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Faire l'apprentissage de la vie (commune) avec (ou sans) le covirus-19

par Arezki Derguini

La société va faire l'apprentissage de la vie avec le covirus-19, quels que puissent être la manière et le résultat. L'épidémie peut nous rendre plus forts ou plus faibles. Plus forts, parce qu'elle aura révélé des capacités, plus faibles parce qu'elle aura détruit des vies et des ressorts.

Cela va dépendre de nos manières d'apprendre, en rangs serrés ou en rangs dispersés[1] et de nos capacités d'organisation. Le Hirâk avait pour cri « que tous partent » (« yatnhaou gâ3 »). Une demande de place nette, de mise à plat plutôt que de décapitation, qui rende possible une autre organisation. Ce n'est pas en remplaçant les hommes que l'on change un système, mais en lui donnant un autre fonctionnement. Chacun apportant ce par quoi il peut et veut contribuer et chacun étant rétribué selon ce qu'il est convenu.

Le pouvoir politique ment et prépare mal la société

Le pouvoir politique continue d'ordonner à la population sans vraiment se préoccuper de l'exécution. Commander se confond ici avec interdire, contenir. Il en résulte une méfiance redoublée. Pourquoi persister dans une telle attitude ? Probablement pour suivre une politique qu'il ne peut avouer. Volontaire dans le propos, fataliste dans les faits. En cela, le comportement de la société et du pouvoir s'apparente. Advienne que pourra. Seule une partie de la société pourra se protéger. Le pouvoir politique ne peut en effet qu'obéir à la politique de ses moyens et cela quelles que puissent être ses intentions et ses déclarations. La population a pris l'habitude d'attendre de lui qu'il promette. Ne pouvant avouer la faiblesse de ses moyens, il cache l'incohérence de sa démarche. Ne pouvant aller à contre-courant des attentes de la population, refusant de donner aux soignants et à la population les moyens de faire l'apprentissage de la vie avec le covid-19, il surfe sur ses mouvements et rabâche des promesses qu'il ne peut tenir.

Une autre politique est possible. Au lieu d'interdire, de contenir, on aurait pu aider la population à s'informer et à s'organiser. À trouver la manière de se coordonner, de serrer les rangs pour se protéger et dresser et fixer la carte la plus avantageuse de la circulation du virus. La population doit apprendre à vivre avec le virus tant qu'il existe. Le virus nous incite à prendre soin de notre vie commune. Il est un rappel à l'ordre. De ce point de vue le covirus-19 d'ennemi peut devenir un allié. Il nous ferait faire ce qui est souhaitable pour notre cohésion. Il nous permettrait de transformer son irruption en occasion de transformation. Notre ennemi serait alors notre état de désordre et de dispersion sociale. C'est cet état qui va faire faire au covirus-19 de nombreuses victimes. Mais le pouvoir politique et la société ne semblent pas prendre les choses de cette façon, l'ordre qui pointe n'est pas nouveau, on peut se demander alors jusqu'où peut aller la répression. La relative indifférence sociale quant à l'arrestation du journaliste Khaled Drarni révèle une certaine atonie du milieu social. Il faut se méfier de l'eau qui dort. L'évènement n'attend pas qu'on le prévoie, ses effets dépendent de la manière avec laquelle il sera accueilli.

Les « patients » et les soignants auraient pu se donner la main, bien faire chacun de son côté, plutôt que de mal faire et de se taper les uns sur les autres. Nous ne disposons pas des moyens matériels qui fassent de nos hôpitaux de solides défenses. Notre protection ne pourra pas trop compter sur eux. C'est sur l'autodiscipline sociale qu'il faut compter, c'est à elle qu'il faut donner des raisons d'exister. Pour quoi et comment mobiliser la jeunesse ?

On oublie de prendre en compte la piété filiale, pilier de la société extrême-orientale, comme solide rempart contre la létalité de l'épidémie. Prendre soin des personnes malades et âgées donne du sens aux gestes barrières. On verrait alors une autre jeunesse. Au lieu d'une jeunesse insensible, on aurait probablement une jeunesse fière du devoir accompli : protéger les proches vulnérables. Étant donné les différences de condition sociale, la nécessaire solidarité sociale serait plus aisément mise en œuvre. La jeunesse veut voir le résultat de ses actions, elle veut être contente de ses accomplissements. La joie d'être est plus importante pour elle que les manifestations de richesse et de réussite personnelle.

Faut-il donc abandonner la jeunesse à son insensibilité, à son irresponsabilité et attendre que chacun soit atteint dans son voisinage, qu'un des parents en soit victime, pour que les gens apprennent que le virus est bien réel, qu'ils sont responsables de leur décès ? Le pouvoir est sourd au débat social. En ne l'informant pas de la réalité de l'épidémie, du cheminement du virus, des moyens et des raisons de se discipliner, il « désarme » la société face à la létalité du virus. En refusant de définir avec la société la meilleure manière de faire avec le virus, l'échec est programmé[2]. L'on pourra se donner ensuite un bouc émissaire sur lequel se défausser. On criminalisera une partie de la société. On voit déjà se profiler une bataille entre les enfants des Lumières et les obscurantistes.

