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Vulnérabilité saoudienne

par Akram Belkaïd, Paris

C’est une évidence : l’attaque du 14 septembre contre un site de production (Khuraïs) et une usine de traitement (Abqaïq) pétroliers saoudiens est un événement historique. Certes, une première attaque a déjà eu lieu le 17 août contre le site de Shaybah mais, dans la torpeur estivale, elle est d’autant plus passée inaperçue qu’elle n’avait provoqué que peu de dégâts. Cette fois, l’affaire est sérieuse. Les destructions provoquées par les salves de missiles ou de drones «suicides» ont occasionné d’importants dommages. La production de l’Aramco, la compagnie étatique, est amputée de 5,7 millions de barils par jour (mbj) soit l’équivalent de 6% de la consommation mondiale. Comme le rapportent les médias internationaux, même la Guerre du Golfe consécutive à l’invasion du Koweït par l’Irak (1990-1991) n’avait pas provoqué une telle interruption.

Hausse des cours

Nombre de commentaires géopolitiques se concentrent sur l’identité du coupable. Les rebelles houthis ? Une milice irakienne pro-iranienne ? Ou, tout simplement, les forces armées des gardiens de la révolution iraniens ? Les réponses à ces interrogations fonderont la suite, et notamment la nature des représailles américaines. Car il y en aura, c’est une chose certaine. En effet, les États-Unis ne peuvent pas laisser passer une telle affaire sans réagir. Il y va de leur crédibilité dans la région, notamment en tant qu’allié et protecteur du royaume wahhabite.

La baisse de la production saoudienne, qui pourrait durer plusieurs semaines, et les considérations guerrières entretiennent la nervosité du marché. Sans surprise, les prix du baril de Brent et du WTI (West Texas Intermediate) ont progressé de près de 10%. Déjà, les médias occidentaux s’interrogent sur les risques de pénurie d’or noir mais aussi des conséquences immédiates sur les prix à la pompe. L’administration Trump s’est d’ailleurs dépêchée de rappeler que les États-Unis sont prêts à puiser dans leurs réserves stratégiques et que, de toutes les façons, la production américaine de brut - notamment de pétrole de schiste - est suffisamment importante pour compenser, en partie, le brut saoudien manquant.

Quelle protection ?

Crise géopolitique, tensions avec l’Iran, risque de guerre, hausse des cours pétroliers : il est certain que ces points continueront de faire la une au cours des prochains jours. Mais il est un autre élément qui mérite l’attention et sur lequel certains observateurs n’ont de cesse d’insister. La question est simple : comment une telle attaque a-t-elle pu, non pas se dérouler, mais réussir ? Les installations pétrolières sont le cœur de l’Arabie saoudite tant sur le plan économique que stratégique. Depuis plusieurs décennies, le Royaume dépense des dizaines de milliards de dollars pour les défendre. Qu’un essaim de drones ou de missiles ait pu réussir à provoquer tant de dégâts laisse songeur. Cela démontre, en tous les cas, que la défense aérienne saoudienne (et américaine) n’a pas été à la hauteur.

Pour dire les choses autrement, les acteurs du marché pétrolier vont désormais inclure dans leurs prévisions le fait que les installations saoudiennes, que l’on disait les mieux protégées au monde, sont vulnérables. Cela devrait contribuer de manière durable à la hausse des prix. Et l’on se pose la même question pour d’autres monarchies pétrolières de la région. Si l’Arabie peut être touchée, qui dit que les Émirats arabes unis, le Qatar ou le Koweït sont à l’abri ? Enfin, autre question d’importance : faut-il douter de la capacité américaine à défendre de manière efficace ses alliés du Golfe ?