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Guerre des prix du pétrole : pourquoi tous les acteurs sont perdants

par Reghis Rabah*

Le directeur de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) et le secrétaire général de l'OPEP ont, lit-on sur le site OPEC home, pris contact et longuement discuté sur la situation des marchés du pétrole et ont signé conjointement une déclaration commune daté du 16 mars 2020.

Dans cette déclaration, les deux responsables ont exprimé leur vive inquiétude de la récession mondiale qui se confirme de jour en jour à cause du COVID-19 qui est devenue une pandémie qui a touché de nombreux pays dans le monde économiquement et socialement. Dr. Birol de l'AIE et Barindo le SG de l'OPEP, ont eu l'occasion étant donnée l'urgence de faire une évaluation de la récente volatilité des prix du baril qui risquerait si les deux organisations n'interviendraient pas à une situation pire que celle qu'a vécu le marché en 2014.

En effet, les prix du pétrole ont plongé lundi, touchant leur plus bas niveau depuis février 2016 avec les perspectives d'une demande d'or noir en chute libre sous l'effet des réponses à la pandémie du nouveau coronavirus. Le baril de Brent de la mer du Nord, proche du Sahara Blend pour livraison en mai a fini à 30,11 dollars à Londres, plongeant d'un peu plus de 11% par rapport à la clôture de vendredi. A New York, le baril américain, le West Taxas Intermédiate faisant office de standard dans la fixation des cours du brut et comme matière première pour les contrats à terme auprès de New York Exchange (Nymex) qui est une bourse spécialisée dans l'énergie pour le mois prochain devait chuter de 9,5% à 28,70 dollars le baril. Il faut reconnaitre que les cours sont en effet pris en étau entre les perspectives d'une demande mondiale ralentie par les mesures instaurées par les États pour enrayer la propagation du Covid-19 et des pays membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) livrant une guerre des prix avec leur allié russe.

Cette lutte acharnée pour sauver leurs parts de marchés a démarré quand l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, deux alliés majeurs au sein du cartel, ont annoncé leur intention d'inonder les marchés mondiaux d'or noir après le refus le 6 mars de leur allié russe de limiter davantage la production d'or noir pour soutenir les cours. Les deux responsables dont l'un représente les pays producteurs et l'autre consommateur ont déduit que « Si les conditions de marché actuelles persistent, leurs revenus issus du pétrole et du gaz chuteront de50% à 85% en 2020, atteignant leur plus bas niveau en plus de 20 ans », Sur le front de la pandémie, l'explosion du nombre de cas de contaminations, particulièrement en Europe, tétanise les places financières, qui redoutent une récession économique mondiale, accentuant encore plus la pression sur les cours du brut.

La Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé ce même lundi une opération sur le marché monétaire à hauteur de 500 milliards de dollars au lendemain d'une baisse drastique et exceptionnelle de ses taux d'intérêt, ramenés dans une fourchette comprise entre 0 à 0,25% , ce qui a contribué à alimenter la panique des investisseurs complément déboussolés. Ces deux acteurs n'ont pas manqué lit-on dans ce communiqué d'examiner l'impact sur les pays en développement vulnérables et ont noté que si les conditions actuelles du marché continuent, leurs revenus tirés du pétrole et du gaz poursuivront leur chute en 2020, atteignant les niveaux les plus bas en plus de deux décennies, selon analyse récente de l'AIE. Cela est susceptible d'avoir des conséquences sociales et économiques majeures, notamment pour les dépenses du secteur public dans des domaines vitaux tels que les soins de santé et l'éducation. Ils ont tous deux souligné l'importance de la stabilité du marché, car les effets de l'extrême volatilité sont ressentis par les producteurs, en particulier en termes de revenus indispensables, ainsi que par les producteurs et les consommateurs, qui sont affectés par un marché instable et imprévisible. Le secrétaire général Barkindo et le Dr Birol ont souligné l'importance de trouver des moyens de minimiser l'impact de la situation actuelle sur les pays en développement vulnérables. Ils ont convenu de rester en contact étroit sur la question et de poursuivre leurs consultations régulières sur l'évolution du marché pétrolier.