La désinformation désarme la société

La désinformation désarme la société face aux évènements qui surviennent. À défaut de cet apprentissage, la société et le corps soignant vont subir le virus. Les moyens matériels ne sont pas tout, il est ici surtout question d'organisation et de volonté qui fassent faire corps à la société, d'une mobilisation générale avec l'émergence de nouvelles capacités humaines et organisationnelles. Il faut innover en matière d'organisation et de solidarité. Or tout se passe comme si, le système n'avait pas d'autre souci que de se conserver. La société doit rester passive alors que le pouvoir n'a plus les ressources de lui commander, de la protéger. Elle doit obéir à des ordres qui l'entravent au lieu de la mettre en bon ordre. Comment cette passivité préparera-t-elle la société à faire face à l'évènement ? Obéira-t-elle au doigt et à l'œil ? Elle est ainsi préparée à subir. La vie avec le virus n'est pas une guerre entre deux armées. Si c'est une guerre, elle se mène au sein de la société. C'est la résilience et l'efficacité des dispositions et institutions de la société qui sont éprouvées.

Le coronavirus ne sera pas le seul évènement à faire irruption dans notre vie future : comment se préparer, pouvoir politique et société ? Comment former des rangs serrés qui puissent absorber les chocs, utiliser leur énergie ? Comment pourra-t-on avoir les bonnes réactions si nous ne prêtons pas attention à ce qui pointe déjà et ne tardera pas à survenir, si nous ne disposons pas du bon modèle d'organisation ? Quelles surprises sont-elles en train de se préparer ? Et quelles réactions vont-elles susciter ? Une meilleure organisation ou une escalade de la répression ? Car, à ne pas en douter, tout le monde n'est pas également informé, tout le monde ne se fera pas également surprendre. Une minorité avertie, au contraire de la majorité, aura certainement su se protéger. Trop nombreux sont ceux qui tiennent à leurs anciennes habitudes, beaucoup trop croient que demain sera comme hier. Mais très peu pourront être confortés et beaucoup trop ne pourront faire autrement que subir.

Le pouvoir politique se contente d'édicter des règles de manière autoritaire. Il joue du haut de son magistère de l'autorité de la Science, mais dans les faits l'autorité scientifique est continuellement piétinée. Des médecins ne sont-ils pas agressés, la majorité des médecins n'est-elle pas en situation d'impuissance ? Ils sont incapables de dire de quoi est décédé leur malade. On traite du covid-19 les patients sans tenir compte de leur état de santé, qu'ils soient autrement malades ou pas. Ne pouvant vraiment tester, on fait plus avec ce que l'on ne sait pas qu'avec ce que l'on sait. La majorité des décès sont causés non par le covid-19, mais par des complications. Pratiquement impossible de définir la cause du décès, de rassurer la famille des patients, de suivre la bonne conduite. N'y-a-t-il pas ici de quoi indisposer le corps médical et dresser les proches des victimes contre lui ?

Le covid-19 et ses terrains

Pourquoi avoir regroupé tous les malades du covid-19 dans un service pour leur appliquer un traitement standard que n'importe quel médecin peut appliquer alors que le patient peut relever d'un service particulier qui est capable d'appliquer le traitement et de traiter des complications que celui-ci peut avoir ? On a mis les médecins traitants du covid-19 dans des situations qui ne leur permettent pas de traiter de l'état de santé du patient. Ils ne traitent que le covid-19 sans être capables de prendre en compte les effets du traitement sur le patient. Ce n'est pas du covid-19 qu'il fallait seulement traiter, mais de l'état de santé, le covid-19 y ajoutant sa complication. Bien sûr, à ne pas en douter, il doit y avoir des services où une bonne coordination des services autour de celui du covid-19 existe. Il doit y avoir des patients bien encadrés. Mais on se gardera de les donner en exemple, ceux-là ont les moyens. On a perdu de vue la « grande image», the big picture dise les Chinois : l'état de santé global.

Cet oubli n'est peut-être ni malintentionné ni ignoré. Il n'y a qu'à se placer du point de vue des patients bien encadrés pour le comprendre.

Ceux-là savent que tout le monde ne peut pas bénéficier des mêmes services. Une bonne organisation de l'ensemble des services de santé demande d'autres dispositions plus difficiles à généraliser. On a fait comme si on avait un système de santé avec les dispositions adéquates. On a pris l'habitude d'importer des recettes qui correspondent à d'autres contextes dont peut profiter une minorité ensuite on fait semblant de l'appliquer à tout le monde. On ne veut toujours pas comprendre la société, faire avec elle, on continue de l'infantiliser. On ne veut pas voir ce qu'elle peut bien faire qui peut la contenter.

Si le traitement du covid-19 doit tenir compte de l'état de santé du patient, ne doit pas isoler le covid-19 de son terrain d'action, l'Etat ne doit pas non plus isoler l'état de santé médical de l'état de santé général, ce par quoi on tient à la vie.

