Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Commerçants récalcitrants - pouvoirs publics : le diktat des premiers l'emportera-t-il sur la détermination des seconds lors de l'Aïd ?

par Cherif Ali

A chaque fête religieuse, les Algériens souffrent le calvaire : villes mortes, boulangeries, restaurants et cafés fermés, absence de fruits et de légumes, indisponibilité des médicaments et des transports, etc.

Pourtant la loi est claire : en cas de fermeture non réglementée du commerce concerné pendant les fêtes et jours fériés, c'est la fermeture des locaux pendant un mois assortie d'une amende !

En vertu de ce texte réglementaire qui définit les conditions d'exercice de l'activité commerciale :

? les commerçants sont tenus de respecter les conditions de permanence durant les jours fériés pour assurer un approvisionnement régulier des citoyens, en marchandises et produits de large consommation ;

? les listes des commerçants concernés par cette permanence sont arrêtées et affichées au niveau des places publiques, de chaque commune, pour mettre le citoyen au courant des commerces de permanence le jour de l'Aïd.

Le ministre du Commerce qui a déjà commencé par multiplier le nombre de brigades de ses contrôleurs, ne manquera certainement pas d'affirmer qu' « il durcira » les sanctions contre les commerçants réfractaires qui ne respecteront pas « l'obligation de permanence » !

Pour l'heure, il a réuni toutes les conditions pour gagner son pari en réquisitionnant, spécialement pour les journées de l'Aïd El Adha, 35.876 commerçants dont 4.745 activant dans la boulangerie, 22.833 dans l'alimentation générale et fruits et légumes, 8.145 dans des activités diverses et 453 unités de production dont 131 laiteries, 282 minoteries et 40 unités de production d'eau minérale.

Pour le suivi de la mise en œuvre de ce programme de permanence, 2.142 agents de contrôle ont été affectés à travers le territoire national.

Les commerçants réquisitionnés vont-ils passer outre, ou obtempérer aux menaces des pouvoirs publics et assurer cette obligation de permanence ?

La question risque, encore une fois, de faire polémique au vu de toutes les affirmations des responsables qui vont s'exprimer a posteriori et prétendre que « tout va bien dans le meilleur des mondes », très loin de la triste réalité vécue par les Algériens.

L'Union Générale des Commerçants et Artisans Algériens, impliquée également dans cette affaire, va certainement se « fendre» ces jours-ci d'un appel pour le respect de l'ouverture des magasins et de la permanence imposée aux commerçants ; elle avait présenté à l'époque, une proposition de loi portant organisation de l'activité commerciale et la réglementation du secteur des services. La non définition des horaires d'ouverture et de travail, y compris par alternance, en période de fêtes, a laissé le champ libre aux commerçants qui ont imposé leur propre loi, ouvrant et fermant leur magasin au gré de leur humeur.

Sa proposition est restée en l'état, ce qui ne la dédouane aucunement, elle qui n'a qu'une faible emprise sur ses adhérents !

Sa responsabilité est engagée au même titre que le ministère du Commerce, coupable de n'avoir pas déjà sanctionné, sévèrement, comme il l'a prétendu, les commerçants défaillants des années durant. C'est cette impunité, d'ailleurs, qui va, selon certains, encourager d'autres commerçants à récidiver dès ce week-end et les jours qui suivront.

L'Aïd El Kebir, c'est donc dimanche !

Les familles algériennes, hantées par le spectre des pénuries à venir, essayent d'anticiper au mieux les manques à venir ; il faut le dire, les fêtes algériennes dans la capitale et la majorité des grandes villes d'Algérie, sont toujours synonymes de disette et de privations, en raison du diktat des commerçants qui font fi de l'intérêt général et de la réglementation qui les oblige à ouvrir leur commerce pendant ces journées précises.

Restaurants, cafés et épiceries spécialisées en alimentation générale ferment boutique « en raison de l'indisponibilité des employés », affirment les gérants de ces commerces : « nous ne pouvons pas obliger ces derniers à travailler le jour de l'Aïd et les empêcher, aussi, de passer les fêtes avec leurs familles ! », disent-ils.

Pour ce qui est des fruits et légumes, la volatilité chronique du marché, tient surtout en l'absence d'instruments efficaces de régulation comme les marchés de gros et les aires de stockage.

Parler aussi de pain la veille de l'Aïd, c'est évoquer sa rareté pendant et après les fêtes. Certains en stockent à volonté, pour jeter presque tout, par la suite. Les rares boulangeries ouvertes le jour de l'Aïd, seront prises d'assaut : il faut se lever à 4 heures du matin pour espérer en avoir !

Un ministre avait proposé de former « massivement » dans les filières telles la boulangerie, la coiffure et la restauration, entre autres, pour palier le déficit et l'absence de toutes ces « petites mains ». L'idée, pour peu que le ministre du secteur de la Formation professionnelle s'y intéresse, n'est pas mauvaise au demeurant, à condition d'associer les banques aux projets des « apprenants » pour les aider à démarrer leur entreprise, une fois le diplôme acquis.