La situation actuelle a faussé les prévisions de l'AIE

Leur dernière analyse faite le 11 mars 2019 prédisait plutôt une industrie pétrolière évoluant vers des changements extraordinaires. Il plaçait les Etats Unis comme acteur principal de croissance. En 2018, la production moyenne de « pétrole » (incluant le brut, les liquides de gaz naturel et autres hydrocarbures liquides) a avoisiné 99,7 millions de barils par jour (Mb/j) au niveau mondial selon les dernières données de l'AIE. D'après les prévisions de l'Agence, cette production pourrait encore augmenter de 5,7 Mb/j d'ici à 2024, principalement « grâce à l'incroyable force de l'industrie (américaine) du schiste » Dans les rapports de l'AIE consacrés aux marchés pétroliers, souligner l'importance croissante des États-Unis ressemble désormais à un leitmotiv. En 2018, la production américaine de pétrole a connu une croissance « sans précédent » (+ 2,2 Mb/j) selon l'Agence. Et d'ici à 2024, l'AIE estime que les États-Unis compteront à eux seuls pour 70% de la hausse de l'offre mondiale de pétrole (+ 4,1 Mb/j entre 2018 et 2024, dont plus des deux tiers grâce au pétrole de schiste). L'AIE estime également que le Brésil, le Canada, la Norvège (qui vit une « renaissance » selon l'Agence) et le Guyana pourraient apporter une « contribution importante » à la production mondiale de pétrole (+ 2,6 Mb/j de hausse cumulée pour ces 4 pays d'ici à 2024). Au sein des pays de l'OPEP, seuls l'Irak et les Émirats arabes unis envisagent une forte hausse de leur production pétrolière selon l'AIE (l'Agence retient dans son rapport une stabilité de la production saoudienne).

La croissance de l'offre de ces pays devrait être compensée par des « fortes baisses » de production en Iran et au Venezuela selon l'AIE. Il se trouve malheureusement que le COVID-19 et cette guerre déclarée par l'alliance OPEP+ a faussé tous ces calculs en mettant l'industrie du schiste américain ravagée financièrement sous le feu des projecteurs au cours de la semaine dernière, mais le ralentissement du marché va également creuser un trou dans les budgets des pays producteurs de pétrole. Les analystes de Goldman Sachs ont déclaré dimanche qu'une guerre des prix pourrait pousser les prix du brut à 20 dollars le baril, d'autant que le ralentissement économique provoqué par l'épidémie de coronavirus ralentit la demande mondiale. Ces niveaux de prix «commenceront à créer un stress financier aigu et une baisse de la production de schiste ainsi que d'autres producteurs à coût élevé», a averti Goldman. Chesapeake a déjà pris des mesures pour obtenir plus d'espace financier. Elle a refinancé sa dette, échangé des passifs existants contre de nouveaux qui viennent à échéance et créé de nouveaux privilèges au sein de sa structure de dette. La société a déclaré en janvier qu'elle avait réduit sa dette de 900 millions de dollars, et en février, elle disposait de liquidités suffisantes d'environ 1,4 milliard de dollars pour faire face aux échéances imminentes de la dette. Néanmoins, ces déclarations ont précédé d'importantes turbulences sur le marché mondial et l'incertitude économique résultant de la crise des coronavirus, ainsi qu'une récente chute des prix du pétrole. Les développements ont fait pression sur les producteurs de pétrole et de gaz dans tous les domaines et ont incité Chesapeake à revoir encore plus attentivement ses livres financiers. Les actions de Chesapeake ont baissé de 75% jusqu'à présent cette année et ont chuté de plus de 30% lundi, ce qui lui donne une capitalisation boursière d'un peu moins de 400 millions de dollars. La société a déclaré qu'elle procédait à un fractionnement inverse des actions pour éviter d'être radiée de la Bourse de New York.