Une bonne politique ne peut être autrement dressée. En'nidham châkh disait le défunt Abdelhamid Mehri. Il est sourd et ne voit pas, il ne veut, ni ne peut comprendre.

Les mythes de la société occidentale

Le mode occidental et capitaliste soumet le milieu naturel au milieu social au travers du mythe de la domination de la nature et soumet le politique et la société au mythe de la Science. Il ambitionne de soumettre la société aux lois du marché. Le mythe de la Science capture le politique et déprend la société du politique[3]. Il en résulte crises écologiques et crises sociales. C'est de nouveaux rapports entre ses trois dimensions qu'il faut créer pour préserver un équilibre social et écologique. La loi ne doit plus être de substituer continuellement du travail mort au travail vivant, mais de les faire coopérer pour une meilleure vie sociale et matérielle.

La lutte contre le coronavirus ou la politique de cohabitation avec le coronavirus est piloté par un comité de scientifiques qui se donne pour mission d'enseigner la Raison à la population, qui considère les citoyens comme des patients à qui il faut administrer un remède et non d'abord comme des agents qui doivent eux-mêmes prendre soin de leur santé. Peu importe ce que fera le patient de l'ordonnance, la Science a fait sa prescription, le citoyen qui ne la suivra pas est condamnable. Le politique et la population sont démis de la politique. La Science et les institutions internationales qui croient penser pour tous ont délivré leur traitement : testez, testez, testez ... dit l'OMS. Ses représentants locaux ne pourront pas les suivre, leurs bras sont trop courts, ils manquent de tests. Comment comptent-ils alors endiguer l'épidémie, faire respecter les mesures attenantes, faire admettre le confinement, sorte de mort lente, à ceux dont la vie ne tient qu'à un fil, à ceux pour qui importe le présent plus que le futur[4]? Ils ne veulent pas s'attacher aux pratiques de la société.

La Science ne s'occupe pas de prendre en compte les moyens réels dont disposent les différents milieux sociaux et professionnels, de comment chacun peut vivre, avec ou sans le virus. Leur recette est valable pour quiconque, en tout lieu et en tout temps. Pour elle la pratique doit se plier à la théorie. Elle empêche chaque milieu de faire de ses pratiques la théorie et de sa théorie la pratique, de réfléchir aux moyens dont il peut disposer pour vivre avec le virus : « Taisez-vous, la Science s'est prononcée ». La Science n'arme pas la société dans ses débats avec le virus, elle la désarme. C'est une idéologie qui permet d'exclure les protagonistes du débat. Elle ne correspond en rien à la pratique des scientifiques qui prend soin des éléments qu'elle s'incorpore et de leur action. Cette commission devrait être composée non seulement de médecins et d'épidémiologistes, mais aussi de toutes les compétences en mesure de contribuer à bien disposer la société. De plus, il faudrait non pas seulement une commission nationale qui plane sur tous les contextes, mais d'abord des commissions locales, chaque fois qu'elles peuvent être possibles. Ces commissions aux compétences multiples ne s'enfermeraient pas dans des bureaux attachés à des livres et rapports venus d'outre-mer, mais aux interactions du covirus-19 et de la population. Il ne suffit pas de concevoir un plan, il faut qu'il puisse passer dans la réalité, que la population en fasse son plan et sa réussite. Ces commissions seraient au centre de mobilisations sociales et seraient confrontées à une pratique scientifique inédite qui ne s'abriterait pas derrière une théorie importée, ses outils prêts à l'usage. Elles travailleraient avec les milieux à la construction de collectifs en mesure de se protéger, d'apprivoiser le virus. C'est à l'émergence de tels collectifs que se refuse le politique capturé par un Léviathan armé de la Science pour finalement servir des intérêts financiers.

Commander à l'expérience sociale

Le pouvoir politique, la société et le corps médical ne sont pas obligés de subir. Le fatalisme est l'excuse des vaincus. Ils peuvent accorder leurs moyens et leurs fins, ils peuvent apprendre à vivre avec cet étranger qui a fait irruption dans leur vie. Le pouvoir politique peut commander autrement à la société. Que cela soit de manière directe ou indirecte. Il doit disposer d'une certaine autorité pour le faire directement. Il faut admettre qu'une telle autorité lui fait défaut. On a déjà oublié le Hirâk, c'était pourtant hier. La promesse de changement de régime aussi. Si certaines autorités ont du crédit, il faut pouvoir s'appuyer sur elles. Des abus d'autorité ne peuvent que discréditer. Seule la réussite est aujourd'hui source d'autorité.

C'est donc indirectement qu'il faut commander à la société : par le biais de son action, de son expérience et de ses réussites. Il est du devoir du pouvoir politique de mettre la population et le corps médical en situation d'apprendre à se protéger de cet inconnu qui a surgi de nos externalités négatives. Nous avons détruit les écosystèmes de nombreux êtres vivants. Ils ont rejoint les écosystèmes existants qu'ils dévastent à défaut d'y trouver leur place. Ils poursuivent le travail de destruction que nous avons commencé. J'ai à l'esprit une commune montagneuse dont les singes dévastaient les jardins. Ne pouvant plus subsister dans leur écosystème, ils ont rejoint les zones de peuplement humain et ont placé la population devant un dilemme : laisser vivre le singe ou protéger le jardin.

