d'injustice et de frustration et, pourquoi pas, la réduire à un état d'ilote, à l'indigence, voire à l'indigénat.

Ils veulent remonter le temps, ce temps où le peuple avait perdu tout espoir en l'avenir, ce temps où les forfaits étaient majeurs et les dénis intolérables. Ce temps où l'injustice sociale était érigée en norme. Ce temps où des réflexes insolites nés à la faveur de la délinquance économique avaient pris forme. Ce temps où malgré les discours qui fusaient çà et là et qui déclaraient l'obligation de s'extraire de la spirale de la dépendance, celle-ci ne cessait de prendre de l'épaisseur. Les activités économiques stratégiques supposées être mises en place, quand bien même au prix de grands sacrifices, avaient purement et simplement été bradées. Le recours à l'importation anarchique par tous ceux qui se faisaient les ayants droit de système et leurs sous-traitants, était devenu une règle. Ils veulent remonter ce temps où tout cela s'accomplissait sous le regard méprisant d'un champ politique qui s'obstinait à croire que les soucis qui laminaient les Algériennes et les Algériens pouvaient être réglés à la hussarde, à coup de décrets ou encore de «plans Marshall». Revisitons cette innovation sans mémoire du programme « Magasins pour jeunes chômeurs » et qui n'ont servi à rien. Ces derniers ne différant en rien de leurs aînés des anciennes, ils exprimaient les mêmes besoins et les mêmes aspirations, vivre leur temps, étudier, trouver un emploi, bénéficier d'un logement. Leurs préoccupations (ambitions, aspirations, besoins, contraintes) ne pouvaient donc se résoudre à coup de place dans un marché municipal par l'attribution d'un local pour l'exercice d'un hypothétique commerce sans lendemain ou, encore, à coup de crédits vite détournés de leurs objectifs, par des décisions précipitées empruntées à la démagogie et ficelées en quelques jours d'assises durant lesquelles se succédèrent des discours débités sans faillir au sens du poil.

En cleptomanes pervers et démesurément boulimiques et en mégalomanes invétérés qui, s'ils ne font pas dans la séduction pernicieuse, confondent le bien avec leur volonté veulent monter en scène un deuxième épisode de cette Algérie qui, «pieds et mains liés », fut le ghetto de l'absurde. En effet, de la banqueroute programmée de l'économie nationale, de la médiocratisation affichée d'une administration oligarchique, de la clochardisation patente de la société, de la dissipation délibérée de ses repères civilisationnels et de ses symboles ancestraux, du renversement impénitent des valeurs, du mépris infligé à la morale et au civisme, de l'outrage à la dignité, de la corruption et de la malversation, il était fait l'expression d'un dogme.

Cela dit, ils se trompent dans les grandes largeurs. Quoi qu'ils fassent, quoi qu'ils usent de tous ces maléfices qu'ils ont dans leur hotte, le peuple algérien refuse de re-cautionner son sous-développement, la précarité et de demeurer à la remorque de «l'autre». Il considère que l'heure est venue pour lui de souscrire au complexe progrès-civilisation. Sa mission consiste désormais à valoriser sa condition d'être en structurant un puissant pôle d'idées-forces au moyen desquelles il pourra intervenir sur son niveau civilisationnel pour l'adapter à celui auquel il aspire. Néanmoins, il attend de ceux qui gèrent son sort de mettre ses préoccupations (ses ambitions, ses aspirations, ses besoins et ses contraintes) au centre des stratégies globales à adopter pour que s'accomplisse son «mieux-être».