Pourquoi la politique énergétique Algérienne reste à la traine

En dépit de la claque qu'a reçue dans la soirée du 5 au 6 mars dernier le président de la conférence OPEP+, le ministre de l'Energie, Mohamed Arkab continue de croire que les prévisions et réunions improductives du Comité Technique Conjoint vont remédier à cette situation dans une déclaration qu'il vient de rendre publique à la presse, pratiquement toutes les actions prévues dans le plan d'action du gouvernement liées au volet de l'énergie ne sont pas réalisables ni sur le court ni sur le moyen et encore moins le long terme. Toutes les hypothèses sont fondées sur la nouvelle loi sur les hydrocarbures sensés drainés des investisseurs sur les gisements nouvellement découverts par les moyens propres de Sonatrach, évaluées à prés de 150 projets. Or, l'adoption de cette loi, votée faut-il le rappeler, dans un environnement et un contexte difficile, avec des représentants manquant en toute évidence de légitimité populaire. La situation alarmante vécue par Sonatrach depuis 2017, et le cri de détresse lancé par ses responsables, traduisant une incapacité à maitriser le déclin, et appelant l'état à un amendement de la loi, afin de faciliter selon ses promoteurs, à encourager l'investissement étranger dans l'amont pétrolier et gazier Algérien, dans le conventionnel, mais aussi le non conventionnel et l'offshore tel que annoncé au tout début par les responsables en charge du secteur. Malheureusement, l'éventuel apport en terme de réserves, de niveau de production et en recette pétrolière, conséquence éventuelle par rapport à cette nouvelle loi, n'est pas clairement établi, ni qualitativement ni quantitativement. Devant cet état de fait, les hautes autorités, ont accordé aux responsables du secteur de l'énergie cette démarche. Quant au nouveau gouvernement de M. Djerad, et suite à des avis d'experts, il semblerait que les responsables du secteur et de Sonatrach, ne sont pas arrivés à convaincre définitivement sur la viabilité économique et sur la rentabilité économique de l'exploitation du gaz non conventionnel, ni même d'ailleurs une étude poussée sur l'impact environnemental. Ceci a fait réagir avec responsabilité le gouvernement, à exiger des études d'impact dans ce sens. Le management Sonatrach semble actuellement subir, et incapable de réagir, observant la chute continue des réserves et de la production d'hydrocarbures. L'Algérie, devrait-elle prendre le risque d'attendre le second semestre de 2020, espérant un second souffle de nos hydrocarbures ? « Ultime » solution du futur appel d'offre tant promis par des responsables actuels du secteur de l'énergie, ayant été membre de la commission en charge de la promotion de cette loi. Dans leurs déclarations, ils promettaient au pays une sortie de crise tablant sur un apport en investissements par des partenaires étrangers, après avoir réussi à convaincre les autorités et les assemblées élues, la loi a été adoptée malgré les réticences de beaucoup d'experts et la forte mobilisation d'une grande frange de la population. Avec la baisse du dollar, celle de la production accélérée à vue d'œil, les recettes vont encore diminuer cette année et ne semble pas s'arrêter durant ce quinquennat, car hormis la sortie de crise par l'éventuel apport de la loi, rien d'autre n'est proposé. Cette situation ressemble beaucoup à celle vécue 2012-2014. Quel apport en production et en recettes pétrolière s'y attendre de l'apport de la loi ? Et si l'appel d'offre ne drainerait que très partiellement ou pas du tout de partenaires ? Quelles actions alternatives préconisées par les responsables du secteur ? Tous les regards des autorités sont donc tournés vers cette sortie de crise, suggérée par ces responsables. Le compte à rebours a commencé. Le citoyen inquiet de la gestion du secteur vital en général, se pose des questions sur le mode de contrôle de Sonatrach depuis le déclin brutal, le site de l'ALNAFT Agence Nationale pour la Valorisation des Ressources en Hydrocarbures, ne semble plus avoir un suivi ni une veille sur les activités de la Sonatrach. A la date d'aujourd'hui, les activités d'explorations, de développement, de découvertes, s'arrêtent dans le site officiel, à l'année 2016. Le ministre de l'énergie, issu de Sonelgaz, contraint à faire confiance à l'équipe actuelle de Sonatrach pour relever le défi dont dépend l'avenir immédiat et futur, de tous les Algériens. Le citoyen croise les doigts, tout en espérant que le responsable du secteur et le responsable de Sonatrach, mesurent la lourde responsabilité, et la gravité de la situation, et espère qu'ils possèdent l'expérience et la compétence nécessaires pour relever ce défi qui consiste à renouveler les réserves et à retrouver une croissance de la production. On se rappelle que l'état avait fait confiance en la personne de Ould Kaddour pour l'achat d'Augusta, l'Algérie paye actuellement les frais très chers, et la situation ne semble pas trouver d'issue. Les filiales de Sonatrach à l'étranger, dont les dividendes constituaient quelques centaines de millions de dollars pour Sonatrach, se trouvent maintenant elles-mêmes endettées pour sa maintenance, au moment où Sonatrach en a le plus besoins.

Le déclin des gisements existants s'accentue

Dans le dernier rapport de l'OPEP celui de mars 2020 le déclin se confirme et qui rend Sonatrach incapable d'assurer son quota à l'OPEP fixé à un 1,056 millions de baril par jour en dépit des assurances du ministre de l'énergie lors de son entretien à la chaine 3. Ainsi la moyenne de l'année 2018 a été de 1,040 millions de baril par jour et passée en 2019 à 1,023 millions de baril par jour soit toujours en moyenne un déficit de 17000 barils par jour. Le mois de janvier 2020, basée sur une communication directe de Sonatrach, la production a été descendue à 1,011 millions de barils par jour puis redescendue encore une fois en février à 1,009 millions de barils par jour. Toute la question est: pendant que les responsables du secteur de l'énergie promettent « monts et merveilles » avec cette nouvelle loi, les gisements existants qui constituent la seule marmite algérienne ne sont ils bousillés suite à une mauvaise maintenance par une surexploitation depuis 2017 ?

*Consultant, économiste pétrolier