Le nouvel art de gouverner

Le régime est passé maître dans un certain art de faire faire à la population. Disposant d'une rente qui lui donnait une autonomie vis-à-vis de la population, il pouvait monopoliser la décision économique et politique et entretenir la population. À partir du moment où s'engage une privatisation du pouvoir économique, un tel monopole se fragmente. Avec la réduction des ressources publiques, ces fragments ont tendance à se constituer en centres de décision dont la coordination tend à se défaire en même temps que la population doit chercher des ressources en dehors de celles publiques. Des mouvements centrifuges se dessinent auxquels il faut alors donner des centres de gravité qui puissent eux-mêmes graviter autour d'un centre unique pour préserver la cohésion sociale. L'ancien art de gouverner est mis en porte-à-faux : il ne s'agit plus de défaire des centres de gravité pour protéger le centre de gravité unique, il s'agit de créer des centres de gravité afin de donner de nouveaux appuis à celui central qui se délite et ne peut plus trouver d'appui en lui-même. Il s'agit de donner des centres de gravité à un mouvement de dérive de la société sur lesquels le centre de gravité central doit maintenant s'appuyer. L'intégration sociale ne pouvant plus compter sur la redistribution publique et le marché, le mouvement de dérive social doit être autrement contenu. Les centres de décision issus de la privatisation du pouvoir économique et politique seront-ils en mesure d'ordonner la société ? Tout dépend de la capacité du mouvement de la société et des centres de gravité à se coordonner. L'art de gouverner la population ayant longtemps consisté à défaire les collectifs, à disperser les rangs, doit devenir un art de les former, de les coordonner. Il faut envisager de reverser certaines populations dans de nouvelles occupations, de transformer des pratiques et des attitudes en leur contraire.

Le rang de la société

Il faut dans le même temps remettre les riches dans le rang de la société. Qui gagnera les riches ?, le capitalisme mondial ou la société ? Tel est le combat qui va s'engager dans la période à venir. Après avoir gravité autour du centre unique, autour de quels centres graviteront-ils ? Ambitionneront-ils de capturer l'Etat pour servir et être servis par d'autres plus puissants qu'eux ou la société réussira-t-elle à les faire rentrer dans son rang ? L'État ne peut plus les faire graviter autour de lui.

Les riches sont redevables à la société, ils ont été enrichis par la propriété commune, l'argent des ressources naturelles, les terres des collectivités traditionnelles. Ils se sont enrichis de la prédation générale. La différenciation sociale est récente, initiée par la colonisation, elle s'est poursuivie à grande vitesse au cours de la période postcoloniale grâce à une appropriation privative des ressources publiques. La propriété privée en général n'a pas un siècle d'âge et a été produite par des politiques contestables. C'est une excroissance de la colonisation. L'État postcolonial a fini par discréditer ses propres choix, il a pavé la voie aux choix privés. À l'indépendance la « forme supérieure de propriété » a disqualifié la forme tribale. On en a profité pour jeter le bébé avec l'eau du bain, la forme archaïque a emporté avec elle la décision collective. Pour finalement faire triompher la forme privée devenue « universelle ». Sans le Léviathan, la forme privée n'aurait pu l'emporter sur la forme collective. Avec les crises à venir, la société acceptera-t-elle de continuer à laisser faire dans cette voie, toujours plus de privatisation des ressources collectives et toujours moins d'appropriations collectives, ou reviendra-t-elle à des choix collectifs pour préserver sa solidarité ?

La lutte de classes chez nous va emprunter les mêmes voies que celles des sociétés de classes. La solidarité sociale va-t-elle passer à la trappe ou se réveiller de l'envoutement dans lequel l'a maintenu le système rentier ? La lutte de classes chez nous n'est pas celle de classes constituées, mais de classes en voie de constitution. Une partie de la société qui n'a pas d'autre horizon que celui du capitalisme mondial veut s'ériger en propriétaire des moyens de production. La majorité de la société suit le cours à défaut d'avoir un autre horizon. À chaque jour sa peine, semble-t-elle vouloir dire. Mais l'avenir prévisible ne pourra pas la satisfaire.

Aligner les intérêts

On se souvient du Président Tebboune décrétant le 22 février Journée nationale de la fraternité et de la cohésion peuple-armée pour la démocratie. Voilà une manière de dire au monde que loin de dégrader l'image de l'Algérie, ce mouvement l'a rehaussée. Certains sont allés jusqu'à parler de renaissance de l'Algérie. Ainsi, loin d'opposer la société que le monde extérieur et une certaine opposition voudraient dresser contre le pouvoir politique pour leur imposer un bon gouvernement selon leurs critères, le Hirâk les ressoude. Si le souffle populaire a pu réellement pénétrer dans les arcanes du pouvoir, si une telle intention du pouvoir politique est réelle, elle devrait se confirmer. Mais je pense que le passif est trop lourd. Beaucoup de choses restent à faire, en particulier le bilan critique de l'expérience politique. Mais le temps n'attend pas et comme dit en substance le proverbe, les vents n'apportent pas ce que les bateaux désirent. Pas le temps et pas l'espace pour regarder trop longtemps en arrière. Il faudra compter sur de bons réflexes pour que les mauvais ne l'emportent pas. Il faudra quand même regarder.