Conscient qu'il n'est fort pléonasme que de dire qu'il n'y a de constant dans l'histoire des sociétés humaines dynamiques que le changement. Ce Changement étant, par nature, un inéluctable, les Algériens et les Algériennes refusent de le sacrifier, une autre fois, sur l'autel de la mégalomanie que certains «égarés » au col blanc aspirent encore et toujours à en faire une constante nationale. Ils aspirent à ce que l'Algérie cesse d'être « ce faubourg malfamé du monde », qu'elle recouvre sa place dans le concert des nations. Ils aspirent à ce que la société algérienne cesse de s'enliser dans l'injure du doute. Les temps ne sont plus propices aux parvenus de tous bords pour s'épanouir, comme elle doit cesser de s'enliser dans cette morbidité qui l'avait fragilisée. Elle devra, par contre, se mobiliser dans son unité non pas au profit de l'insolite et du farfelu mais au profit de l'émergence du développement durable escompté et qu'animeront une couverture sanitaire performante, une école créatrice de renaissance, une économie protectrice, une mentalité citoyenne indéfectible.

J'accuse tous ceux qui ont fait en sorte que l'Algérie soit fracturée et que sa croissance économique et sociale soit bloquée, l'industrialisation arrêtée, l'école sinistrée. J'accuse tous ceux qui ont fait en sorte que la corruption ait gangrené l'Appareil de l'Etat et celui de la justice en particulier. De leur temps, la création de l'emploi y avait régressé à pas de loup. Le pouvoir en panne de stratégie ne pouvait s'investir dans la recherche d'une sortie de crise. Ils ne s'inquiétaient même pas du mécontentement populaire qui s'y déchaînait. Ils s'étaient limités à s'encoconner dans sa « bulle ». Le libéralisme et la démocratie affichés y étaient porteurs de tous les désordres. La pauvreté y était franche. Des pans entiers de la société, faute d'écoute, s'y étaient résignés à gérer leur misère au quotidien. Abandonné sur la pente des injures du temps, le peuple y subissait par l'entremise du terrorisme administratif qui s'érigeait en mode de gestion, le joug des barons. Il sombrait dans la tourmente.

J'accuse tous ceux qui ont fait en sorte qu'en Algérie il n'y ait plus d'équilibre entre le passé et l'avenir, entre l'Islam originel et l'Islam «sur mesure», entre l'iniquité et la justice sociale. Cette régression y était-elle une fatalité ? Sinon, comment expliquer que le pays qui semblait, à l'orée de l'indépendance, résolu à arracher sa place dans la tribune des nations et où les défis s'agençaient dans des allures grandioses, avait-il pu déboucher sur un échec magistralement réussi ? Comment et par quelle funeste dynamique, ce pays, aux élites modernistes, s'était-il laissé envoûter d'abord par une répréhensible tentation moyenâgeuse et ensuite par un système politique voyou ? Tout se tenait dans cette mutation provoquée par des aventuriers incompétents pour faire dans la promotion du développement durable et qui s'étaient pourtant inventés «politiciens» et gestionnaires alors qu'ils n'ont fait qu'engoncer le pays dans le hasard, dans l'irrationnel et dans le chaos.

En effet, tout comme le système politique et le régime qui lui était subséquent, les gouvernements qui s'étaient donc succédé, étaient insouciants, incapables et velléitaires, jouisseurs et accaparateurs. Ils se contentaient de se continuer dans la gabegie. Ils faisaient dans la gestion à sens unique, à l'emporte-pièce, sans liant social. Mieux encore, à cette débilité politique avait adhéré tout un attelage mercenaire (un tout-venant d'intellectuels, de financiers, d'administratifs, de bureaucrates et de négociants), qui s'était particularisé par une absence de lucidité et de conviction chronique et pour lequel, l'attrait du pouvoir, de l'argent et de la domination était irrésistible. Avaient apparu alors, l'esquive devant le travail, la tricherie comme moyen de survie, l'arrivisme comme finalité, l'hypertrophie bureaucratique comme mode de gestion, la fuite en avant comme solution et autant de dynamiques négatives qui, s'autofécondant à la faveur d'un déni d'Etat manifeste, s'étaient exacerbées jusqu'à atteindre leur paroxysme. Conséquences, des antagonismes et des conflits avaient débouché sur une perversion tous azimuts. Moralité, la société algérienne qui était tantôt bercée par l'espérance, tantôt par la désillusion, avait fini par passer d'une société légendaire à une société qui, faute de mieux faire, s'était résolue à tricher avec les pesanteurs bureaucratiques et les asphyxies réglementaires.