Certaines pharmacies baissent aussi leurs rideaux, mais pour une toute autre raison liée à « l'absence de sécurité », disent les gérants des officines. Quant aux sachets de lait, à moins de pister les camions de transport, mieux vaut ne pas en parler, ou plutôt si, il faut en évoquer la teneur : de « l'eau du robinet » à en croire un rapport d'analyse !

Et dire que des producteurs jettent le lait crû faute de pouvoir le stocker ou le vendre ! L'Etat, pendant ce temps-là, consacre 200 millions de $ à importer de la poudre de lait !

L'Aïd, c'est aussi les carburants et la hantise de la pénurie d'essence, qui est déjà perceptible autour des stations qui sont prises d'assaut ! Ni les propos rassurants des responsables de Naftal, encore moins la disponibilité des produits à la pompe ne rassurent les automobilistes qui s'entêtent « à prendre la file », nonobstant la chaleur caniculaire !

Et le mouton, faut-il en parler ?

C'est surtout son prix qui a dépassé tout entendement, urbi et orbi : 350 $ en Algérie, 110 $ au Bahreïn, 185 $ en Tunisie et 200 $ en Palestine !

Le comble, c'est qu'après le sacrifice, sa toison (Hidora ou B'tana) est jetée à la poubelle faute de collecteurs agréés et de manufactures de transformation de laine et autres tanneries.

Sans forcer le trait, c'est la triste situation qui va prévaloir durant l'Aïd et les jours qui s'en suivront !

Et dans ce méli-mélo, sont pointés du doigt tous ces ouvriers besogneux de l'intérieur du pays, dont on ne remarque la présence ou l'absence, c'est selon, que pendant les fêtes.

Il faut dire que l'essentiel de la population ouvrière pour ce qui est d'Alger, par exemple, vient des autres régions du pays, de l'Est et de la Kabylie. Et même les familles qui sont originaires de ces wilayas, préfèrent passer l'Aïd, loin de la capitale.

De plus, Alger, tout comme Oran, Annaba ou encore Constantine ont une composante sociologique différente des autres grandes métropoles. C'est ce brassage qui fait que ces villes se vident de leurs habitants, à l'occasion des jours fériés et présentent l'image de villes désertes.

Des villes où les rares taxis sont pris d'assaut. Quant aux tarifs, mieux vaut ne pas en parler. Globalement, si le transport interwilayas fonctionne, peu ou prou, durant les fêtes religieuses, les bus privés qui assurent les liaisons urbaines restent au garage. Pas de recours possible des usagers en l'absence de contrôle sur le terrain !

Les commerçants se disent « chez eux » !

Ils ne respectent pas les clients ! Le consommateur de manière générale, ne défend pas ses droits, dit-on. Et l'Etat ne fait rien ou presque, pour faire respecter les règles et les lois !

Chacun y va de sa lecture de la notion de service public, notion tellement galvaudée qu'elle a perdu tout son sens.

On se renvoie la balle : le ministère du Commerce, accusant tantôt celui de l'Agriculture, ou même les Collectivités locales, et à tout ce beau monde de pointer du doigt les consommateurs « incapables, selon eux, de discipliner leur boulimie et de stopper leur frénésie d'achat » !

Les Algériens s'y sont accoutumés et résistent à leur manière : par la résilience !

De ce qui précède, il manque un effort d'exploration concernant les causes profondes de cette situation qui se répète, bon an mal an, à chaque fête religieuse.

Le ministère du Commerce, principal responsable du non-respect de l'obligation d'ouverture des commerces et de la permanence dont il a lui-même fixé les règles, ne réussit, toujours pas, à s'extraire de la méthode Coué : « l'Etat va sévir, on sera sans pitié avec les contrevenants... » !

Mais, c'est bien connu, l'Algérie fait partie de ces pays où le responsable détient le pouvoir absolu, mais n'est comptable de rien. A croire que le fameux slogan « responsable mais pas coupable » a été inventé chez nous.

Le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales ainsi que celui des Affaires religieuses sont tout autant concernés !

Le premier ne peut pas s'empêcher d'instruire les walis pour prendre en charge les problèmes récurrents des citoyens qui reviennent, à chaque fête et jour férié comme le ramassage des ordures ménagères, ce qui va, à coup sûr, obliger le ministre à signer une «instruction » pour obliger les responsables des collectivités locales à s'acquitter de cette mission de « service public » !

Le second, par imams interposés, va tenter, en peine perdue, de faire dans la sensibilisation des commerçants, mais aussi des consommateurs qui doivent maîtriser leur boulimie !

En conclusion, tous les ministres du Commerce, de l'indépendance à ce jour, ont dit vouloir prendre en charge ces fermetures récurrentes des commerces à la veille de chaque fête religieuse.

Pour y laisser, en définitive, la preuve de leur inefficacité et de leur perte de crédibilité !

Le ministre du Commerce qui a, comme on l'a affirmé supra, mobilisé « tous les moyens humains et matériels » :

1. va-t-il, cette fois-ci, sanctionner durement tous les commerçants récalcitrants qui n'auront pas respecté l'obligation de permanence ?

2. ou prétendre que « globalement, la permanence a été respectée », au grand dam des consommateurs qui ont eu à le vérifier à leurs dépens ?