Une histoire du parti unique, trop vite remplacé par un pluripartisme de façade, reste à faire. Au moment où celui-ci voulait représenter la volonté populaire, où la société militaire voulait s'en défaire, on s'est appuyé sur la rue pour lui substituer un pluripartisme plus facilement contrôlable. Le parti FLN aurait pu être un front réel à l'image du parti communiste chinois[5], devenir un creuset pour l'ensemble des forces de la vie sociale et politique. Il a été le bouc émissaire. Ce front en faisant prévaloir les droits sociaux et économiques sur les droits dits politiques et en recrutant les différentes élites sociales aurait permis d'intégrer, de faire débattre les différentes forces sociales, militaires, économiques et culturelles. Mais on a laissé le FLN se corrompre en excluant de son recrutement les nouvelles élites sociales. Et quand il a voulu se ressaisir, on l'a défait. Et on a laissé faire, quand on ne l'a pas utilisé, le travail corrosif de l'argent. On n'a pas voulu que l'avant-garde sociale se renouvelle. Les princes de la guerre n'ont pas su que sans l'encastrement de l'économie dans la société, sans le contrôle de la solidarité sociale sur les forces de l'argent, ils ne pourraient pas contenir indéfiniment les nouvelles puissances de l'argent. L'État monarchique a été corrompu par la bourgeoisie qui en est devenue maîtresse quand les princes de la guerre incompétents ne se sont pas convertis en princes des nouveaux temps.

Impuissance et dénonciation

Ce n'est pas le mensonge, l'effet de surprise des évènements qui ressouderont la société et le pouvoir politique, quoiqu'un évènement puisse en être l'occasion. Quand un citoyen se révolte, est choqué par le mensonge et agite la vérité aux yeux du public et exhibe des images sur l'impuissance des hôpitaux, le désespoir des malades, l'effet qui est obtenu avec son isolement n'est pas forcément celui qui est recherché ou tout du moins pas le seul. S'il disconvient avec le discours politique selon lequel tout va bien, il n'en exprime pas moins un mal qui ne peut pas être tu et qui peut se propager. Le monde s'inquiète alors certes pour son bon ordre et ses intérêts, mais la société n'en a pas moins mal et ignorer le fait n'en dissipera ni le trouble ni le mal. S'il dénonce un état, c'est parce qu'il ne peut pas le transformer. Il veut alors crier son impuissance et demande de l'aide. Pourquoi prendre les choses par un seul bout : noter la dénonciation, mais non la demande d'aide ? Pourquoi ne pas donner aux individus la possibilité de changer leur état en soumettant les bons exemples au débat ?

L'opposition en comptant sur la conquête du pouvoir central pour changer l'état des choses, imitant en cela les démocraties occidentales, consolide les rapports de pouvoir et aggrave l'état de dépendance de la société. En restant obnubilée par le pouvoir central, elle consolide la croyance en son omnipotence. Ce ne sont pas les élections qui permettent la conquête du pouvoir, les élections ne font que cueillir un fruit mûr. La défaillance de la rente pour couvrir les besoins fondamentaux de la société exige de nouveaux rapports de pouvoir, de nouveaux rapports entre profits, salaires et rentes, de nouvelles capacités sociales. Les gens doivent pouvoir autrement mener leur vie, moins dépendre de la rente. Qu'une minorité continue de se disputer les restes de rente et en oublie les conditions de vie de la société, cela place les rapports de pouvoir en porte-à-faux.

La dénonciation sur laquelle vit l'opposition ne sert ni la société mais plutôt le pouvoir à qui elle conserve l'omnipotence et les forces extérieures qui sont en quête d'appuis intérieurs. Il ne faut pas s'étonner que le pouvoir, lorsque la dénonciation sert davantage les forces extérieures, se mette à réprimer et à crier au complot extérieur. L'Algérie n'est pas hors du monde.