Face à cet éclatement belliqueux, la bénédiction du système, la clémence du régime et le salut du pouvoir allaient consacrer cette providence que des aventuriers sans vergogne, insatiables et en mal de privilèges et de méritocratie recherchaient à en perdre le souffle. Les avantages et surtout les dividendes à tirer du partage de la rente étaient l'enjeu majeur. Moralité, se défaire de cet instinct animal qui affectait leur comportement, faire semblant à tout le moins de remédier à l'impasse politique et économique patente et exponentiellement préjudiciable pour l'avenir du pays et juguler cette précarité sociale qui s'érigeait en domiciliation finale de la population, n'était pas et ne sera jamais à l'ordre du jour tant qu'ils administrent les affaires de l'Etat.

C'était donc une question de chefferie d'abord et de partage de la rente ensuite, plutôt qu'une question de ce projet de société que se disputaient les tendances politiques et idéologiques. Que la jeunesse intellectuelle se mobilise pour que celui-ci soit bien pensé et bien réfléchi, cela n'était pas utile ; que le citoyen s'y implique, cela n'était pas nécessaire.

A propos de projet de société. Les marchandages politiques et idéologiques et les compromis nés à la faveur de la Constitution de 1989 biaisant, dès le départ, le débat sur un projet de société porteur d'avenir et créateur de renaissance, des sectes, politiquement primaires, faisant route séparément ou en coalition et préoccupées à explorer des gisements électoraux et sans plus, n'avaient rien trouvé de mieux à faire que surfer sur l'égarement des Algériennes et des Algériens à coup de discours-passion et de discours-carottes. Ces derniers, quant à eux, n'ayant rien trouvé à opposer à leur condition «d'exilés», s'étaient organisés dans une sorte de démission qui était brandie sous toutes ses formes.

Alors que le débat sur un projet de société porteur d'avenir et créateur de renaissance devrait être un cadre de dialogue et de concertation, un programme pour sauver la société algérienne profondément balafrée parce que prise en étau entre les valeurs occidentales et celles de l'Orient, alors qu'il devrait rendre gloire aux valeurs civilisationnelles algériennes séculaires faites d'islamité (l'islam originel, ayant été, hélas, effrontément subdivisé en islam de minorités), d'arabité, d'amazighité, de raison, de dignité, de probité et d'amour pour le genre humain et rapprocher les propositions et les conceptions politiques et idéologiques à cet effet, il prenait, à tout bout de champ, de nouvelles définitions qui l'en éloignèrent. (A titre d'illustration, un programme élaboré par l'un était systématiquement pour l'autre, une atteinte inadmissible à son éthique politique ou idéologique). De toutes les façons, le pouvoir était l'enjeu majeur et sans plus. Un projet de société épanouie était le benjamin de leurs soucis.

Les uns appelaient à un programme qui bradera les principes de la République (démocratie, transparence, Etat de droit, alternance et programmes avant-gardistes). Les autres qui, faisant dans des tractations en coulisses, surfaient sur les déboires du peuple épuisé par des combats d'arrière-garde, tentaient faute de mieux de maintenir l'Algérie sous le joug d'un projet hybride et même sans contour.

Vaille que vaille, les uns comme les autres s'étaient limités à théâtraliser le drame engendré par l'absence d'une feuille de route consensuelle et qui dévorait le pays. Ce qui était certain, c'est qu'un projet de société animé, d'une part, par les préceptes de l'Islam originel en tant que valeur civilisationnelle universelle (Saint Coran et Hadiths du Prophète Mohammed QLSDDSSL) et non en tant qu'excroissance de l'intégrisme religieux et, d'autre part, par les valeurs de la modernité, n'était pas à l'ordre du jour, encore moins perçu comme un processus salvateur devant mettre un terme à l'égarement civilisationnel qui s'affichait implacable au quotidien et désarmer les forces du confusionnisme qui tentent encore de nos jours de diluer la personnalité nationale dans d'autres qui ne lui ressemblent pas.

*Directeur de l'Education de Wilaya - Ancien Professeur INRE - Auteur