Intérêts internes et externes

On ne peut reprocher au monde de s'inquiéter de l'ordre qu'il a établi et de ses intérêts. Il arrive que le monde recherche un nouvel ordre, que des intérêts soient déstabilisés et que d'autres veuillent s'imposer. Le bon ordre finit par avoir lieu là où les intérêts s'accordent. Le monde ne s'accorde toujours pas sur le bon gouvernement qu'il faut donner à la Syrie et à la Libye. Quels intérêts les Libyens réussiront-ils à aligner ? Ceux de l'Égypte et de la Turquie ? L'alignement des intérêts internes et externes semble sinon impossible du moins très compliqué. On peut même supposer que le désordre interne était entretenu par l'extérieur et visait à épuiser la société libyenne pour lui imposer un État. La solution Haftar était de ce type. La Russie et la Turquie vont-elles s'accorder et renoncer à faire prédominer leurs appuis en épuisant la société ? L'Algérie et l'Arabie saoudite (ou l'Égypte) peuvent-elles s'intercaler ? Les parties libyennes vont-elles réussir à aligner leurs intérêts indépendamment des intérêts extérieurs ? Quel alignement satisfaisant des intérêts l'Algérie peut-elle leur proposer ? Quel rapport peut entretenir cette solution avec l'administration de l'Algérie et ses rapports extérieurs ? Quelle leçon l'Algérie a-t-elle tirée de l'expérience libyenne ? Le désalignement des intérêts algériens ne porte-t-il pas la même menace ? L'impuissance de l'Algérie a donné forme à sa solution politique - faire l'unité de la société libyenne - a-t-elle quelque rapport avec l'incompréhension de la société libyenne et des sociétés maghrébines, le refus d'un certain alignement des intérêts ? Je pense que oui. C'est par l'exemple, et une diplomatie qui en fait son étendard que l'on pourrait aider la Libye à faire son unité. Les diplomates chevronnés que nous avons produits ne peuvent pas s'en inspirer. Il faut d'abord aligner les intérêts internes pour que nul d'entre eux n'ait besoin d'appui extérieur particulier pour être pris en compte. En vérité l'appui extérieur épuise plus qu'il n'aide. Il peut toujours être contrebalancé.

Il y a cependant du vrai dans le regard officiel sur le Hirâk. Incontestablement le Hirâk a sauvé une certaine image de la société algérienne. La couleuvre était trop grosse. La société s'est révoltée contre l'image qu'en donnait son président. Et cette image, il ne faut pas alors l'oublier, beaucoup s'en contentaient. Ce que le Hirâk donnait à voir était un sursaut collectif de dignité. Avec l'évènement, seule la société aurait tremblé dans ses fondements ? Mais un sursaut ne fait pas une politique, ne prépare pas l'avenir. Il désajuste momentanément l'alignement des intérêts dominants. La société est encore trop divisée et l'on peut encore jouer trop aisément de ses divisions.

Le pouvoir actuel aura-t-il seulement joué sur les mots, surfé sur un évènement, comptant sur le fait qu'il ne fasse que passer, ou se rend-il bien compte de ce qui peut la ressouder à la société ? Il continue d'être maître dans l'art de défaire les virtualités de puissances sociales, de faire avorter les mouvements citoyens. Va-t-il continuer de défaire, accroissant ainsi le mouvement de dérive d'une société que la redistribution ne peut plus intégrer ?

Le système doit réactualiser ses données, il ne pourra plus compter comme autrefois sur la rente pour préserver son autonomie. C'est sur les puissances d'agir de la société, c'est sur un autre alignement des intérêts, qu'il doit désormais se construire. Autrement les puissances extérieures qui lui disputeront ses ressources s'efforceront d'imposer l'alignement qui leur convient. Et se pointe la guerre entre les puissances émergentes et les anciennes puissances.

L'opposition surannée du civil et du militaire

J'ai tendance à penser que le président Bouteflika lors de son discours de Sétif, bien qu'ambivalent, avait quelque chose de juste. Il semblait faire écho aux propos d'Abdelhamid Mehri cité précédemment. On peut le comparer aux propos du Premier ministre Mouloud Hamrouche lorsqu'on lui demanda de se présenter aux dernières élections présidentielles : « je ne pourrai pas tenir mes engagements, je ne pourrai pas répondre à vos attentes ». À la différence que le président Bouteflika a accepté de jouer le jeu et a cru pouvoir faire faire à l'argent ce qu'il ne pouvait faire aux pouvoirs militaires. On a dit qu'il était bon tacticien, mais mauvais stratège. Peut-être n'a-t-on pas compris ou fait semblant d'ignorer sa stratégie. On peut dire qu'il comptait inverser le rapport du civil et du militaire et pensait ainsi gagner la faveur populaire sans avoir à s'appuyer sur un parti. Il a fait de l'argent son allié, il a lancé une société de l'argent qui n'a pas réussi à inverser le rapport avec le monde politico-militaire, à s'autonomiser. Son programme ayant traîné en longueur, sa maladie survenant, il a poussé la société à bout. Certains peuvent en dire autant du président Chadli, l'évènement ayant affecté non pas la santé du président, mais le prix du pétrole. Des évènements ont poussé la société à bout et ont donc mis un terme à des expériences politiques. Le futur est imprévisible, c'est la disponibilité au changement qui importe. Avec Chadli, le sursaut collectif a préparé un retour de bâton plus fort. Le pouvoir n'avait pas la même définition de la démocratie. La société civile n'était pas encore prête, la société marchande était trop faible et celle politique divisée. Avec Bouteflika nous n'avons pas encore vu la suite. Mais je supposerais qu'il s'est efforcé de produire une société marchande à laquelle il n'a pas pu donner son autonomie. Il ne s'est pas occupé de la réforme de la société politique qu'il croyait probablement incapable d'autonomie. L'expérience de Boudiaf a peut-être aussi compté, pas question de faire revivre le FLN, un front politique. Sans la participation de la société qui aurait pu intégrer autrement la société civile, il a n'a pas eu le temps de défaire le mode d'intrication autoritaire du civil et du militaire. Les sociétés civile et militaire n'ont pas su se donner d'autonomie, se partager le travail. Ce programme va-t-il être repris ? Et de quelle manière ? Car l'administration militaire de la société ne pourra plus contenir la société et les puissances de l'argent. Pour coordonner les différentes forces de la société, une nouvelle administration est nécessaire. La manière hiérarchique et autoritaire d'un centre unique n'intègre plus. Il s'agit d'intégrer autour de plusieurs centres qui puissent être suffisamment inclusifs, de les faire graviter au sein d'une galaxie et autour d'un centre, n'opposant plus de manière radicale le travail vivant et le travail mort, le civil et le militaire.

Le mythe du primat du politique sur le militaire a été contreproductif. Il a été un résultat du processus de différenciation sociale de la société guerrière et non son point de départ. J'ai soutenu plusieurs fois dans mes écrits que l'autonomie du politique dépendait de l'autonomie de l'économie vis-à-vis du militaire[6]. Lorsque les puissances de l'argent sont entre les mains des militaires ou autrement dit quand la rente constitue la principale ressource, le politique et l'économique ne sont que des prolongements du militaire. Ce n'est qu'avec le développement de la vie matérielle (révolutions industrielles) qui transforme les rapports entre le profit, la rente et les salaires, que le militaire se met sous l'autorité apparente du politique et de l'économique. Il se met sous l'autorité apparente du politique parce que le développement économique passe d'abord par le développement du militaire avant de devenir clairement sa condition. Les sociétés émergentes tiennent leur réussite de ce que les stratégies militaires ont pu s'intégrer des stratégies économiques d'où elles tiennent leur logistique. Il est un peu tard pour le militaire de se donner son industrie mécanique. L'inversion du rapport entre l'économique et le militaire ne tient pas d'une révolution, mais de la transformation des rapports de force, du développement de la vie matérielle hors des mains des militaires. La violence de la Révolution est le résultat de l'ossification des structures dominantes et leur incapacité à comprendre les nouvelles forces ascendantes. Que la stratégie militaire ait pu donner lieu à une stratégie économique pertinente qui accroisse la puissance militaire, qu'une différenciation du capital en capital militaire, politique et économique ait pu avoir lieu, voilà ce qui a donné naissance aux anciennes et nouvelles puissances économiques et militaires. Et non pas la domination du politique sur le militaire ou son contraire la domination du militaire sur le politique. C'est à la société dans son ensemble à dominer et non à l'une de ses composantes, soit une différenciation sociale non contrariée par la domination d'une forme de capital, permettant une fluidité entre les formes de capital et par là une progression de la division sociale du travail pratiquement faiblement prévisible.

Se mêler et s'organiser

Quand un tel citoyen révolté par un mensonge est mis en isolement, le pouvoir politique empêche l'information de circuler non pas dans son milieu qu'elle continuera de transformer, négativement puisque résistant au changement, mais avec les lointains. Quand le mal se propagera dans d'autres milieux, les milieux entreront en résonnance et feront exploser leur segmentation. En empêchant la communication, le pouvoir politique confine et « tasse » la situation, lui évitant de s'épandre, empêchant du même coup la société de faire corps autour d'une cause. Mais non pas la société d'entrer en résonnance et de rompre son compartimentage.

Pourquoi croit-on et craint-on qu'une telle prise de corps contreviendrait aux intérêts et au bon ordre de l'Algérie ? Cela tient d'une fausse croyance, la croyance dans une représentation hobbesienne du pouvoir : sans État transcendant pas de paix possible, car pas d'alignement possible des intérêts particuliers, pas d'intérêt général qui puisse résulter de leur alignement.

Qui mieux pourtant que les concernés connaît la situation et leurs intérêts ? Adam Smith déjà. Pourquoi refuser un juste constat de la situation ? Pourquoi supposer et admettre que la société ne peut pas y mettre bon ordre ? Pourquoi remplacer la confiance dans la société par la confiance dans le marché de la Science économique ? Cacher nos faiblesses ne les fera ni disparaître ni ignorer. Elles sont trop apparentes pour ne pas être accessibles. Les soustraire à ceux qui veulent les exploiter demande tout autant de les cacher que de les traiter. Les cacher sans les traiter c'est échouer. Traiter nos faiblesses, des choses à notre mesure, plutôt que faire confiance à la Science apparait plus sage.

Pourquoi l'effort collectif requis dans la lutte contre le coronavirus, ne se traduit-il pas par une implication et une organisation de la société ? Pourquoi la bonne parole au lieu d'être dispensée du haut des ministères ou au cours de visites sur le terrain balisé, n'est-elle pas portée dans les lieux publics et les files d'attente ? Craint-on de se mêler aux problèmes de la société et de ne pas pouvoir s'en sortir ? OK, en admettant qu'on ne puisse pas agir directement sur la société, pourquoi ne considère-t-on pas ce qui peut la disposer à bien faire ? Pourquoi ne pas mettre en action la société, c'est-à-dire l'encourager ici et la décourager-là plutôt que de la culpabiliser ? Pourquoi se résoudre à exploiter les faiblesses de la société, pour se préserver ? Pourquoi se résigner à un pouvoir politique qui puisse être réduit à une telle alternative ?

Le pouvoir politique va bientôt être soumis à une grosse épreuve : que va-t-il faire de sa faiblesse, être réduit à exploiter les faiblesses de la société pour rester au-dessus de la mêlée et ne pas perdre pied, que va-t-elle lui faire faire ? Va-t-il se rendre à sa faiblesse pour mieux la traiter ou va-t-il continuer de s'emmurer, d'utiliser les organisations sociales pour diviser et réprimer ? Les faiblesses du pouvoir politique sont celles de la société, continuera-t-il de les entretenir et de les exploiter pour rester au-dessus de la mêlée et préserver certains intérêts monopolistes ou se résoudra-t-il à les traiter avec elle, à en venir à bout ? Se résoudra-t-il à une mise à plat des forces civiles et militaires, économiques et culturelles, qui permette l'émergence d'autorités réelles qui permettent à l'organisation sociale d'être efficiente et au front de la division sociale du travail de progresser.

En vérité la puissance du politique a toujours tenu dans les engagements de la population et la puissance de ses autorités. Plus large et plus intense est l'engagement, plus la puissance de l'autorité est grande. Et l'État est toujours le prolongement, l'intercesseur de forces sociales. La croyance selon laquelle un juge ou un politique peut se placer au-dessus de deux parties en conflit pour les accorder est une croyance qui a fait ses preuves ailleurs (monarchie de droit divin et théocratie) et en Algérie tant que le pouvoir disposait d'une rente qui lui accordait une certaine autonomie. Autrement, l'arbitre ne peut pas être extérieur au jeu, il est partie prenante fixé par les parties. En même temps que le jeu se donne des règles, il se donne les moyens de les faire observer. Un juge est partie prenante d'un système, d'un intérêt collectif qui aligne des intérêts particuliers, dont le sien. Petite main complice ou partie prenante responsable. Un système sur lequel la société n'a pas de prise est un système dont seuls certains intérêts ont le contrôle. Dans un système qui ne peut plus reposer sur la rente, il faut permettre à la société de construire un système par lequel elle alignerait ses intérêts et sur lequel elle aurait un contrôle.

Dans le passé les intérêts étaient alignés de haut en bas suivant le ruissellement de la rente par une règle tacite de répartition. Dans le futur, il faudra apprendre à articuler simultanément les intérêts de bas en haut (du point de vue des intérêts particuliers) et de haut en bas (du point de vue de la société dans son ensemble), autrement salaires, profits et rentes. Sans solidarité sociale, la rente faisant défaut, le marché étant défaillant, ils ne pourront pas être agrégés. Il faudra créer de nouveaux milieux où une telle solidarité sera possible. Il faudra apprendre à accorder les milieux entre eux, leurs interdépendances. Les intérêts se fixent et s'accordent selon les milieux, tout à la fois géographiques, sociaux et économiques. Il n'y a pas séparation du naturel, du social et de l'économique. Il y a des modes d'intrication qui sont de symétrie ou d'asymétrie.



[1] J'utiliserai dans ce texte de nombreuses métaphores militaires. Ce que nous enseignent les nations conquérantes c'est que leur ordre politique a un soubassement anthropologique incontestable.

[2] Le comité d'urgence de l'OMS qui s'est réuni vendredi passé affirmait : « quand les dirigeants travaillent de façon très étroite avec les populations, cette maladie peut être maîtrisée ».

[3] « Cette Science, avec un grand S, n'est pas une description de ce que font les scientifiques. Pour utiliser un terme ancien, il s'agit d'une idéologie, qui n'eut jamais d'autre usage, entre les mains des épistémologues, que de s'offrir comme (275) substitut à la discussion publique. Elle a toujours été une arme politique destinée à éliminer les contraintes de la politique. » Bruno Latour, l'espoir de Pandore, pp. 275-276.

[4] Donne-moi la vie aujourd'hui et tue-moi demain, dit un proverbe algérien qui peut s'appliquer aussi bien à un chômeur qu'à un jeune.

[5] On oublie de dire qu'il n'est pas constitué que par des travailleurs ou des fonctionnaires. Le parti unique peut-être le parti des élites sociales.

[6] Ce que les théoriciens de la modernisation oublient quand il pense que le développement de la vie matérielle va entraîner la démocratisation, la démocratie, c'est que cela ne veut pas dire la domination du capital financier sur les autres formes de capitaux ni une séparation du militaire et du civil sur le mode occidental. Le développement de la vie matérielle autonomise l'économie et le politique, mais ne rompt pas leurs interdépendances avec le militaire. Leur appui est mutuel. Ce dont on accuse Huawei est pratiqué par les multinationales américaines. Maintenant que la Chine se prépare à dépasser les États-Unis en matière technologique, elle est accusée d'espionnage et de vol de propriété intellectuelle. Les nations occidentales découvrent enfin chez les autres le pillage qu'elles pratiquaient à grande échelle.